Agression sexuelle de masse — Wikipédia
Une agression sexuelle de masse ou agression sexuelle collective est un type de violence sexuelle pratiqué par des groupes de personnes dans les foules.
Historique du phénomène des agressions collectives en public
[modifier | modifier le code]Le phénomène a été observé dans plusieurs contextes. L'un des plus documentés est la société égyptienne, notamment sous la forme de harcèlement au quotidien et d'agressions sexuelles commises comme forme de répression par la police lors de manifestations opposées notamment au régime d'Hosni Moubarak. Le phénomène a néanmoins été rapporté de source policière lors d'un festival de musique d'été à Stockholm en 2014[1] et durant la nuit de la saint-Sylvestre 2015 en Allemagne. D'après des organisations féministes et des sources policières, il touche de façon récurrente des rassemblements comme la Fête de la bière de Munich[2] ou la Feria de Nîmes[3]. Les rassemblements militants tel le campement du mouvement Occupy Wall Street ont également été concernés[4].
En Égypte
[modifier | modifier le code]L'expression arabe transcrite taharrush ginsy ou taharoch gensi (تحرّش جنسي taḥarruš ǧinsī « harcèlement sexuel ») ou taharrush gamea[5] (d'après la prononciation égyptienne avec [ɡ] dur de l'arabe تحرش جماعي taḥarruš ǧamāʿī « harcèlement collectif »[6]), ou taharrouch recouvre l'ensemble des violences faites aux femmes. C'est un mot grossier au sens mouvant qui désignait à l'origine les molestations et viols d'enfants ainsi que les violences sexuelles envers les femmes et les enfants, le plus souvent dans la sphère privée (domicile) ou semi-privée (école), puis prend en Égypte en 2006 le sens de harcèlement mais aussi celui d'agressions sexuelles de groupe. Cette expression est inspirée par les initiatives internationales pour les droits des femmes d'après Angie Abdelmonem[7], et a été utilisée en arabe dans la seconde moitié des années 2000 en Égypte[8]. D'autres usages en ont été faits pour désigner des agressions sexuelles collectives dans d'autres pays arabes[9] puis en Europe pour désigner des agressions sexuelles dont les coupables présumés sont supposés venir de tels pays[10].
Un article de Kohl, publication « pour la recherche sur le corps et le genre », décrit les évolutions de langage en Égypte de 2005 à 2015 pour désigner le harcèlement sexuel et les autres types d'agressions sexuelles, et note qu'en 2008, un journal utilise de façon indifférenciée, pour parler des agressions de policiers contre des manifestantes au Caire en 2005, les mots taḥarrush et hatk ʿirḍ (هتك عرض : littéralement « profanation de l'honneur », terme généralement traduit par « attentat à la pudeur » et utilisé pour désigner un viol). L'absence de définition précise et les amalgames entre différents concepts ont constitué un frein pour faire reconnaître la notion de harcèlement sexuel. Avant 2005, aucun problème de harcèlement sexuel collectif n'avait été rapporté à l'association égyptienne pour les droits des femmes[11].
Après les violences policières de 2005 au Caire, baptisées « Mercredi noir », les violences sexuelles dans l'espace public en Égypte ont eu un plus large écho international à l'occasion de la révolution égyptienne de 2011 sur la place Tahrir au Caire lorsque des manifestantes égyptiennes et certaines journalistes occidentales — dont Lara Logan — furent victimes d'agressions sexuelles collectives[12],[13],[14],[15],[16],[17],[18].
Amnesty International parraine une bande dessinée, Doigts d'honneur - Révolution en Égypte et droits des femmes sur les centaines d'agressions sexuelles ou viols recensés aux abords de la place Tahrir, entre le et le [19].
En Allemagne
[modifier | modifier le code]À Cologne, la nuit du Nouvel An 2016, 359 femmes ont déclaré avoir été agressées sexuellement près de la gare centrale ; dans 259 cas, les victimes avaient également été dévalisées[20].
Les rapports des ministères de l'Intérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et l'Office fédéral de police criminelle allemande ont attribué les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 en Allemagne à cette pratique de la part de migrants[21],[5],[22]. L'enquête montre par la suite que peu de réfugiés sont impliqués, la quasi-totalité des suspects étant de nationalité algérienne ou marocaine[23].
En France
[modifier | modifier le code]L'étude des violences sexuelles dans l'espace public a longtemps été occultée en raison d'une focalisation sur les violences conjugales. La première version de l'« Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France » abordant la question a lieu en 2000. Le harcèlement et les agressions physiques ne sont pas distinguées selon que l'auteur est un homme seul ou en groupe dans le résumé statistique (les deux cas sont regroupés), mais l'étude indique que, contrairement au harcèlement, et aux gifles, coups et blessures, les agressions physiques sont assez fréquemment le fait d’un groupe lorsqu’elles sont accompagnées de vols ou s’effectuent sous la menace d’une arme[24]. Les atteintes sexuelles (y compris le harcèlement) touche 8,2 % des femmes, mais est d'autant plus fort qu'elles sont jeunes (21,9 % des femmes de 20 à 24 ans en font état, dont 8,4 % pour les avances et agressions sexuelles). Le phénomène est particulièrement prégnant en région parisienne[25].
En Suède
[modifier | modifier le code]Les autorités sont accusées d'avoir dissimulé des agressions sexuelles de masse[26] à l'occasion d'un festival en 2014[27],[28], ainsi que lors du nouvel an 2015 sous le prétexte de ne pas attiser les tensions raciales[29],[30].
En Finlande
[modifier | modifier le code]À Helsinki, la police a reçu une plainte pour viol, deux pour tentative de viol et douze pour harcèlement sexuel par des groupes de 10 à 20 hommes lors du Nouvel An 2016[31].
Aux États-Unis
[modifier | modifier le code]Au festival de Woodstock 1999 en , la police a enquêté sur quatre plaintes pour agression sexuelle ou viol, y compris viol digital, qui se seraient produites pendant et après le festival. Des témoins ont rapporté avoir vu une slammeuse entraînée dans le cercle de mosh et violée collectivement[32].
Lors du défilé de la fête portoricaine (Puerto Rican Day Parade) de New York le , au moins 44 femmes ont signalé avoir été agressées sexuellement et dévalisées par un groupe d'une soixantaine d'hommes. La police a été très critiquée pour avoir mal géré ces attaques[33].
À la fête de Mardi gras de Seattle en , des témoins ont vu des groupes d'hommes peloter des femmes, leur arracher leurs vêtements et apparemment les pénétrer avec leurs doigts[34].
Dans le sous-continent indien
[modifier | modifier le code]Plusieurs cas d'agression sexuelle collective dans une foule ont été signalés en Inde. En à Guwahati, une adolescente a été agressée sexuellement pendant presque 45 minutes par un grand nombre d'hommes à l'extérieur d'un bar, sans que personne n'intervienne avant l'arrivée de la police[35].
La présentatrice de télévision britannique Saira Khan a déclaré en 2016 avoir été agressée sexuellement en 2007 par une foule au Pakistan alors qu'elle tournait un documentaire pour la BBC, accusant la BBC d'avoir alors tout simplement ignoré cette attaque[36].
Un phénomène proche appelé en anglais indien (en) « Eve teasing », est observé en Inde, Bangladesh et Pakistan. Il a parfois eu un retentissement international comme l'affaire du viol collectif de New Delhi.
Au Viêt Nam
[modifier | modifier le code]En , des femmes ont signalé une agression sexuelle collective par plus de 70 hommes dans un parc aquatique de Hanoï au Viêt Nam[37].
Polémique sur les causes des agressions collectives en public
[modifier | modifier le code]Les agressions sexuelles collectives dans l'espace public dans divers pays mentionnées par les médias internationaux en ont été diversement interprétées comme liées ou non à une particularité culturelle. Ainsi Farhana Mayer, chercheuse à la fondation Quilliam, considère que ces attaques sont le symptôme d'une idéologie misogyne qui considère que cela fait partie des règles du jeu que les femmes soient attouchées sexuellement dans l'espace public, ou même punies pour y être présentes[38] ; et un article de la revue de sciences sociales Égypte/Monde arabe sur le rôle que peuvent jouer les hommes dans les mouvements égyptiens anti-harcèlement estime que les hommes qui participent à ces attaques cherchent en fait à rétablir ce qu'il voient comme l'ordre naturel des choses, en réaffirmant le contrat social patriarcal et en limitant le domaine des femmes à la sphère privée[16]. Josef Joffe (en), directeur de la rédaction de l'hebdomadaire allemand Die Zeit, indique également dans le Wall Street Journal que selon lui, l'acculturation des migrants aux codes sexuels stricts de l'Europe de l'Ouest est un processus qui prend plusieurs années[39]. L'écrivain algérien Kamel Daoud évoque à ce sujet en « la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman », dans une tribune du Monde critiquée par un collectif d’universitaires qui voient là de l'« islamophobie »[40].
À l'inverse, d'autres voix considèrent qu'un lien éventuel entre crise migratoire en Europe et agressions sexuelles collectives n'est pas à rechercher dans une origine ethnico-culturelle, mais dans un phénomène général de criminalité accrue dans les communautés à trop forte proportion masculine, décrit par Valerie Hudson (en)[41]. Une autre opinion est que les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 en Allemagne ne présentent aucune particularité importée, mais font au contraire partie d'un sexisme et d'une culture du viol bien établis en Allemagne lors de grands rassemblements publics comme l'Oktoberfest[42],[43] ; cependant selon les autorités allemandes et finlandaises, les agressions du Nouvel An 2016 de Cologne et de Helsinski sont d'une nature et d'une proportion sans précédent[44],[45]. L'utilisation de termes arabes comme « taharrush gamea » est également critiquée en tant que présentation faussée des agressions collectives qui en fait un phénomène spécifiquement arabe et alimente les sentiments xénophobes et anti-réfugiés[46].
En 2016, un rapport de la police criminelle en Allemagne établit que les réfugiés sont en moyenne 15 fois plus souvent sujets à des plaintes pour agression sexuelle, que les Allemands de nationalité[47].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Taharrush gamea » (voir la liste des auteurs).
- (en) David Crouch, « Swedish police accused of covering up sex attacks by refugees at music festival », The Guardian, (lire en ligne).
- « À la fête de la bière à Munich, on boit, on chante, on viole », sur Slate.fr,
- « http://www.liberation.fr/sports/2002/05/17/il-etait-une-fois-la-furia-de-nimes_403884 », sur liberation.fr,
- (en) « Objecting or Objectified? At Occupy Wall Street Women Get Attention, But Not Always for Their Message », sur observer.com,
- (de) Martin Lutz, « Das Phänomen 'taharrush gamea' ist in Deutschland angekommen », Die Welt, (lire en ligne, consulté le ).
- Aussi تحرّش جنسي جماعي taḥarruš ǧinsī ǧamāʿī « harcèlement sexuel collectif ».
- (en) Angie Abdelmonem, « Reconceptualizing Sexual Harassment in Egypt: A Longitudinal Assessment of el-Taharrush el-Ginsy in Arabic Online Forums and Anti-Sexual Harassment Activism », Kohl: A Journal for Body and Gender Research, Beyrouth, Arab Foundation for Freedoms and Equality / Gender and Sexuality Resource Center, vol. 1, no 1, , p. 23-41 (lire en ligne [PDF]).
- (en) Rasha Hassan, Aliyaa Shoukry et Abul Komsan Nehad, « Clouds in Egypt’s Sky — Sexual Harassment: from Verbal Harassment to Rape », FNUAP Égypte / Egyptian Centre for Women's Rights Report, (cité dans Abdelmonem 2015a).
- « Cologne : la police s'inquiète d'un nouveau phénomène, le «taharrush gamea» », sur Le Figaro (consulté le )
- (en) Corey Charlton, « The Arabic gang-rape 'Taharrush' phenomenon which sees women surrounded by groups of men in crowds and sexually assaulted… and has now spread to Europe », sur Mail Online, (consulté le )
- Abdelmonem 2015a, p. 25.
- Emmanuelle Anizon, « La journaliste de France 3 agressée au Caire témoigne », Telerama, (lire en ligne)
- (en) Patrick Kingsley, « 80 sexual assaults in one day – the other story of Tahrir Square », The Guardian, (consulté le )
- Nicolas Barotte, « Cologne : la police s'inquiète d'un nouveau phénomène, le «taharrush gamea» », Le Figaro, (lire en ligne)
- (en) Anna Lekas Miller, « Exploiting Egypt’s Rape Culture for Political Gain », The Nation, (lire en ligne).
- (en + fr) Sandra A. Fernandez, « Male voices in a Cairo social movement / Voix masculines dans un mouvement social au Caire », Égypte/Monde arabe, 3e série, no 13, (ISBN 9782905838865, ISSN 1110-5097, lire en ligne).
- Robert Solé, « Le harcèlement sexuel, la onzième plaie d'Egypte », Le Monde, (lire en ligne).
- « Égypte : l'impunité encourage les violences sexuelles », sur Amnesty International France, .
- Véronique le Jeune, « Égypte: plongée en BD au cœur des multiples viols de la place Tahrir en 2013 », sur France Télévisions/Géopolis, .
- (de) Christoph Herwartz, « Eskaliert ist es von allein », Die Zeit, (lire en ligne).
- (en) « Cologne attackers were of migrant origin - minister », sur BBC News, (consulté le ).
- Dalal Al-Bizri, « Cologne : la culture arabo-musulmane n’est pas innocente », Courrier international, (lire en ligne).
- « Cologne: l'enquête sur les agressions sexuelles de la Saint Sylvestre prend une autre tournure », Le Vif, (lire en ligne).
- Florence Maillochon et Équipe Enveff, « Violences dans l’espace public », dans Femmes et villes, dir. Sylvette Denèfle, Presses universitaires François-Rabelais, 2004, lire en ligne
- [PDF] L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff) Présentation de l'étude 2000 sur unece.org
- (en) « Swedish police face allegations of cover up over mass sex assault », sur The Financial Times, (consulté le )
- (en) « Swedish Police, Accused of Cover-Up, Look Into Reports of Sex Assault at Festival », sur The New York Times, (consulté le )
- (en) « Swedish police accused of covering up sex attacks by refugees at music festival », sur The New York Times, (consulté le )
- (en) « Police in Sweden Are Accused of Covering Up Sexual Attacks by Asylum SeekerS », sur TIME, (consulté le )
- (en) « It’s not only Germany that covers up mass sex attacks by migrant men… Sweden’s record is shameful », sur The Spectator, (consulté le )
- (en) « Helsinki police report 15 sexual harassment cases on New Year's Eve », The Daily Telegraph, (lire en ligne) ; (en) Richard Orange, « Unprecedented sex harassment in Helsinki at New Year, Finnish police report », The Daily Telegraph, (lire en ligne).
- (en) Alona Wartofsky, « Police Investigate Reports of Rapes at Woodstock », The Washington Post, (lire en ligne).
- (en) Michael Ellison, « NY police 'ignored' park sex attacks », The Guardian, (lire en ligne).
- (en) Lewis Kamb et Tracy Johnson, « Many sexual assaults at Mardi Gras », Seattle Post-Intelligencer, (lire en ligne) ; (en) Florangela Davila et Carol M. Ostrom, « Mardi Gras news photo that wasn't published wins prize », The Seattle Times, (lire en ligne) ; (en) Ian Ith et Nancy Bartley, « Man Killed at Mardi Gras was trying to help woman », The Seattle Times, (lire en ligne).
- (en) Helen Pidd, « Indian anger over media footage of girl being sexually assaulted », The Guardian, (lire en ligne).
- (en) Amanda Williams, « Apprentice star tells how she was sexually assaulted in Pakistan by gang of men as she filmed BBC documentary », Daily Mail, (lire en ligne).
- (en) Shana Genever, « Water Park’s alleged mass sexual assault under scrutiny », sur Yahoo! News, .
- (en) Farhana Mayer, « The Sexual Attacks on Women in Europe Reflect a Misogynistic Mind-Set That Must Be Dismantled », The New York Times, (lire en ligne).
- (en) Josef Joffe (en), « Germany’s Road to ‘No We Can’t’ on Migrants », The Wall Street Journal, (lire en ligne).
- Aude Lorriaux, « Le texte de Kamel Daoud sur Cologne est devenu un «lieu de fantasmes» », sur Slate, .
- (en) Valerie Hudson (en), « Europe’s Man Problem », Politico, (lire en ligne), cité dans (en) Dan Hitchens, « Taharrush Gamea: has a new form of sexual harassment arrived in Europe? », blog de The Spectator, (lire en ligne).
- (en) Stefanie Lohaus (de) et Anne Wizorek (de), « Immigrants Aren't Responsible for Rape Culture in Germany », Vice, .
- Annabelle Georgen, « À la fête de la bière à Munich, on boit, on chante, on viole », sur Slate.fr, .
- (en-GB) « Cologne sex attacks: Search for answers - BBC News », sur BBC News (consulté le )
- « Unprecedented sex harassment in Helsinki at New Year, Finnish police report », sur Telegraph.co.uk (consulté le )
- (en) Alex Shams, « Neither Taharrush Gamea Nor Sexism Are Arab 'Cultural Practices' », sur The Huffington Post, .
- (en-US) « A quick look at immigration and crime in Germany », sur Nec Pluribus Impar, (consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Sexisme
- Harcèlement
- Harcèlement de rue
- Harcèlement sexuel
- Frotteurisme
- Droit de cuissage
- Oppression
- Culture du viol
- Mythes sur le viol
- Viol collectif
- Viol de guerre
- Viol en tant qu'arme de génocide
- Violence contre les femmes
- Crime d'honneur
- Journée nationale de commémoration et d'action contre la violence faite aux femmes
- Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Marieme Helie Lucas, Euro centrism as a fig-leaf, and the art of conjuring in politics,
- reportage de France Culture sur le Taharrush gamea
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Bast (dessin) et Ferenc (scénario), Doigts d'honneur : Révolution en Égypte et droits des femmes, La boîte à bulles, coll. « Contre-cœur », , bande dessinée (ISBN 978-2849532355, présentation en ligne)