Déclassement — Wikipédia
Le déclassement est en sociologie le fait de descendre l'échelle sociale, pour un individu, un groupe ou une catégorie. Le déclassement peut être une conséquence d'une mobilité sociale descendante. Il peut se référer en particulier à la hiérarchie des classifications en vigueur sur le marché du travail. En France une référence de la classification de l'emploi par rapport au diplôme obtenu est donnée par le Répertoire national des certifications professionnelles.
Le déclassement peut être constaté à différents niveaux, individuel par surqualification par rapport à l'emploi occupé, intragénérationnel sur perte ou changement d'emploi, ou intergénérationnel quand on compare les positions sociales d'une génération donnée à celles des parents. Il peut être étudié à un temps donné ou au cours d'une période déterminée, il objective une dynamique sociale.
Contexte
[modifier | modifier le code]Le déclassement est un objet sociologique depuis les années 1960, bien qu'à l'époque des trente glorieuses le sujet ne fasse pas partie des sujets de préoccupations car de manière majoritaire les enfants acquièrent une meilleure position sociale que leurs parents grâce au dynamisme économique en cours. Le déclassement conquiert les champs politique et médiatique à l'occasion des crises qui s'enchaînent[1].
Les périodes de fort développement économique s'accompagnent d'une transition des besoins vers une plus grande proportion d'emplois qualifiés, et à l'inverse une réduction significative de la demande de main d'œuvre non qualifiée, du fait des hausses de productivité. Cette situation rend possible une mobilité sociale presque uniquement ascendante : la demande d'emploi qualifiés pouvant absorber à la fois les enfants de ceux qui occupaient déjà ce type d'emploi et ceux dont les parents avaient une position sociale moins élevée[2].
Le débat sur la "panne" de l'ascenseur social apparaît dans les années 1990[3]. Selon la journaliste Béatrice Mathieu le mot "déclassement" synthétise la crise politique, économique et sociale qui frappe la France en 2024[4].
Le terme de déclassement est employé à la fois dans le cadre d'une perte, d'emploi, de statut social, ou une situation dans laquelle l'emploi occupé n'est pas au niveau de ceux promis par son niveau de formation, et au niveau collectif et intergénérationnel il qualifie le fait pour une part des représentants d'une génération de ne pas parvenir à un emploi, une position sociale, une qualification ou seulement un pouvoir d'achat de même niveau que ceux des parents[5]. Il est une conséquence d'une mobilité sociale descendante ou (anglicisme) démotion sociale.
Facteurs explicatifs
[modifier | modifier le code]De nombreux facteurs entre en jeux expliquant le développement du déclassement ressenti[3] :
- le ralentissement de la croissance économique
- la globalisation du marché du travail
- les inégalités de revenu et la hausse de la pauvreté ;
- la discrimination à l'embauche
- le décrochage des territoires
- le décrochage scolaire,
- la hausse de l'inflation
Déclassement individuel
[modifier | modifier le code]Les personnes en surqualification par rapport à l'emploi occupé subissent un déclassement relatif au niveau de diplôme atteint. Il y a une perte ressenti du statut social[3].
Depuis les années 1990, les perspectives d'ascension sociale se dégradent avec le sentiment de dévalorisation et de moindre rentabilité des diplômes. Ce ressenti est particulièrement vécu par les classe moyennes. En 1960, le baccalauréat était la clé d'entrée dans les classes moyennes intermédiaires pour 60 % de la population des bacheliers. Aujourd'hui, pour le même diplôme, 75 % des bacheliers se retrouvent dans la catégorie employés ou ouvriers, ou éventuellement chômeurs[3],[6]. La licence qui menait très majoritairement à l’emploi cadre dans les années 70 , conduit désormais très majoritairement aux emplois de qualification intermédiaire (professions intermédiaires, dont techniciens, agents de maîtrise). En 2017, tous les détenteurs d’un Master ou même d’un diplôme d’ingénieur ne sont pas cadre[7],[8]
En 2024, environ un salarié sur cinq est en France en situation de déclassement professionnel[3].
Une convention fait correspondre un niveau de qualification professionnelle (de diplôme) à un type d'emploi. Cette correspondance peut néanmoins avoir une réalité statistique ou être plutôt une norme sociale voire subjective[9].
L'augmentation du niveau général de formation dans un pays entraîne une inflation des diplômes qui ne se trouvent plus en adéquation avec les emplois disponibles[10].
Selon le sociologue Louis Chauvel dans un entretien au journal Le Monde, en Italie, en Espagne, en Grèce, et en France, les jeunes ont bénéficié d'une très forte croissance des diplômes, mais les emplois correspondants ont connu une croissance beaucoup plus lente, depuis plusieurs décennies[6].
Déclassement intragénérationnel
[modifier | modifier le code]Le déclassement intragénérationnel concerne différemment les personnes d'une même génération[3]. Par exemple, quand un travailleur perd son emploi et se retrouve dans une catégorie sociale plus basse[6].
Selon une étude du CEREQ, « le déclassement intra générationnel consiste à comparer pour un même individu sa situation à deux moments, ceci pour constater ou non une mobilité sociale [...] descendante, par exemple un technicien qui devient ouvrier »[8].
Déclassement intergénérationnel
[modifier | modifier le code]Le déclassement au niveaux niveau intergénérationnel se présente quand les nouvelles générations ont un pouvoir d’achat inférieur à celui de leurs parents, voire de leurs grands-parents. C'est le cas, par exemple, de certains enfants de Baby boomers[3]. La dégradation des contrats de travail et des formes d'emploi (intérimaires, contrats à durée déterminée, contrats aidés, stagiaires) pour les nouvelles générations entraine aussi un déclassement[11].
Selon Camille Peugny, le ralentissement ou la fin de période de développement économique fait apparaître le déclassement, qui est alors le pendant de la mobilité sociale ascendante précédente[2].
A titre d'exemple, 24 % des fils de cadre nés entre 1959 et 1963 sont employés ou ouvriers à l'âge de 40 ans, 23 % d'entre eux occupent une profession intermédiaire. La proportion de fils de cadre confrontés au déclassement est de ce fait supérieure à 45 %. Il n'y a pas de contrepartie par une promotion sociale accrue pour les enfants d'ouvriers et d'employés qui accederai à une profession intermédiaire ou un emploi de cadre à 40 ans[11].
Dès 2011, Louis Chauvel alarme sur les difficultés de la jeunesse qui a servi de variable d'ajustement : « Chômage record, baisse des salaires et des niveaux de vie, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit (stages, piges, free-lance, exonération de charges, etc.), nouvelle pauvreté de la jeunesse, état de santé problématique et faible recours aux soins, absence d'horizon lisible ». Pour lui, il s'agit donc de la régression du système social dans son entier qui dépasse les trajectoires individuelles. Il relève un « déclassement systémique » de la jeunesse[12],[13].
Références
[modifier | modifier le code]- Marion Dupont, Marion Bothorel, Adèle Ponticelli, « La peur du déclassement, carburant des populismes ? », sur « Chaleur humaine», Le Monde, (consulté le )
- Camille Peugny, Le déclassement , Grasset, 28 janv. 2009 - 180 pages
- « Crainte du déclassement : vraie ou fausse fin de l’ascenseur social ? », sur vie-publique.fr, (consulté le )
- « Crise politique et déclassement économique », sur Radio France, France Inter, Histoires économiques, (consulté le )
- Voir pp. 7-13 in Boisson, Marine (rapport coordonné par) La mesure du déclassement, Rapports et documents, n°20, Centre d'analyse stratégique, 2009, 145 pp.
- « "La valeur des diplômes a très fortement décliné en trente ans" », sur LeMonde.fr, (consulté le )
- Alice Raybaud, « Même un master n’offre plus la certitude d’une entrée facile sur le marché de l’emploi », sur LeMonde.fr, (consulté le )
- Philippe Lemistre, « Déclassements et reclassements selon le diplôme et l’origine sociale » [PDF], sur Cereq.fr, (consulté le )
- Forgeot Gérard et Gautié Jérôme Insertion professionnelle des jeunes et processus de déclassement. In: Économie et statistique, n°304-305, avril 1997. pp. 53-74.
- Nauze-Fichet, Emmanuelle et Tomasini, Magda. Diplôme et insertion sur le marché du travail : approches socioprofessionnelle et salariale du déclassement suivi d'un commentaire de Saïd Hanchane et Eric Verdier. In: Économie et statistique, n°354, novembre 2002. pp. 21-43 & 45-48. Consulté le 28 décembre 2013
- Camille Peugny, « Non, la montée du déclassement n'est pas un mythe, par Camille Peugny », sur LeMonde.fr, (consulté le )
- Louis Chauvel, « Les jeunes sont mal partis », sur LeMonde.fr, (consulté le )
- Louis Chauvel, « Inégalités entre les générations : la jeunesse française est-elle sacrifiée ? », sur LeMonde.fr, (consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Audio
[modifier | modifier le code]- Marion Dupont, « La peur du déclassement, carburant des populismes ? » [audio], sur « Chaleur humaine», Le Monde, .