Bataille de Djerba — Wikipédia
Date | - |
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Lieu | Djerba, Ifriqiya (actuelle Tunisie) |
Issue | Victoire ottomane décisive |
Empire ottoman | Monarchie espagnole République de Venise États pontificaux République de Gênes Duché de Savoie Hospitaliers |
Piyale Pacha Dragut | Giovanni Andrea Doria |
86 galères et galiotes | 54 galères 66 vaisseaux Autres sources : 200 navires[1] |
Quelques galères coulées Environ 1 000 morts ou blessés | 60 navires coulés ou capturés[1] 18 000 hommes 5 000 prisonniers (pendant le siège) |
Coordonnées | 33° 47′ nord, 10° 53′ est | |
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La bataille de Djerba est une bataille navale qui a lieu du au le long des côtes tunisiennes (au large de Djerba)[2]. Elle oppose la flotte de l'Empire ottoman, commandée par Piyale Pacha et Dragut, à une flotte européenne principalement composée de navires espagnols, napolitains, siciliens et hospitaliers.
La bataille de Djerba représente l'apogée de la domination navale des Ottomans en Méditerranée.
Expédition de Tripoli et invasion ottomane des îles Baléares
[modifier | modifier le code]Depuis la défaite de la bataille de Préveza, subie en 1538 face à la flotte ottomane commandée par Khayr ad-Din Barberousse[3], ainsi que la désastreuse expédition d'Alger de l'empereur Charles Quint en 1541[4], les principales puissances navales du bassin méditerranéen, l'Espagne et la république de Venise, se sentent de plus en plus menacées par les Ottomans et les pirates barbaresques.
En 1551, les Ottomans prennent Tripoli aux mains des Hospitaliers, faisant de la ville un centre important pour les raids de pirates en Méditerranée et la capitale de la province ottomane de Tripolitaine[5],[6].
Cette menace s'accentue lorsque Dragut mène l'invasion des îles Baléares en 1558, avec 150 navires et 15 000 hommes, et s'empare de Ciutadella de Menorca qui n'est défendue que par une petite garnison de quarante soldats (réduisant en esclavage plus de 4 000 habitants[7]) ; il organise ensuite des raids contre les côtes méditerranéennes espagnoles en compagnie de Piyale Pacha. Le roi Philippe II d'Espagne décide alors de réagir et invite le pape Paul IV et ses alliés européens à entreprendre la reconquête de la ville de Tripoli, possédée par les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem jusqu'en , date à laquelle Dragut s'en empare, exploit qui lui a valu d'être nommé bey de Tripoli par le sultan ottoman Soliman le Magnifique[8].
Forces en présence
[modifier | modifier le code]En 1559, Philippe II autorise les chevaliers de Malte et le vice-roi de Naples à monter une expédition contre Tripoli et l'île de Djerba. Giacomo Bosio, l'historien officiel de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, a indiqué qu'elle comportait 54 galères[9].
Fernand Braudel donne le chiffre de 154 navires de guerre dont 47 galères complétés par des navires de transport[10], constituée d'une coalition composée des républiques de Gênes et Naples, de la Sicile, de Florence, des États pontificaux et de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem[11]. L'un des comptages les plus détaillés est celui de Carmel Testa[12] qui eut accès aux archives de l'Ordre. Il liste précisément 54 galères, sept bricks, 17 frégates, deux galions, 28 navires marchands et douze petits navires.
La flotte se rassemble à Messine sous le commandement du jeune — il a à peine vingt ans — Giovanni Andrea Doria (neveu de l'amiral génois Andrea Doria) puis se dirige vers Malte où elle est bloquée pendant deux mois par le mauvais temps. Durant cette période, quelque deux mille hommes périssent en raison de diverses maladies[13]. Le , la flotte appareille pour Tripoli. Le nombre précis de soldats embarqués n'est pas connu. Braudel donne pour sa part le nombre de dix mille à douze mille, Testa quatorze mille alors que des sources plus anciennes donnent un chiffre supérieur à vingt mille, une exagération au regard du nombre d'hommes que peut contenir une galère du XVIe siècle[13],[14],[10].
Bien que l'expédition n'accoste pas loin de Tripoli, le manque d'eau, la maladie et une violente tempête poussent les commandants à abandonner leurs objectifs d'origine et, le , ils appareillent vers l'île de Djerba qu'ils prennent rapidement. Le vice-roi de Sicile, Don Juan de la Cerda y Silva (es), duc de Medina Coeli, entreprend des aménagements du borj El Kebir. À ce moment-là, une flotte ottomane d'environ 86 galères et galions, placés sous le commandement de l'amiral ottoman Piyale Pacha, est déjà en route depuis Constantinople. Cette flotte arrive à Djerba le , à la surprise des forces chrétiennes[15].
Bataille
[modifier | modifier le code]La bataille est une affaire d'heures : près de la moitié des galères chrétiennes sont prises ou coulées. Anderson[11] donne le bilan total des pertes chrétiennes à 18 000 mais Guilmartin[15] les réduit à environ 9 000 dont près des deux tiers sont des rameurs.
Les survivants trouvent refuge dans le fort qui est rapidement attaqué par les forces combinées de Piyale Pacha et Dragut (qui a rejoint Piyale Pacha au cours du troisième jour) mais pas avant que Giovanni Andrea Doria réussisse à s'échapper dans un petit navire. Après un siège de trois mois, la garnison se rend et, selon Bosio, Piyale Pacha ramène 5 000 prisonniers à Constantinople, dont le commandant espagnol, Don Álvaro de Sande, qui avait pris le commandement de la flotte chrétienne après la fuite de Doria[16]. Les circonstances des derniers jours de la garnison assiégée sont contradictoires[16]. Par exemple, selon ce que Ogier Ghislain de Busbecq, l'ambassadeur autrichien à Constantinople, raconte dans ses Lettres turques, reconnaissant la futilité de la résistance armée, de Sande essaya de s'échapper dans un petit bateau mais fut rapidement capturé[17] mais d'autres documents laissent penser qu'il dirige une tentative de sortie le et se fait alors capturer[18].
Une tour composée, suivant les récits, de 6 000 crânes et d'ossements[19], dite « Borj-er-Rous »[20], est érigée par Dragut en célébration de cette bataille[21]. Elle est détruite en 1848 par ordre du bey de Tunis Ahmed Ier, dans le cadre de relations avec divers représentants européens[22], et les restes humains — l'édifice dans lequel on dénombre un millier de crânes comporte également des ossements d'animaux[23] — sont enterrés dans le cimetière catholique de Houmt Souk[24]. Un obélisque, rappelant son existence, est édifié à l'emplacement de la tour en 1906[25].
Conséquences
[modifier | modifier le code]La bataille de Djerba représente l'apogée de la domination navale des Ottomans en Méditerranée qui grandissait depuis leur victoire à la bataille de Prévéza 22 ans plus tôt. Ils assiègent ensuite la nouvelle base de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem en 1565 (après l'avoir chassé de Rhodes en 1522) mais perdent cette bataille décisive. Il faut attendre la destruction d'une large flotte ottomane à la bataille de Lépante en 1571 pour que la réputation d’invincibilité des Ottomans s'effondre[26].
Toutefois, à la suite de la prise de Chypre en 1571[27], les Ottomans parviennent à reconstruire leur flotte en moins d'un an et prennent Tunis aux Espagnols et à leurs vassaux hafsides en 1574[28].
Références
[modifier | modifier le code]- (en) Matthew Carr, Blood and Faith : The Purging of Muslim Spain, New York, New Press, , 350 p. (ISBN 978-1-59558-361-1, lire en ligne), p. 121.
- (en) William Stewart, Admirals of the World : A Biographical Dictionary, 1500 to the Present, Jefferson, McFarland, , 341 p. (ISBN 978-0-7864-8288-7, lire en ligne), p. 240.
- Nikandros Noukios, Le voyage d'Occident, Toulouse, Anacharsis, , 283 p. (ISBN 978-2-914777-07-0, lire en ligne), p. 36.
- Baptistin Poujoulat, Histoire de Constantinople, comprenant le Bas-Empire et l'Empire ottoman, vol. 1, Paris, Amyot, (lire en ligne), p. 87.
- (en) The Middle East and North Africa 2003, Londres/New York, Europa Publications, , 1286 p. (ISBN 978-1-85743-132-2, lire en ligne), p. 748.
- Setton 1984, p. 555.
- Carr 2009, p. 120.
- Setton 1984, p. 698 et suiv..
- (en) Giacomo Bosio, History of the Knights of St. John, t. XV, J. Baudoin, , p. 456.
- (en) Fernand Braudel, The Mediterranean and the Mediterranean World in the Age of Philip II, Berkeley, University of California Press, , 1375 p. (ISBN 978-0-520-20330-3, lire en ligne), p. 1008.
- (en) R. C. Anderson (en), Naval Wars in the Levant, 1559-1853, vol. I, Princeton, Princeton University Press, .
- (en) Carmel Testa, Romegas, vol. I, Malte, Midsea Books, .
- (en) Gregory Hanlon (en), The Twilight Of A Military Tradition : Italian Aristocrats And European Conflicts, 1560-1800, Londres/New York, Routledge, , 384 p. (ISBN 978-1-135-36143-3, lire en ligne), p. 16.
- (en) Jan Glete (en), Warfare at Sea, 1500-1650 : Maritime Conflicts and the Transformation of Europe, New York, Psychology Press, , 231 p. (ISBN 978-0-415-21454-4, lire en ligne), p. 103.
- (en) John Guilmartin, Gunpowder and Galleys, vol. I, Cambridge, Cambridge University Press, .
- Braudel 1995, p. 978-987.
- (en) Ogier Ghislain de Busbecq, Life and Letters, vol. I, Genève, Slatkine, .
- Braudel 1995, p. 984.
- Azzedine Guellouz, Abdelkader Masmoudi, Mongi Smida et Ahmed Saadaoui, Histoire générale de la Tunisie, vol. III : Les temps modernes, Tunis, Sud Éditions, , 454 p. (ISBN 978-9973-84-476-7), p. 35.
- « La Tour de Crânes »
- Bernard Bachelot, Louis XIV en Algérie : Gigeri 1664, Paris, L'Harmattan, , 347 p. (ISBN 978-2-296-56347-6, lire en ligne), p. 25.
- Charles Monchicourt, L'expédition espagnole de 1560 contre l'île de Djerba, Paris, Leroux, , 271 p., p. 157-161.
- Monchicourt 1913, p. 157.
- (en) Kenneth Mason (éd.), Tunisia, Londres, Naval Intelligence Division, (lire en ligne), p. 276.
- Monchicourt 1913, p. 162.
- Raymond de Belot, La Méditerranée et le destin de l'Europe, Paris, Payot, , p. 71.
- Paul Balta, Méditerranée : défis et enjeux, Paris, L'Harmattan, , 212 p. (ISBN 978-2-7384-9592-1, lire en ligne), p. 201.
- Nicolas Béranger et Paul Sebag, La régence de Tunis à la fin du XVIIe siècle : mémoire pour servir à l'histoire de Tunis depuis l'année 1684, Paris, L'Harmattan, , 167 p. (ISBN 978-2-7384-1863-0, lire en ligne), p. 12.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Kenneth Setton (en), The Papacy and the Levant (1204-1571), vol. IV : The Sixteenth Century, Philadelphie, American Philosophical Society, , 1179 p. (ISBN 978-0-87169-162-0, lire en ligne), p. 698 et suiv..