Jacques Canetti — Wikipédia
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Nom de naissance | Nissim Jacques Canetti |
Nationalité | française (à partir de ) |
Formation | |
Activités | Producteur de musique, directeur artistique, animateur de radio, homme d'affaires |
Fratrie | |
Conjoint | |
Enfant | Françoise Canetti (d) |
Membre de | HEC Alumni (en) |
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Jacques Canetti, né le à Roussé en Bulgarie, et mort le à Suresnes (Hauts-de-Seine), est un directeur artistique et producteur musical français.
En 1947, il fonde le théâtre des Trois Baudets, qu'il dirige jusqu'en 1966. Découvreur de talents pour les firmes Polydor et Philips, Jacques Canetti est à l'origine de la carrière de nombreux artistes francophones, parmi lesquels notamment Édith Piaf, Félix Leclerc, Georges Brassens, Jacques Brel, Serge Gainsbourg et Jacques Higelin.
Biographie
[modifier | modifier le code]Origines
[modifier | modifier le code]Nissim Jacques Canetti naît en Bulgarie, le dans la ville de Roussé anciennement nommée « Roustchouk » ou Rusçuk, sur la rive sud du Danube. Ses parents, Jacques Elias Elieser Canetti et Mathilde née Arditti, sont tous deux issus de deux familles séfarades[1].
Il est le frère d'Elias Canetti (1905-1994), écrivain d'expression allemande et prix Nobel de littérature de 1981 et de Georges Canetti (1911-1971), chercheur et professeur à l'Institut Pasteur, spécialiste de la tuberculose.
Avant-guerre
[modifier | modifier le code]Avec son frère Elias, Jacques Canetti passe sa prime jeunesse en Angleterre puis fait ses études à Vienne, Francfort et Lausanne avant d’immigrer en France en 1926 au moment de la montée du nazisme[2]. De formation littéraire, doté d’une forte culture musicale, il parle quatre langues et joue du piano; reçu à HEC en 1928, il découvre alors le music-hall[3].
Polydor
[modifier | modifier le code]En 1930, par le biais d'une petite annonce disant simplement « Cherche jeune homme aimant la musique et parlant couramment allemand », Jacques Canetti abandonne ses études et entre chez Polydor, qui représente la prestigieuse Deutsche Grammophon, avec ses trésors de musique classique[4].
Fou de jazz, Jacques Canetti organise dès 1930 les premières tournées de Jazz Hot dans toutes les villes universitaires, et il est le premier à faire venir en France Louis Armstrong, Cab Calloway, et Duke Ellington. Il monte le premier orchestre de musiciens noirs de jazz en France[5].
En 1933, âgé de 24 ans, il parvient à convaincre Marlène Dietrich d'enregistrer son premier disque en français (Assez et Moi j'm'ennuie)[6].
Radio-Cité
[modifier | modifier le code]La vie de promoteur des artistes de Jacques Canetti commence lorsque Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Radio Cité, lui confie la direction artistique de la station : il y apporte de grandes innovations dans les formats de la radio, alors encore toute jeune. Il crée des émissions qui demeurent encore aujourd'hui des classiques de la radio, tel Le Music-hall des jeunes, où il donne sa première chance à Édith Piaf, puis à Charles Trenet (alors jeune débutant en duo avec Johnny Hess). Il tient la première émission régulière de jazz à la radio. Il compose et enregistre (à la flûte à bec) le premier jingle de pub : Dop Dop Dop[4].
Il invente le principe du radio-crochet[7]; il fait enregistrer à Édith Piaf ses trois premiers disques chez Polydor, avec notamment la chanson Mon légionnaire[8].
Pendant la guerre, après la promulgation des lois contre les Juifs et les étrangers pendant le régime de Vichy, l'actrice Françoise Rosay l'aide à rejoindre la zone libre; il organise avec elle des tournées dans le sud de la France, et arrive en Afrique du Nord à la fin d'octobre 1942, au moment où les Américains viennent d'y débarquer. Il est nommé directeur de Radio-Alger, qu'il rebaptise immédiatement « Radio France »[5]. Soupçonné d'être « gaulliste », il quitte ses fonctions à la radio et se place dès 1943 aux côtés de René Capitant, le représentant du général de Gaulle[9]. Jacques Canetti crée alors le théâtre des Trois Ânes et organise avec Pierre-Jean Vaillard, Georges Bernardet, Christian Vebel et Lucienne Vernay (sa future épouse) des tournées qui les conduisent dans toute l'Afrique du Nord, où ils recueillent des fonds destinés au mouvement de résistance Combat.
De 1947 à 1962
[modifier | modifier le code]Retour chez Polydor, Les Trois Baudets, Philips
[modifier | modifier le code]En 1947, de retour en France, ayant retrouvé à son retour son poste de producteur chez Polydor, il transforme un dancing parisien délabré du 18e arrondissement, à l'angle de l'avenue de Clichy et de la rue Coustou, en une salle de spectacle qu'il ouvre au public le 15 décembre 1947. Jacques Canetti nomme la salle Théâtre des Trois Baudets, en référence au théâtre des Trois Ânes.
En 1952, Polydor est rachetée par Philips, et Jacques Canetti dirige alors la production artistique de Philips jusqu'en 1962[10].
Durant ces nombreuses années, il découvre et accompagne de très nombreux artistes, parmi lesquels Félix Leclerc (québécois qu'il fait venir et connaitre en France), Georges Brassens, Jacques Brel, Raymond Devos, Henri Salvador, Boris Vian, Guy Béart, Anne Sylvestre, Serge Gainsbourg, plus tard Jeanne Moreau, Serge Reggiani, Jacques Higelin, Brigitte Fontaine.
Les tournées Canetti
[modifier | modifier le code]Parallèlement, Jacques Canetti organise durant tous les étés - non seulement pour les artistes qu'il a découverts, mais également pour d'autres artistes qui lui font confiance - les tournées Radio Programme (que tout le monde appelle les tournées Canetti). Il propose des plateaux de quatre à dix artistes aux salles de province et des colonies françaises d'abord (théâtres municipaux, salles des fêtes, casinos ou scènes en plein air), puis à travers le monde. École difficile, au rythme effréné, dans laquelle les jeunes artistes apprennent le métier de la scène, tandis que leurs aînés y rodent leurs nouvelles chansons avant leur rentrée parisienne. Il se rend ainsi aux États-Unis et au Japon avec Yves Montand, et organise les récitals de Maurice Chevalier[11].
À partir de 1951, il crée pour les disques Philips le catalogue de référence de la chanson française. Le « flair » de Jacques Canetti est réputé, et il devient une personne très influente et incontournable dans les métiers du spectacle.
Il détecte tous les nouveaux talents pour Polydor, Philips et Fontana, avec la conviction qu’un artiste met parfois des années à percer. Ainsi, il s’obstine à sortir les premiers albums de Serge Gainsbourg à partir de 1958, convaincu de son talent malgré des ventes qui ne dépassent pas quelques centaines d’exemplaires.
À partir de 1962
[modifier | modifier le code]Le départ de chez Philips
[modifier | modifier le code]Conséquence de la concurrence entre les maisons de disques Vogue et Philips à propos de Johnny Hallyday, mais aussi les Disques Barclay et Philips qui se disputent Jacques Brel et Hallyday, Jacques Canetti va rompre avec les disques Philips : depuis plusieurs mois, Jacques Brel a fait part de son intention de quitter Philips pour Barclay et, lorsqu'en 1962, Philips sort le disque Les paumés du petit matin, Brel a déjà signé avec Eddie Barclay (son premier disque Barclay parait en mars 1962), ce que dénonce Philips, qui menace d'un procès à la fois Eddie Barclay et Jacques Brel. Auparavant, en , Philips avait intégré dans ses rangs la jeune vedette Johnny Hallyday, en rupture avec les Disques Vogue (un conflit qui trouvera sa conclusion judiciaire, en sa faveur, en 1968[12]). Mais Hallyday a aussi signé avec Barclay (Brel lui-même a servi de médiateur) et souhaite se rétracter[13]. Mais Barclay ne l'entend pas ainsi et fort d'un contrat dûment signé, fait savoir qu'il en appellera à la justice si nécessaire.
Finalement, un accord est trouvé entre les deux maisons de disques : Philips laisse partir Jacques Brel, et Barclay renonce à ses prérogatives sur Johnny Hallyday[14],[15].
Cette décision entraîne la démission de Jacques Canetti, autant mécontent du départ de Brel que de l'arrivée d'Hallyday, et Jacques Canetti quitte Philips. Voulant exercer désormais pour son compte sa fonction de directeur artistique, il fonde les Disques Canetti[16]. Il pense alors que ses principaux artistes vont le suivre, mais une clause de tacite reconduction de son contrat le lie pour encore trente mois à Philips. Pour s’en libérer, il doit accepter de ne plus travailler avec tous les artistes qu'il a dénichés et qui furent sous sa responsabilité chez Polydor, Philips ou Fontana, et il accepte de devoir ainsi repartir de rien, à la recherche de nouveaux artistes et talents à découvrir.
Les Disques Jacques Canetti
[modifier | modifier le code]Il crée donc, sans aucun artiste à son catalogue, les Disques Jacques Canetti, devenant le premier label de disques français indépendant[18]. Et comme auparavant il a signé énormément d'artistes chez Philips, il ne reste plus sur le marché que des artistes qui ne chantent pas.
Convaincu par la prestation de Jeanne Moreau dans Jules et Jim de François Truffaut, dans lequel elle chante la chanson Le Tourbillon de la vie, il la convainc en 1963 d'enregistrer un disque de chansons de Serge Rezvani. Il persuade ensuite Serge Reggiani d’entrer en studio pour un disque de chansons de Boris Vian, il fait enregistrer La Voix humaine de Jean Cocteau à Simone Signoret. Par la suite, il est le premier à enregistrer Jacques Higelin (un débutant de vingt-quatre ans), ainsi que Brigitte Fontaine[19],[1].
Mais il ne retrouvera pas la splendeur de ses années Philips, privé des moyens auxquels il avait jadis accès, et précisément au moment où le disque, devenu une industrie de masse, exige des investissements de plus en plus lourds.
Il produit et enregistre alors les disques, de Simone Signoret, de Pierre Brasseur, de Michel Simon, Cora Vaucaire et de bien d'autres encore. Il crée les premières anthologies consacrées aux grands poètes de la chanson française, telles celles de Boris Vian et de Jacques Prévert.
Le Théâtre des Trois Baudets ferme ses portes en 1967.
En 1978, il écrit ses mémoires : On cherche jeune homme aimant la musique[20].
En 1990, il produit Zazie dans le métro, adaptation théâtrale d'Évelyne Levasseur, qu'elle interprète avec Claude Piéplu pour la collection « Le livre qui parle ».
En 1997, il quitte le métier et meurt peu après.
Vie privée
[modifier | modifier le code]Le , il épouse l'autrice-compositrice-interprète Lucienne Vernay (1919-1981), dont il a trois enfants : Colette Canetti (1947), Françoise Canetti (1948) et Bernard Canetti (1949).
Ce sont ses enfants Bernard et Françoise Canetti[21] qui reprennent les Productions Jacques Canetti. Distribué en 2005 par Wagram, le label est classé parmi les 30 premiers labels français.
Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (94e division), dans le même caveau que ses parents et son épouse.
Une allée lui rend hommage à Suresnes (Hauts-de-Seine), ville où il est mort.
Citation
[modifier | modifier le code]« Directeur artistique n'est pas une activité, mais un sport, que je pratique passionnément. Le talent ne s'insuffle pas, mais il peut se détecter avec de la chance et de l'intuition. Je ne suis qu'un catalyseur. Et je donne de la confiance aux artistes, c'est épanouissant. »
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Jacques Canetti, On cherche jeune homme aimant la musique, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Lignes de vie », , 276 p. (ISBN 978-2-7021-0253-4)
- Alain Poulanges et Janine Marc-Pezet, Le théâtre des 3 Baudets : Brassens, Brel, Devos, Gainsbourg, Gréco, Lapointe, Leclerc, C. Sauvage, Vian-- au petit théâtre de Jacques Canetti, Paris, Du May, (ISBN 978-2-84102-001-0)
- Jacques Canetti (préf. Michel Legrand et François Morel), Mes 50 ans de chansons, Paris, Flammarion, coll. « Pop Culture », , 175 pages et 1 CD (ISBN 978-2-08-121107-0)
- Jacques Canetti, Mes 50 ans de chansons, Les Productions Jacques Canetti, 2008 (4 CD et 1 DVD)
Références
[modifier | modifier le code]- Françoise Canetti et Véronique Mortaigne, Brassens l’appelait Socrate, L’Archipel,
- https://www.babelio.com/livres/Canetti-Les-annees-anglaises/142369 « Les années anglaises », d'Elias Canetti et Bernard Kreiss (Traducteur), éditions Albin Michel, publié en avril 2005, consulté le 11 avril 2024.
- https://www.lesechos.fr/2016/07/les-canetti-trinite-de-genie-1231264 Sabine Delanglade : « Les Canetti, trinité de génie », Les Échos, publié le 15 juillet 2016, consulté le 11 avril 2024.
- http://chroniques.bnf.fr/archives/juin2004/numero_courant/expositions/canetti.htm Florence Groshens : « Jacques Canetti : la découverte des auteurs-compositeurs-interprètes » Chroniques BNF, publié le 14 juin 2004, consulté le 11 avril 2024.
- https://www.lefigaro.fr/musique/jacques-canetti-le-socrate-de-georges-brassens-20221106 Bertrand Guyard : « La rocambolesque vie de Jacques Canetti, le découvreur de tous les talents de l'après-guerre » Le Figaro, publié le 06/11/2022, consulté le 11 avril 2024.
- https://www.jechantemagazine.net/single-post/2017/04/17/jacques-canetti-le-r%C3%A9v%C3%A9lateur Raoul Bellaïche « Jacques Canetti, le révélateur de la chanson française moderne d’après-guerre », Je Chante Magazine, publié en 2005, consulté le 11 avril 2024.
- https://www.telerama.fr/radio/radio-crochet-inter-le-banc-d-essai-des-chanteurs-creatifs,110392.php Jane Roussel « Radio Crochet Inter : le banc d'essai des chanteurs créatifs », Télérama, publié le 28 mars 2014, consulté le 11 avril 2024.
- https://www.discogs.com/release/17570104-Edith-Piaf-Mon-L%C3%A9gionnaire-Et-15-Autres-Succ%C3%A9s « Edith Piaf, La Légende – 1937 : Mon Légionnaire Et 15 Autres Succès », Editions Atlas – 2874 401 site Discogs, consulté le 11 avril 2024.
- https://www.lalibre.be/culture/musique/2009/02/06/petite-histoire-dun-haut-lieu-WV6WPY2MF5HWJOE7IQDSQSFVNI/ V. Rou : « Petite histoire d’un haut lieu », La Libre Belgique, publié le 5 février 2009, consulté le 11 avril 2024.
- « Notre historique », sur Les Trois Baudets (consulté le )
- Hélène Hazera, « Canetti, mort d'un découvreur. Le producteur avait lancé Piaf, Brassens, Leclerc"" », sur Libération (consulté le )
- Daniel Lesueur, L'argus Johnny Hallyday discographie mondiale et cotations, 2003, Éditions Alternatives, page 36, citation : « [...], il [Johnny Hallyday] a finalement signé pour Philips [...]. Le 24 janvier 1963, un tribunal déclare non valide le contrat Vogue [...]. L'affaire traînera encore cinq années. »
- Johnny Hallyday, citation : « Un jour, Barclay m'a dit, "J'ai trouvé ce qu'il te faut. Je vais te former un orchestre avec des musiciens qui auront les cheveux verts, rouges et tout cela." Je me suis dit, si c'est ainsi qu'il voit le rock'n'roll, je préfère signer chez Philips. » / Source : Daniel Lesueur, L'argus Johnny Hallyday discographie mondiale et cotations, 2003, Éditions Alternatives, page 36.
- Eddy Przybylski, Jacques Brel : La valse à mille rêves, , 782 p. (ISBN 978-2-8098-1113-1, lire en ligne), p. 216.
- Daniel Lesueur, L'argus Johnny Hallyday discographie mondiale et cotations, 2003, Éditions Alternatives, page 36, citation Éddie Barclay : « Quand Johnny a voulu quitter Vogue, j'ai signé avec lui. Son tuteur, Lee, avait signé avec Philips, il y a eu une bagarre. Pour régler le problème, Philips a gardé Johnny et m'a donné Brel en échange. »
- http://www.rfi.fr/fr/emission/20121013-3-productions-jacques-canetti-le-premier-label-francais-independant / consulté le 8 mai 2020.
- Monsieur Jacques Canetti, 22 juillet 2017, sur RFJ.
- Les productions Jacques Canetti, le premier label français indépendant, 13 novembre 2012, sur RFJ.
- Percevant le phénomène des cafés-théâtres à Saint-Germain-des-Prés, il inaugure la salle du Bilboquet, où il fera débuter Jacques Higelin et Brigitte Fontaine.
- Jacques Canetti, On cherche jeune homme aimant la musique, 1978, Éditions Calmann-Lévy, Paris
- « Biographie de Françoise Canetti à l'occasion de son passage au Magazine de France-Musique le 3 décembre 2012 » (consulté le )
Liens externes
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- Site officiel
- Ressources relatives à la musique :
- Ressource relative au spectacle :
- Ressource relative à plusieurs domaines :
- Ressource relative à la recherche :
- Brassens l'appelait Socrate : comment Jacques Canetti a façonné la chanson française sur France Culture
- [1] Documentaire français de Joëlle Miau : « Canetti - Barclay, un duel en chansons », 52 minutes (2014).