Ivo Taillefer — Wikipédia
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Activités | Jongleur, chanteur |
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Taillefer, parfois Ivo Taillefer, est le nom d'un personnage probablement légendaire qui participe à l'expédition de 1066 menée par Guillaume le Conquérant pour la conquête de l'Angleterre.
Engageant héroïquement la bataille d'Hastings, il incarne le type même du jongleur-chevalier et ses exploits sont rapportés par plusieurs auteurs médiévaux dont Wace, qui conte ses actions en vers dans son Roman de Rou.
L'histoire
[modifier | modifier le code]Taillefer apparaît dans les récits de la bataille de Hastings, qui s'est déroulée le , mettant en lice les troupes du duc de Normandie Guillaume et celles du souverain anglo-saxon Harold. Dans le souvenir anglo-normand, c'est son action héroïque qui ouvre la bataille capitale qui fait basculer le destin de la Grande-Bretagne et de la Normandie, inaugurant la période anglo-normande de l'histoire de l'Angleterre.
Tandis que les armées se font face dans le matin, un chevalier-jongleur du nom de Taillefer sollicite auprès de Guillaume duc l’honneur de porter le premier coup de la journée[1]. Il sort alors des rangs normands, exhorte les normands en évoquant la Chanson de Roland puis caracole sur sa monture en face des troupes anglaises, les provoquant et les impressionnant par d'habiles jongleries avec ses armes, un type de provocations guerrières dont on trouve d'ailleurs mention concernant les celtes insulaires[2]. Il charge enfin abattant des ennemis avant, selon certaines versions, d'être massacré par les troupes de Harold. Les troupes normandes se déploient et s'engagent alors dans un combat victorieux[1].
Par sa mort héroïque, Taillefer incarne la geste épique de Roland qu’il vient de chanter et les chroniqueurs du XIIe siècle ne manquent pas de reprendre l'épisode comme scène inaugurale de la célèbre bataille[1], bien que la scène comme son héros soient probablement légendaires[3].
Références littéraires
[modifier | modifier le code]Le nom de « Taillefer », à connotation agressive, est souvent la marque d'une activité militaire et plusieurs guerriers, princes ou héros épiques ont porté ce sobriquet[2].
Taillefer n'apparait pas sur la tapisserie de Bayeux mais plusieurs œuvres littéraires rapportent plus ou moins longuement des anecdotes le concernant : à la suite de Guy d'Amiens, l'épisode concernant Taillefer est relaté par Geoffroy Gaimar, Wace, Robert de Torigni, Benoît de Sainte-Maure ou encore Henri de Huntingdon. On notera toutefois que ni Guillaume de Poitiers ni Guillaume de Jumièges (morts à fin du XIe siècle) ne la mentionnent[1]. Enfin, si Guillaume de Malmesbury évoque bien Roland, il n'est pas sûr que ce soit en relation avec Taillefer qui n'est pas mentionné[1].
Les histoires de ces chroniqueurs diffèrent sensiblement, certaines ne mentionnant que le jonglage, d’autres que la chanson de geste, mais toutes ont des éléments en commun. Cependant, selon que les auteurs soient favorables aux Normands ou aux Anglo-saxons, sa témérité vaut au héros soit de remporter les premiers assauts de la bataille, soit d'être massacré[2].
Dans son History of the English Speaking Peoples, Winston Churchill a élaboré une version tirée de toutes les différentes sources.
Guy d'Amiens
[modifier | modifier le code]Taillefer apparait pour la première fois dans le Carmen de Hastingae Proelio, poème attribué à Guy, évêque d'Amiens (1014–1075) qui l'aurait rédigé peu après la victoire des troupes normandes à la bataille d'Hastings en 1066[3].
Le texte l'introduit comme « un histrion, dont le cœur, audacieux à l'excès ne manquait pas de noblesse ». Taillefer précède les troupes de Guillaume « encourage[eant] de ses mots les Galois et terrifiant les Angles ; il jonglait avec son épée qu'il jetait en l'air » (v. 391-394). Taillefer s’avance alors au-devant des troupes anglo-saxonnes, tue un soldat qui est sorti des rangs pour le défier et montre sa tête comme un trophée[2].
Geoffrey Gaimar
[modifier | modifier le code]Dans son Estoire des Engleis, vers 1136, Geoffrey Gaimar reprend l'histoire des bravades de Taillefer, « jongleur, possédant des armes et un bon cheval, hardi et noble vassal » (v. 5268-5270) mais explique qu'il se fait massacrer par les anglo-saxons[2].
Wace
[modifier | modifier le code]Environ une trentaine d'années plus tard, dans le Roman de Rou du poète normand Wace (c.1110-c.1180), Taillefer n'est plus décrit comme un jongleur : il s'agit davantage d'un chevalier qui manie sa monture, sa lance et son épée avec agilité. Celui-ci terrifie les anglo-saxons par l'aisance avec laquelle il jongle avec ses armes[2].
Taillefer galvanise en outre les troupes de Guillaumes grâce à la Chanson de Roland :
Taillefer, qui mult bien chantout,
Sor un cheval qui tost alout,
Devant le duc alout chantant
De Karlemaigne e de Rollant,
E d'Oliver e des vassals
Qui morurent en Rencesvals.
— Wace, Roman de Rou, v. 8013-8019
Taillefer, qui chantait très bien,
Montait sur un cheval rapide
Devant le duc, chantant
Sur Charlemagne et Roland,
Olivier et les vassaux
Qui moururent à Roncevaux
Henri de Huntingdon
[modifier | modifier le code]Pour Henri de Huntingdon (mort vers 1260), dans son Historia Anglorum (V, 30), Taillefer s’élance témérairement vers les troupes anglo-saxonnes et abat trois adversaires avant de se faire tuer puis piétiner par les troupes ennemies qui s’ébranlent[4]
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Xavier Storelli, Le chevalier et la mort dans l’historiographie anglo-normande (XIe siècle – début du XIIIe siècle) : Thèse d'histoire médiévale, Université de Poitiers, , p. 5-6
- Martin Aurell, Le Chevalier lettré : Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, Fayard, , p. 135
- Martin Aurell, Le Chevalier lettré : Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, Fayard, , p. 134
- Henri de Huntingdon et D. Greenaway (éd.), Historia Anglorum, Oxford University Press, p. 392 éd. Greenway : « Quidam uero nomine Tailefer dudum bantequam coirent bellatores, ensibus iactatis ludens coram gente Anglorum, dum in eum omnes stuperent, quemdam uexilliferum Anglorum interfecit. Secundo, similiter egit. Tercio, idem agens et ipse interfectus est et acies sibi offenderunt. »
Bibliographie
[modifier | modifier le code]Recherche contemporaine
[modifier | modifier le code]- Martin Aurell, Le Chevalier lettré : Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, Fayard,
- Silvère Menegaldo, Le jongleur dans la littérature narrative des XIIe et XIIIe siècles : Du personnage au masque, Honoré Champion, , p. 109-116
- (en) William Sayers, « The Jongleur Taillefer at Hastings : Antecedents and Literary Fate », Medieval and Renaissance Studies, Viator, no 14, , p. 77-88
- Jean Györy, « Réflexions sur le jongleur guerrier », Annales Universitatis Budapestinensis, Budapest, t. III, , p. 47-60
- Edmond Faral, Les jongleurs en France au Moyen Âge, Champion, , p. 56-58
Ouvrages anciens
[modifier | modifier le code]- Gervais de La Rue, Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères normands et anglo-normands, Caen, Mancel, 1834