Camoufleur — Wikipédia

André Mare, Le canon de 280 camouflé, croquis à l'encre et à l'aquarelle tiré du carnet de guerre no 2 (août – décembre 1915)[1] : œuvre cubiste a destination de l'armée française pendant la Première Guerre mondiale.

Un officier de camouflage, ou camoufleur, est une personne qui conçoit et met en œuvre le camouflage militaire dans l'une des guerres mondiales du XXe siècle.

Le terme désigne à l'origine un artiste servant dans une unité de camouflage militaire française de la Première Guerre mondiale[2]. Le profil de camoufleurs s'est ensuite diversifié à partir de la Seconde Guerre mondiale, puis avec l'évolution du numérique.

En plus de pourvoir les soldats, ces artistes ont également obscurci des cibles potentielles — construire des banlieues artificielles sur le toit d'usines d'avions et même des carcasses de chevaux en papier mâché pour que les tireurs d'élite se cachent à l'intérieur — et ont confondu les sous-marins ennemis en peignant des milliers de navires de guerre avec des motifs saisissants inspirés du cubisme et d'autres mouvements artistiques[3].

Découverte et premières applications pendant la Première Guerre mondiale

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Le Nieuport 16 camouflé pendant la Première Guerre mondiale.
La SS West Mahomet (en) portant un camouflage perturbateur lors de la Première Guerre mondiale.

Bien que proposé pour la première fois par l'artiste et naturaliste américain du XIXe siècle, Abbott Handerson Thayer, le camouflage est apparu pour la première fois dans le domaine militaire à l'époque de la Première Guerre mondiale en France, où les camoufleurs peignaient à la main des motifs pour s'intégrer à l'environnement naturel[3].

Ainsi, avec la découverte de la peinture de camouflage par Louis Guingot, artiste de l'École de Nancy, et par Eugène J.B. Corbin, l'art du camouflage devient une discipline militaire à part entière, basée dans un premier temps à Nancy, ensuite à Toul : « la création de sections de camouflage permet à de nombreux artistes — auxquels la profession ne destinait pas un rôle particulier dans la guerre — de mettre leur talent au service de la France »[4]. C'est le cas de Lucien-Victor Guirand de Scévola, André Dunoyer de Segonzac, Jean-Louis Forain, Henri Royer et Auguste Desch, ce dernier dirigeant un temps l'équipe de camoufleurs installée dans l'arsenal de Toul[4].

La Section de camouflage, fondée en par Lucien-Victor Guirand de Scévola dans l'armée française, a développé de nombreuses techniques nouvelles, dont certaines très dangereuses, telles que la pose d'arbres artificiels camouflés la nuit pour remplacer les arbres réels par des postes d'observation exigus. Le peintre cubiste André Mare a été blessé lors de la préparation d'un tel arbre d'observation. Quinze de ses collègues camoufleurs ont été tués pendant la Première Guerre mondiale[5]. Cependant, « les artistes camoufleurs se sont passionnés pour les travaux qui leur ont été confiés ; ils ont cherché sans cesse à perfectionner les techniques de dissimulation » restitue Cécile Coutin en s'appuyant sur les carnets de notes de Jean-Louis Forain, de Louis de Monard, d'André Mare, d'Henri Bouchard, ou encore les mémoires (non publiées) de Berthold Mahn, tous des documents riches de réflexions passionnantes à ce sujet[6].

Guirand de Scévola s'est beaucoup appuyé sur les artistes cubistes, il l'explique ainsi : « J’avais, pour déformer totalement l’objet, employé les moyens que les cubistes utilisent pour le représenter, ce qui me permit par la suite d’engager dans ma section quelques peintres aptes à dénaturer n’importe quelle forme. » Ainsi, les artistes ont cherché à intégrer la figure au fond, l’objet à son environnement, tout en figurant des objets colorés en trois dimensions sur une surface plane. Pour cela, les techniques cubistes offraient la possibilité de représenter les objets vus sous divers angles tout en les intégrant à l'arrière-plan, notamment par l'usage idoine des couleurs ; sans perspective à point de vue unique, les volumes ressortent quel que soit l'éclairage naturel[7].

Un des trois ateliers de camouflage dépendant du 1er régiment du génie s'installe à Chantilly en 1917 dans des baraquements spécialement construits sur la petite pelouse, auprès de l'hippodrome. Jusqu'à 1 200 femmes mais aussi 200 prisonniers de guerre allemands et 200 travailleurs annamites sont embauchés pour peindre des toiles servant à la protection visuelle des pièces d'artillerie et transports de troupes[8]. Berthold Mahn, qui se trouve dans cette unité de Chantilly, l'évoque ainsi :

« L'ensemble des ateliers sortait chaque jour au moins quatre kilomètres de ces rideaux de verdure artificielle. Leur principale fonction était de camoufler des routes sur lesquelles l'ennemi avait des vues directes. À leur abri, les troupes passaient, invisibles. Les toiles peintes, employées aussi à cet usage, servaient plutôt à recouvrir les tranchées, les abris, les canons, etc. Les camions arrivaient et repartaient sans arrêt, chargés par les prisonniers, et nos fabrications restaient toujours inférieures aux besoins du front qui étaient immenses[9]. »

Certains camoufleurs comme Solomon Joseph Solomon, 54 ans au début de la Première Guerre mondiale, pensaient que des compétences artistiques étaient nécessaires pour concevoir ou construire un camouflage efficace. Il a écrit que « le camoufleur est, bien sûr, un artiste, de préférence celui qui peint ou sculpte des sujets imaginatifs (...) Il ne doit laisser aucun indice au détective de l'autre côté dans ce qu'il conçoit ou exécute, et il doit avant tout être ingénieux. Mais son imagination et son inventivité devraient être libres[a]. »

Développement technologique pendant la Seconde Guerre mondiale

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Une photographie recolorée d'un soldat d'une division SS-Grenadier Panzer (en Normandie, 1944), portant une veste à motifs perturbateurs Erbsentarn. La photographie a été colorée après avoir été prise en noir et blanc, donc les couleurs ne reflètent pas parfaitement le motif.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les officiers de camouflage britanniques du Conseil administratif du Commandement du camouflage au Moyen-Orient (en), dirigés par Geoffrey Barkas (en) dans le désert occidental, se font appeler « camoufleurs » et éditent un bulletin humoristique appelé The Fortnightly Fluer[11],[12]. Ces hommes sont souvent des artistes professionnels. Le terme est utilisé par extension pour tous les spécialistes du camouflage de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C'est dans ces contextes que beaucoup de techniques de camouflage innovantes ont été créées.

L'artiste surréaliste Roland Penrose a écrit que lui et Julian Trevelyan se demandaient « comment l'un ou l'autre [pouvaient] être utiles dans une activité si complètement étrangère à [eux] comme mener une guerre, [ils ont] décidé que peut-être [leur] connaissance de la peinture devait trouver une application dans le camouflage[b] ». Trevelyan a admis plus tard que leurs premiers essais étaient trop « amateurs »[14]. Le travail de camouflage n'était pas une garantie d'un passage sûr à travers la guerre.

Tous les camoufleurs n'étaient pas des artistes : John Graham Kerr et Hugh B. Cott (en) étaient zoologistes, bien que ce dernier était également un illustrateur qualifié. Les deux hommes croyaient passionnément qu'un camouflage perturbateur efficace était vital, en particulier face à l'observation aérienne, mais ils avaient du mal à convaincre des autorités telles que le Britannique Air Ministry que leur approche était la bonne. Au moins un officier de la Royal Air Force a estimé que le camouflage de Cott était très efficace, mais trop coûteux à mettre en place, car il exigerait la présence d'un artiste qualifié pour chaque installation[15].

Développement du camouflage numérique

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En 1976, l'Américain Timothy O'Neill (en) a créé un motif pixellisé nommé Dual-Tex ; il a appelé cette approche numérique texture match. Les premiers travaux ont été effectués à la main sur un véhicule de transport de troupes M113 sur un terrain d'essais. O'Neill a peint le motif avec un rouleau de 5 cm, formant des carrés de couleur à la main. À distance, les carrés ont fusionné en un motif plus grand, brisant le contour du véhicule et le faisant se fondre dans le fond des arbres ; de plus près, le motif réussit à imiter des détails plus petits du paysage, apparaissant comme des feuilles, des touffes d'herbe et des ombres[16],[17]. Selon O'Neill, « il est préférable d'adapter les caractéristiques spatiales et la palette de couleurs d'un motif de camouflage à l'environnement spécifique et à la position tactique où ceux qui utilisent le camouflage seraient enclins à se cacher[c]. »

Camoufleurs notables

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Première Guerre mondiale

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Photographie de Lucien-Victor Guirand de Scévola assis devant son chevalet, de profil.
Lucien-Victor Guirand de Scévola, fondateur de l'unité de camouflage précurseur de l'armée française pendant la Première Guerre mondiale

Seconde Guerre mondiale

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Roland Penrose en 1973.

Après les guerres mondiales

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Motif MARPAT, créé en 2001 et mis en service l'année suivante[61].

Notes et références

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Notes
  1. Citation originale en anglais : « the camoufleur is, of course, an artist, preferably one who paints or sculpts imaginative subjects (...) He must leave no clues for the detective on the other side in what he designs or executes, and he must above all things be resourceful. But his imagination and inventiveness should have free play[10]. »
  2. Citation originale en anglais : « wondering how either of us could be of any use in an occupation so completely foreign to us both as fighting a war, we decided that perhaps our knowledge of painting should find some application in camouflage[13]. »
  3. Citation originale en anglais : « it is best to tailor the spatial characteristics and color palette of a camouflage pattern to the specific environment and tactical position where those using the camouflage would be inclined to hide[18]. »
  4. Voir le motif Platanenmuster sur Wikimedia Commons.
  5. Voir le motif erbsenmuster sur Wikimedia Commons.
Références
  1. « Diffusion du documentaire « André Mare, carnets de guerre d’un caméléon » dimanche 14 septembre sur France 5 », sur imec-archives.com, (consulté le ).
  2. Newark 2007, p. 56.
  3. a et b (en) Bryan Rindfuss, « Blue Star Sheds Light on the History of Camouflage with a Screening of ‘Deception by Design’ », sur sacurrent.com, (consulté le ).
  4. a et b Frédéric Thiéry, « La première veste de camouflage du monde est inventée par Louis Guingot », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 227, Presses universitaires de France, 2007.
  5. Newark 2007, p. 54–56.
  6. Cécile Coutin, « L’histoire du camouflage »,
  7. Claire Le Thomas, « Cubisme et camouflage », sur histoire-image.org, (consulté le ).
  8. Département d’histoire locale du centre culturel Marguerite Dembreville de Chantilly, Les p'tites camoufleuses de Chantilly, Notice sur l’atelier de camouflage de l’armée française en 1917-18 à Chantilly (Oise), 2008, [lire en ligne].
  9. Nadine Laval, « Camoufleurs, les caméléons des tranchées », Picardia, l'encyclopédie picarde
  10. a et b Newark 2007, p. 60.
  11. Forsyth 2012, p. 250–251.
  12. Sykes 1990, p. 78–79.
  13. Forbes 2009, p. 137–138.
  14. Forbes 2009, p. 143–144.
  15. Forbes 2009, p. 140, 145.
  16. (en) Vincent Fusco, « West Point explores science of camouflage », sur U. S. Army, .
  17. (en) Pagan Kennedy, « Who Made That Digital Camouflage? », The New York Times,‎ (lire en ligne).
  18. (en) « Afghan National Army : DoD May Have Spent Up To $ 28 Million More Than Needed To Procure Camouflage Uniforms That May Be Inappropriate For The Afghan Environment », sur SIGAR, , qui cite : (en) Timothy O'Neill, Innovative camouflage measures for the United States Marine Corps, MARCORSYSCOM under Sverdrup Technology Agreement Number 0965-36-01-C1, p. 36.
  19. Forbes 2009, p. 104.
  20. a b c et d (en) Roy Behrens, False Colors. Art, Design and Modern Camouflage, Dysart, 2002.
  21. Forbes 2009, p. 84–88.
  22. Susanna Partsch (trad. Geneviève Lohr), Paul Klee : 1879-1940, Taschen, (ISBN 978-3-8228-0903-7, lire en ligne), « La première guerre mondiale », p. 35.Voir et modifier les données sur Wikidata
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  25. Newark 2007, p. 68.
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Bibliographie

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  • (fr) Nicole Zapata-Aubé, Danielle Delouche et al., André Mare : Cubisme et camouflage 1914-1918, .
    Catalogue de l’exposition du Musée municipal des Beaux-Arts de Bernay reprise à l’Arc de Triomphe de l’Étoile à Paris, l’année 1998 et enfin présentée au Musée Royal de l’Armée à Bruxelles en 1999.

Filmographie

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  • (fr) Frédéric Tonolli et Laurence Graffin, André Mare, carnets de guerre d’un caméléon, documentaire français de 52 min diffusé sur France 5 le (présentation en ligne).
  • (en) Jonnie Morris, Deception by Design, documentaire australien d'1 h sorti en 2015.

Articles connexes

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Liens externes

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