Droit d'outre-mer (France) — Wikipédia
Le droit d'outre-mer français est la branche du droit français pratiquée dans la France d'outre-mer. Son histoire remonte au droit colonial français[1]. Les différents territoires connaissent une diversité de statuts. Il est censé être identique au droit français de l'Hexagone, mais il en diffère[2],[3].
Histoire
[modifier | modifier le code]Le passage de l'expression de « droit colonial » à celle de « droit d'outre-mer » a historiquement été proposé par des professeurs de droit français spécialisés dans les questions ultramarines. Parmi eux, Louis Rolland, Pierre Lampué, François Luchaire, et Pierre-François Gonidec, tous enseignants dans l'Hexagone, ont rédigé des manuels largement diffusés. Avant les indépendances, ils se concentraient sur le droit colonial, mais après, ils se sont spécialisés dans le droit africain ou international. Dès 1946, ils préconisent l'utilisation de l'expression « droit d'outre-mer », bientôt suivis par les programmes officiels des facultés de droit. Ce changement sémantique est d'inspiration libérale. En examinant les caractéristiques du droit d'outre-mer tel que présenté par la doctrine, on constate malgré tout qu'il partage de nombreuses similitudes avec le droit colonial. Toutefois, deux nouveautés émergent dans leur pensée de ce droit : un certain réalisme juridique, et une notion d'égalité englobant non seulement les individus mais aussi les populations et les territoires. Cette conception égalitaire se heurte cependant aux limites de l'Union française mise en place en 1946, critiquée par certains juristes pour son manque d'égalité réelle[4].
Statuts
[modifier | modifier le code]Départements et régions d'outre-mer
[modifier | modifier le code]Les départements et régions d'outre-mer (DROM) sont régis par l'article 73 de la Constitution. Ce statut concerne la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte. Les lois et règlements applicables en métropole s'y appliquent de plein droit (régime de l'identité législative).
Leur organisation est la même que celle des départements et régions de métropole mais, depuis une révision constitutionnelle de 2008, ils peuvent être habilités par la loi ou par le règlement à fixer eux-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières (qui excluent la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'État et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes ou le droit électoral).
L'article 73 de la Constitution prévoit qu'une collectivité territoriale unique peut se substituer à un département et une région d'outre-mer. Cette disposition s'applique à trois DROM :
- Mayotte, dont le conseil départemental exerce également les compétences d'un conseil régional ;
- la Guyane, dont l'Assemblée de Guyane exerce depuis décembre 2015 les compétences d'un conseil départemental et d'un conseil régional ;
- la Martinique, dont l'Assemblée de Martinique exerce depuis décembre 2015 les compétences d'un conseil départemental et d'un conseil régional avec un conseil exécutif chargé du pouvoir exécutif.
Les cinq départements en tant que régions ultrapériphériques appartiennent à l'Union européenne.
Collectivités d'outre-mer
[modifier | modifier le code]Les collectivités d'outre-mer (COM) sont régies par l'article 74 de la Constitution. Ce statut concerne Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.
Le statut spécifique de chacune des collectivités d'outre-mer est fixé par une loi organique qui précise leurs compétences et les conditions dans lesquelles les lois et règlements applicables en métropole s'y appliquent (régime de la spécificité législative).
Seule la collectivité de Saint-Martin a un statut de région ultrapériphérique et fait donc partie de l'Union européenne.
Nouvelle-Calédonie
[modifier | modifier le code]Le régime institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est fixé par le titre XIII de la Constitution et la Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie du . Ces dispositions sont censées être transitoires, en l'attente de l'organisation d'un référendum d'autodétermination sur la possible indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Elles autorisent l'existence d'une citoyenneté néocalédonienne au sein de la nationalité française et l'adoption de signes identitaires.
La Nouvelle-Calédonie est administrée par un Congrès de la Nouvelle-Calédonie qui peut adopter des lois du pays à valeur quasi-législative et qui élit le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement est un organe collégial élu au scrutin proportionnel, ce qui permet d'assurer la représentation des principales familles politiques.
La Nouvelle-Calédonie est divisée en trois provinces. Collectivités territoriales, les provinces disposent chacune d'une assemblée provinciale qui élit un président de province. Les provinces ont d'importants pouvoirs puisqu'elles exercent toutes les compétences qui ne sont pas dévolues à la Nouvelle-Calédonie ou réservés à l'État.
Il existe en outre un Sénat coutumier compétent sur les questions touchant à la coutume et au statut personnel des Kanaks.
L'État est représenté en Nouvelle-Calédonie par un Haut-commissaire de la République.
Autres territoires
[modifier | modifier le code]Le statut des territoires inhabités des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et de l'île de Clipperton est fixé par la loi du [10] :
- les TAAF forment un territoire d'outre-mer placé sous l'autorité d'un administrateur supérieur, représentant de l'État et chef du territoire. Il est basé à Saint-Pierre (La Réunion) ;
- Clipperton est placé sous l'autorité directe du gouvernement français. Le ministre des Outre-mer est chargé de son administration.
Exceptionnalité
[modifier | modifier le code]Selon Catherine Benoît, le régime spécial du droit des étrangers mis en place dans la France d'outre-mer à partir des années 80 constitue un terrain d'expérimentation juridique. Selon elle, les durcissements effectués outre-mer sont ensuite importés dans l'Hexagone[11].
Justice
[modifier | modifier le code]La justice française d'outre-mer connaît un certain nombre de spécificités[12]. Selon la chercheuse Mathilde Cohen[13]:
« Par le biais d'une variété de discours et de politiques de subordination, les tribunaux français d'outre-mer demeurent sujets aux mécanismes coloniaux de contrôle. L'État-nation unitaire actuel, prétendument décolonisé, s'efforce de tenir les peuples autochtones hors des tribunaux – ou tout du moins à l'écart des palais de justice situés sur leurs terres – et ne remet pas en question la légitimité de l'entretien outre-mer d'un système judiciaire administré par une métropole. »
Accès à la justice
[modifier | modifier le code]L'éloignement géographique, l'application sélective des lois métropolitaines, et la conciliation entre l'égalité et la prise en compte des particularités locales sont des facteurs compliquant la réalisation l'idéal d'accès à la justice que la culture française considère comme un droit fondamental. Selon Juliane Pinsard, l'utilisation de la visioconférence ne peut pas représenter une vraie solution à ces problèmes[14].
Appréhension des ordres juridiques locaux
[modifier | modifier le code]Le droit d'outre-mer appréhende les traditions juridiques locales de manière disparate à cause des tensions qu'elle causent dans l'idéologie de l'universalisme républicain. Dans certains territoires, tels que Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, les agents de la république française reconnaissent formellement un droit caractérisé comme « coutumier », tandis que dans d'autres, comme la Polynésie française et la Guyane, le droit d'outre-mer ignore officiellement toute juridicité autochtone. Pour des raisons historiques liées principalement à l'institution de l'indigénat, c'est la justice civile qui est le terrain de l'appréhension des droits locaux au sein de la justice française. Le traitement des affaires familiales est particulièrement imprégné de cette logique de connaissance judiciaire du droit local[15].
Par pays
[modifier | modifier le code]Mayotte
[modifier | modifier le code]Références
[modifier | modifier le code]- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « France d'outre-mer » (voir la liste des auteurs).
- Emmanuelle Saada, « Un droit postcolonial », Plein droit, vol. 74, no 3, , p. 13–16 (ISSN 0987-3260, DOI 10.3917/pld.074.0013, lire en ligne, consulté le )
- Jean-Yves Faberon, « La France et son outre-mer : un même droit ou un droit différent ? », Pouvoirs, vol. 113, no 2, , p. 5–19 (ISSN 0152-0768, DOI 10.3917/pouv.113.0005, lire en ligne, consulté le )
- Stéphane Diémert, « Le droit de l'outre-mer », Pouvoirs, vol. 113, no 2, , p. 101–112 (ISSN 0152-0768, DOI 10.3917/pouv.113.0101, lire en ligne, consulté le )
- Florence Renucci, « La « décolonisation doctrinale » ou la naissance du droit d'outre-mer (1946-début des années 1960) », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, vol. 24, no 1, , p. 61–76 (ISSN 1622-468X, DOI 10.3917/rhsh.024.0061, lire en ligne, consulté le )
- Sixième partie, Livre IV du Code général des collectivités territoriales.
- Sixième partie, Livre II du Code général des collectivités territoriales.
- Sixième partie, Livre III du Code général des collectivités territoriales.
- Loi no 61-814 du conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer.
- Loi organique no 2004-192 du portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
- Loi no 55-1052 du portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton.
- (en) Catherine Benoît, « Fortress Europe’s far-flung borderlands: ‘Illegality’ and the ‘deportation regime’ in France’s Caribbean and Indian Ocean territories », Mobilities, vol. 15, no 2, , p. 220–240 (ISSN 1745-0101 et 1745-011X, DOI 10.1080/17450101.2019.1678909, lire en ligne, consulté le )
- Régis Lafargue, « La justice outre-mer : justice du lointain, justice de proximité », Revue française d'administration publique, vol. 101, no 1, , p. 97–109 (ISSN 0152-7401, DOI 10.3917/rfap.101.0097, lire en ligne, consulté le )
- (en) Mathilde Cohen, « Judicial Colonialism Today: The French Overseas Courts », Journal of Law and Courts, vol. 8, no 2, , p. 247–276 (ISSN 2164-6570 et 2164-6589, DOI 10.1086/709910, lire en ligne, consulté le ) :
« Through a variety of subordinating discourses and policies, French overseas courts remain subject to colonial mechanisms of control. The present supposedly decolonized, unitary nation-state endeavors to keep native peoples off the bench—or at least off the courts located in their homelands—and does not question the legitimacy of maintaining a metropole-administered court system overseas. »
- Juliane Pinsard, « Le long chemin de l’accès à la justice en outre-mer », Délibérée, vol. 5, no 3, , p. 49–53 (ISSN 2555-6266, DOI 10.3917/delib.005.0049, lire en ligne, consulté le )
- Natacha Gagné, Stéphanie Guyon et Benoît Trépied, « Cultures à la barre. Regards croisés sur la justice civile outre‑mer », Ethnologie française, vol. 48, no 1, , p. 15–26 (ISSN 0046-2616, DOI 10.3917/ethn.181.0015, lire en ligne, consulté le )
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Thiellay Jean-Philippe, Le droit des outre-mers, Dalloz, coll. « Connaissance du droit (Paris. En ligne) », (ISBN 978-2-247-11049-0, lire en ligne)
- Droit d'Outre-Mer, Louis Rolland et Pierre Lampué, Dalloz, 3e édition, Paris, 1959
- Droit d'Outre-Mer et la coopération, François Luchaire, P.U.F., 2e édition refondue, Paris, 1966
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- France d'outre-mer
- Géographie de la France
- Ministère des Outre-mer
- Liste des communes de la France d'outre-mer
Liens externes
[modifier | modifier le code]- DROM COM, « DROM-COM, le Droit institutionnel des Outre-Mer Français », sur DROM COM