Mode dorien — Wikipédia

Gamme de do dorien Jouer.

Le mode dorien peut se référer à trois notions très différentes mais interreliées : celle de l'harmoniai en Grèce antique (comportement mélodique caractéristique, ou gamme associée) ; celle médiévale de modes musicaux ; ou, plus communément, celle de gammes diatoniques modernes, correspondant aux notes naturelles de ré à ré (justifiant ainsi son nom de mode de ré), ou n'importe quelle transposition de celle-ci, par exemple la gamme de do à do avec un sibémol et un mibémol.

Mode dorien grec

[modifier | modifier le code]
Le mode dorien grec (genre enharmonique) de mi, divisé en deux tétracordes.
Le mode dorien grec (genre chromatique) de mi.
Le mode dorien grec (genre diatonique) de mi.

Le mode dorien (proprement harmonia ou tonos) est nommé d'après les Grecs Doriens. Appliqué sur une octave complète, le type d'octave dorien a été construit sur deux tétracordes (segments de quatre notes) séparé par un ton, partant du hypate meson jusqu'au nete diezeugmenon. Dans le genre enharmonique, les intervalles dans chaque tétracorde sont quart-de-ton/quart-de-ton/tierce majeure ; dans le genre chromatique, demi-ton/demi-ton/tierce mineure; dans le genre diatonique, demi-ton/ton/ton. Dans le genre diatonique, la séquence au-delà de l'octave est la même que celle produite en jouant les notes blanches du piano en montant de mi à mi : mi fa sol la | si do ré mi[1], une séquence équivalente au mode phrygien moderne. Disposer un ton isolé en bas de la gamme suivi par deux tétracordes conjoints (de sorte que la note supérieure du premier tétracorde est aussi la note inférieure du second), produit le type d'octave hypodorien ("sous-dorien") : la | si do ré mi | (mi) fa sol la. Disposer les deux tétracordes ensemble et le ton isolé en haut de la gamme produit le type d'octave mixolydien, une séquence de notes équivalent au mode locrien moderne[2].

Mode dorien médiéval et mode dorien moderne

[modifier | modifier le code]

Mode dorien médiéval

[modifier | modifier le code]

L'Église byzantine primitive développa un système de huit modes musicaux (L'Octoéchos), qui servit de modèle pour les théoriciens européens médiévaux du chant quand ils développèrent leur propre système de classification modal dès le IXe siècle[3]. Le succès de la synthèse occidentale de ce système avec des éléments tirés du quatrième livre de De institutione musica par Boèce (ou Boethius), créa la fausse impression que l'oktōēchos byzantin fut directement hérité de la Grèce antique[4]. Initialement utilisé pour désigner un des traditionnels harmoniai de la théorie grecque (un terme avec des significations variées, dont le sens d'une octave constituée de huit tons), le nom fut emprunté (avec les six autres) par le théoricien du IIe siècle, Ptolémée, pour désigner ses sept tonoi, ou clefs de transposition. Quatre siècles plus tard, Boethius interpréta Ptolémée en latin, avec encore le sens de clefs de transposition, et non de gamme. Quand la théorie du chant a été formulée pour la première fois au IXe siècle, ces sept noms plus un huitième, hypermixolydien (plus tard changé en hypomixolydien), furent encore réappropriés dans le traité anonyme Alia Musica. Un commentaire sur ce traité, appelé le Nova expositio, donna le premier son nouveau sens comme celui d'un ensemble de huit types d'octave diatoniques, ou gammes. Dans la théorie médiévale, le mode dorien authentique pouvait inclure la note sibémol "par licence", en plus du sibécarre[5]. La même échelle, mais démarrant à une quarte ou une quinte en dessous du mode final ré, et se prolongeant une quinte au-dessus (ou une sixte, en terminant sur un sibémol), fut numéroté comme le mode 2 dans le système médiéval. Il s'agissait du mode plagal correspondant à l'authentique mode dorien, et était appelé le mode hypodorien[6]. Dans la forme non transposée en ré, dans les formes à la fois authentique et plagal, la note do est souvent rehaussée à dodièse pour former un ton maître, et le degré variable de sixte est en général le sibécarre en montant et sibémol en descendant[7].

Mode dorien moderne

[modifier | modifier le code]
Gamme de ré dorien moderne.

Construction mélodique

[modifier | modifier le code]

Le mode dorien moderne (aussi appelé mineur russe par Balakirev[8]), est une gamme diatonique correspondant au schéma suivant :

Ton - ½ton - Ton - Ton - Ton - ½ton - ton

ou de façon abrégée :

1-½-1-1-1-½-1

Le mode dorien est une gamme symétrique, voulant dire que le schéma des tons et demi-tons (1-½-1-1-1-½-1) est le même en montant qu'en descendant.

Constructions harmoniques relatives

[modifier | modifier le code]
Intervalles par rapport à la tonique
[modifier | modifier le code]

Il est possible de le concevoir comme une gamme mineure (tierce mineure) avec une sixte majeure ; la septième mineure, la seconde majeure, la quarte juste et la quinte juste de la gamme mineure naturelle n'étant pas altérées : schéma 2M 3m 4J 5J 6M 7m ou m-7-9-11-13).

À la gamme majeure
[modifier | modifier le code]

Il peut être considéré comme un "extrait" de la gamme majeure jouée un ton au-dessus de la tonique de la gamme majeure (dans la clef de do majeur ce serait ré, mi, fa, sol, la, si, do, ré), c'est-à-dire une gamme majeure jouée depuis son deuxième degré jusqu'à son deuxième degré. La gamme résultante est, cependant, qualifiée mineure, car, puisque le "ré" devient le nouveau centre tonal, le fa qui est une tierce mineure au-dessus du ré devient la nouvelle médiante, ou troisième degré. Si une triade est construite à partir de la tonique, c'est une triade mineure.

À la gamme mineure naturelle
[modifier | modifier le code]

Le mode dorien moderne est équivalent à la gamme mineure naturelle (ou mode éolien) mais avec un sixième degré augmenté d'un demi-ton (6M ou 13 à l'octave). De façon déroutante, le mode dorien moderne ressemble à l'harmonia phrygienne dans le type diatonique. (Il doit également être noté que le type diatonique de l' harmonia dorienne ressemble au mode phrygien moderne).

La seule différence entre la gamme dorienne et la gamme éolien est selon que la sixte est majeure ou mineure (mineure en éolien, majeure en dorien). Les triades I, IV, et V du mode dorien sont respectivement mineur, majeur, et mineur (i-IV-v), contrairement au tout mineur (i-iv-v) en éolien. Dans les deux modes, dorien et éolien, strictement appliqués, la triade dominante est mineure ; contrairement à la triade dominante du ton mineur (harmonique), qui est normalement majeure. Il est aussi utile de noter que le sixième degré de la gamme est souvent augmenté dans la musique mineure (par exemple avec la septième en ascendant), comme il est diminué en mode dorien (voir gamme mineure mélodique).

À la gamme mineure mélodique ascendante
[modifier | modifier le code]

Le mode dorien est harmoniquement similaire au mode mineur mélodique ascendant, à l'exclusion du septième degré qui est mineur en dorien.

Au mode mixolydien et dénomination de mode jazz mineur
[modifier | modifier le code]

Le mode dorien est très proche du mode mixolydien à la seule différence de la médiante (à distance de tierce de la tonique). Du fait que le mode mixolydien est abondamment utilisé en jazz (car permettant l'improvisation sur l'accord de septième de dominante), de cette similarité du dorien avec le mixolydien, et de l'utilisation du dorien en jazz, le dorien est aussi connu comme le mode jazz mineur.

Effets harmoniques

[modifier | modifier le code]
Accord de dominante
[modifier | modifier le code]

En dorien, l'accord de dominante est mineur, alors que majeur en mode mineur harmonique. Par conséquent, l'accord de septième perd donc la dissonance lié au triton entre sa tierce et sa septième et le caractère d'accord de septième de dominante (fonction de dominante).

Accord de sous-dominante
[modifier | modifier le code]

Une seconde différence harmonique est que l'accord de sous-dominante devient majeur en mode dorien (mais mineur en clefs mineurs) du fait du sixième degré qui devient majeur. L'accord de sous-dominante majeur donne ainsi au mode dorien une tonalité plus brillante que le mineur naturel. De plus, la sus-dominante rehaussée est à un triton de la médiante mineure, ce qui confère à la sous-dominante une qualité d'accord de dominante.

Exemples de transpositions

[modifier | modifier le code]

Fichier audio
"Le mode dorien moderne, en la"
noicon
Une guitare acoustique jouant un schéma basique ascendant-descendant en mode dorien. L'enregistrement est en clef de la.
Des difficultés à utiliser ces médias ?
Des difficultés à utiliser ces médias ?
Des difficultés à utiliser ces médias ?

Exemples de modes doriens :

  • le mode dorien de ré, qui contient toutes les mêmes notes que la gamme majeure de do

en partant du ré.

  • le mode dorien de sol, qui contient toutes les mêmes notes que la gamme de fa majeure

en partant du sol (donc un bémol : sibémol).

  • le mode dorien de labémol, qui contient toutes les notes que la gamme majeure de solbémol en partant

du labémol.

Compositions notables en mode dorien

[modifier | modifier le code]

Traditionnelle

[modifier | modifier le code]

Avant Garde

[modifier | modifier le code]

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. Thomas J. Mathiesen, "Greece, §I: Ancient: 6. Music Theory: (iii) Aristoxenian Tradition: (d) Scales". The New Grove Dictionary of Music and Musicians, second edition, edited by Stanley Sadie et John Tyrrell (Londres, Macmillan Publishers, 2001).
  2. Thomas J. Mathiesen, "Greece, §I: Ancient: 6. Music Theory: (iii) Aristoxenian Tradition: (e) Tonoi and Harmoniai". The New Grove Dictionary of Music and Musicians, second edition, edited by Stanley Sadie et John Tyrrell (Londres, Macmillan Publishers, 2001).
  3. Harold S. Powers, "Mode, §II: Medieval modal theory, 2: Carolingian synthesis, 9th–10th centuries", The New Grove Dictionary of Music and Musicians, second edition, edited by Stanley Sadie et John Tyrrell (Londres, Macmillan Publications; New York: Grove’s Dictionaries of Music, 2001). (ISBN 978-1-56159-239-5)
  4. Peter Jeffery, "Oktōēchos", The New Grove Dictionary of Music and Musicians, second edition, edited by Stanley Sadie et John Tyrrell (Londres, Macmillan Publications; New York: Grove’s Dictionaries of Music, 2001). (ISBN 978-1-56159-239-5)
  5. Harold S. Powers, "Dorian", The New Grove Dictionary of Music and Musicians, second edition, 29 vols., edited by Stanley Sadie et John Tyrrell (Londres, Macmillan Publishers, 2001): 7:507. (ISBN 978-1-56159-239-5)
  6. Harold S. Powers, "Hypodorian", The New Grove Dictionary of Music and Musicians, second edition, 29 vols., edited by Stanley Sadie et John Tyrrell (Londres, Macmillan Publications, 2001): 12:36–37. (ISBN 978-1-56159-239-5)
  7. Felix Salzer and Carl Schachter, Counterpoint in Composition: The Study of Voice Leading (New York: Columbia University Press, 1989): 10. (ISBN 0-231-07039-X).
  8. Richard Taruskin, « From Subject to Style: Stravinsky and the Painters », dans Confronting Stravinsky: Man, Musician, and Modernist, éd. de Jann Pasler, p. 16–38 (Berkeley, Los Angeles/Londres, University of California Press, 1986) p. 33. (ISBN 0-520-05403-2).
  9. a et b Ger Tillekens, "Marks of the Dorian Family" Soundscapes, n° 5 (novembre 2002) (consulté le 30 juin 2009).
  10. Michael Steinberg, Notes on the Quartets, in The Beethoven Quartet Companion, edited by Robert Winter and Robert Martin, (Berkeley: University of California Press, 1994): 270. (ISBN 978-0-520-20420-1); (OCLC 27034831).
  11. a b et c Ronald Herder, 1000 Keyboard Ideas, (Katonah, NY: Ekay Music, 1990): 75. (ISBN 978-0-943748-48-1).
  12. Barry Dean Kernfeld, The New Grove Dictionary of Jazz (New York: Macmillan Publishers, 2002): 785. (ISBN 1-56159-284-6) (OCLC 46956628).
  13. Wayne Chase, « How Keys and Modes REALLY Work », Roedy Black Publishing, Inc.), (Vancouver, BC (consulté le )
  14. Richard Lawn et Jeffrey L. Hellmer, Jazz: Theory and Practice (Los Angeles: Alfred Publishing, 1996): 190. (ISBN 0-88284-722-8).
  15. Alan W. Pollack, « Notes on Eleanor Rigby » (consulté le )
  16. Bill T. Roxler, « Thoughts on Eleanor Rigby » (consulté le )