Lobby juif — Wikipédia

Lobby juif est un terme utilisé pour décrire des activités de lobbying attribuées aux/à des Juifs, pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts.

L'expression est couramment utilisée dans les discours antisémites et, quoique l'expression soit antérieure à la création de l'État d'Israël en 1948, aussi dans le discours antisioniste.

En Amérique du Nord

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Aux États-Unis

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Le terme de lobby apparaît au XIXe siècle aux États-Unis en référence aux couloirs du Congrès où se regroupent tous ceux qui veulent contacter et influencer les parlementaires au nom d'un groupement d'intérêts[1],[Note 1].

En 1843 est fondé le B'nai B'rith, association qui se donne comme mission « d'unir les Juifs afin de défendre leurs valeurs, […], de secourir et de protéger les victimes de la persécution ». Ses prises de position sur le plan international lui valent parfois d'être perçu par des personnalités antisémites comme une « conspiration juive mondiale »[2].

Au début du XXe siècle se crée l'American Jewish Committee en réponse aux pogroms de la Russie tsariste. Là encore, la politique de l'organisation consiste en une influence discrète de peur d'être prise pour un lobby juif[3].

Quant à l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), son origine remonte à 1939 quand fut créé l'Emergency Committee for Zionist Affairs, en réponse à l'antisémitisme régnant alors en Europe[4]. La création de l'État d'Israël crée des besoins d'assistance nouveaux et un comité pro-israélien est officiellement créé en 1954 qui prend le nom d'AIPAC en 1959[4]. Les buts de l'organisation sont de maintenir l'amitié et la bonne volonté entre les États-Unis et Israël[4]. L'AIPAC reste en 1990 la seule organisation enregistré auprès du Congrès pour du lobbying et de la propagande en faveur des relations américano-israéliennes[4]. Toutefois, en 2008 se crée J Street, une organisation rivale, plus à gauche et « bras politique du mouvement pour Israël et pour la paix ».

Selon l'institut Pierre Renouvin de l'université Panthéon-Sorbonne reprenant Camille Mansour[Note 2], « la communauté juive américaine doit une large partie de son poids politique à son art confirmé du lobbying. L'influence de ce lobby, démesurée par rapport à sa dimension réelle, tient beaucoup à un environnement idéologico-culturel favorable aux causes qu'il défend mais également à l'efficacité incomparable de ses organisations »[5].

Mitchell Bard, directeur de la Jewish Virtual Library estime qu'il existe un lobby juif formel avec l'AIPAC, d'autres organisations juives tel le B'nai B'rith et même des organisations chrétiennes et un lobby informel constitué principalement des électeurs juifs et aussi de l'opinion publique américaine. Il les oppose au lobby informel arabe comprenant le complexe « diplomatico-pétrolier » (petro-diplomatic complex) initié par le roi Ibn Séoud d'Arabie saoudite en 1951 et le lobby formel arabe représenté par la National Association of Arab-Americans (NAAA) ou Association nationale des Américains arabes fondée en 1972. Outre le plus faible nombre d'Arabes que de Juifs aux États-Unis, il attribue la moindre influence du lobby arabe à la désunion qui règne parmi la population arabe américaine, dont beaucoup sont chrétiens et ce malgré l'activisme des 70 000 Palestiniens américains[6].

Aux États-Unis, l'expression « Jewish lobby » se rapporte donc aux actions des organisations de la communauté juive en faveur de politiciens ou organisations politiques américaines favorables à l’État d’Israël, et à leur soutien lors des élections présidentielles ou au Congrès[7],[8],[9],[10].

Le Conseil israélien américain (en anglais : Israeli American Council, en hébreu : ארגון הקהילה הישראלית-אמריקאית ) est une organisation américaine dont la mission est « de construire et d'entretenir la communauté unie israélo-américaine pour les prochaines générations et encourager leur soutien à l'État d'Israël ».

Au Canada, le Congrès juif canadien a existé de 1920 à 2011 et selon son propre site[11], ses efforts de lobbying visaient dans les années 1930 à une réduction des restrictions à l'immigration. Dans les années 1950 et suivantes, ces mêmes efforts ont visé à soutenir les Juifs du bloc communiste (Hongrie, URSS, Cuba). Le CJC a lutté contre la propagation de la haine et fait en sorte que les criminels nazis soient poursuivis au Canada. Dans les années 1990, il a accru ses efforts envers les victimes de catastrophes naturelles juives et non-juives[11]. Lui succède en 2011 le Conseil canadien pour la défense et la promotion des droits des Juifs et d'Israël (en)[12] aujourd'hui nommé en français Centre consultatif des relations juives et israéliennes[13].

Le lobbying s'est développé très tôt auprès des institutions de l'Union européenne où sont représentées principalement les collectivités territoriales des États membres[14].

Si l'expression est courante aux États-Unis, où le lobbying est une méthode connue, fréquemment utilisée et acceptée dans la vie politique[1], elle est d'un usage beaucoup plus polémique en France, où le terme « lobby » est davantage porteur d'une charge négative. Pour Samuel Ghiles-Meilhac, cela remonte à la Révolution française et à la dissolution des corporations. La loi, « expression de l'intérêt général » émane des assemblées élues et ne saurait être inspirée par des groupements d'intérêts particuliers. Selon cette approche, les lobbies constituent des « courts-circuits de la souveraineté »[1].

Selon le journaliste Pascal Riché, s'appuyant sur l'outil Ngram, l'expression de « lobby juif » prend son essor en France au début des années 1970.

Elle est selon lui utilisée dans un premier temps « sur fond de tensions israélo-arabes » pour désigner le lobby pro-israélien américain. On la trouve alors dans nombre de journaux comme Le Nouvel Observateur ou L’Express. D'après lui, elle n'endosse une connotation antisémite qu'à la fin des années 1980 dans la presse du Front national. Jean-Marie Le Pen utilise alors la formule à plusieurs reprises, notamment pour affirmer « Que les juifs aient beaucoup de pouvoir dans la presse, comme les Bretons dans la marine, les Corses dans les douanes, ça ne me paraît pas discutable. Et que les gens du Front national, qui se sont aperçus qu’un certain nombre de lobbies juifs, comme celui de monsieur Kahn [le Crif, ndlr], leur aient fait [subir] en quelque sorte une persécution systématique, ils ont l’impression d’en voir beaucoup, c’est vrai »[15].

Le CRIF, lobby juif ?
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Pour la sénatrice EELV Esther Benbassa, le CRIF[16] serait un lobby juif se référant à sa charte qui affirme qu'il est l’« interprète du Judaïsme en France devant les pouvoirs publics »[17]. Pour Samuel Ghiles-Meilhac, il a obtenu des succès dans le combat contre l'antisémitisme[18], mais bien que sa relation à Israël soit un élément essentiel de son discours, il n'exerce pas d'influence dans les relations franco-israéliennes[18].

Usage dépréciatif de l'expression
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Le terme de « lobby juif », thème récurrent du discours antisémite[19] ou antisioniste, peut parfois être utilisé pour désigner le « lobby pro-israélien »[20],[21], mais le concept de groupes d'influences spécifiquement juifs est antérieur à l'existence de l'État d'Israël[22].

Selon Le Monde diplomatique l'utilisation de l'expression en France serait historiquement le fait de l’extrême-droite, l'expression résumant en deux mots l'ensemble des « fantasmes » antisémites : la finance juive, les médias juifs et le pouvoir juif, telle une version modernisée des Protocoles des sages de Sion[23].

Quand, dans les années 1990 et 2000, le terme de « lobby juif » est entendu dans la bouche de figures politiques de premier plan, c'est toujours « pour dénoncer les méfaits supposés d'un petit groupe indéfini en dehors du qualificatif de juif »[24]. Ainsi, de François Mitterrand, selon le témoignage de Jean d'Ormesson, quand celui-ci évoque son amitié avec René Bousquet, ou de Raymond Barre, sur France Culture, quand on lui rappelle sa déclaration lors de l'attentat de la rue Copernic[24],[Note 3]. Les propos prêtés au chef d'État en fin de mandat et ceux tenus par l'ancien chef de gouvernement condamnent respectivement « l'influence puissante et nocive » et « les opérations [...] indignes » du lobby juif en France.

De même, en , lorsque le gouvernement décide de retirer le cinquantenaire de la mort de Céline des commémorations de l'année 2011 à la suite d'une demande du CRIF, du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme et de Serge Klarsfeld, président des Fils et Filles des déportés juifs de France, le philosophe Alain Finkielkraut estime que cela accrédite l'idée que « le lobby juif fait la pluie et le beau temps en France »[25].

Pour Sébastien Picaud sur Mediapart, l'expression « lobby juif » peut même faire référence à une « théorie du complot » déjà apparue dans le Protocole des sages de Sion, faux document élaboré par la police tsariste au début du XXe siècle[26].

Notes et références

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  1. Selon le Trésor de la Langue Française, un lobby désigne, aux États-Unis et, par extension, dans d'autres pays les groupements, organisations ou associations défendant des intérêts financiers, politiques ou professionnels, en exerçant des pressions sur les milieux parlementaires ou des milieux influents, notamment les organes de presse.
  2. Camille Mansour est l'auteur de très nombreux articles publiés pour la plupart dans la Revue d'Études palestiniennes (voir référence au chapitre 15 ou dans la bibliographie générale). Il a dirigé des travaux historiques et juridiques dont une histoire palestinienne du conflit publiée en une douzaine de volumes par l'Institut des Études Palestiniennes. Voir Camille Mansour sur France Culture.
  3. À cette occasion, Raymond Barre rappelle qu'à la suite de l'attentat de la rue Copernic, il avait déclaré sur TF1 : « Cet attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. » Ces propos avaient été dénoncés particulièrement dans les milieux juifs. Cité dans « Barre en quenouille », Le Canard enchaîné, mercredi 7 mars 2007.

Références

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  1. a b et c Ghiles-Meilhac 2011 lire en ligne
  2. Ouzan 2008, p. 29
  3. Schaefer 2008, p. 65 lire en ligne
  4. a b c et d Goldberg 1990, p. 16 lire en ligne
  5. Camille Mansour, Israël et les États-Unis ou les fondements d'une doctrine stratégique, Paris, Armand Colin, 1995, p. 250-251, cité dans Institut Pierre Renouvin, « L'influence du lobby juif sur la politique étrangère américaine - perception et réalité », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, no 20,‎ (ISSN 1276-8944, lire en ligne)
  6. (en) Mitchell Bard, « Congress & the Middle East: The Pro-Israel & Pro-Arab Lobbies », sur Jewish Virtual Library,
  7. (en) « The New Israel Lobby », sur harvardpolitics.com
  8. « Élection américaine : le vote juif existe-t-il ? », sur Le Point,
  9. « États-Unis: un lobby comme les autres », sur L'Express,
  10. (en) « So, just how powerful is the Israel lobby in the US? », sur The Independent,
  11. a et b (en) « Canadian Jewish Congress: Over Ninety Years of Advocacy », sur Archives du Congrès Juif Canadien (version du sur Internet Archive)
  12. (en) « Newsworthy », sur cerji.ca (version du sur Internet Archive)
  13. « Centre consultatif des relations juives et israéliennes », sur cerji.ca (consulté le )
  14. Malo 2010, p. 73-75
  15. .Pascal Riché, « Lobby » : Philippot fustige un des mots préférés de Jean-Marie Le Pen, blog « Les mots démons » associé à Rue89, 16 décembre 2014
  16. Esther Benbassa directeur d'études à l’Ecole pratique des hautes études (Sorbonne), « Le Crif, vrai lobby et faux pouvoir », sur Libération.fr, .
  17. Samuel Ghiles-Meilhac, De la discorde au fragile compromis.
  18. a et b Ghiles-Meilhac 2011 lire en ligne.
  19. Alain Houziaux, Israël, les juifs, l'antisémitisme, Éditions de l'Atelier, (lire en ligne), page 42
  20. Élise Ganem, L'axe Israël-Turquie: vers une nouvelle dynamique proche-orientale, L'Harmattan, 2005, p. 78
  21. Marc Hecker, La défense des intérêts de l'État d'Israël en France, Paris, L'Harmattan, coll. « Inter-National », , 124 p. (ISBN 2-7475-9228-6 et 978-2-7475-9228-4, OCLC 63165059), p. 19
  22. Serge Guérout, Science et politique sous le Troisième Reich, Edition Marketing, 1992, page 59
  23. Dominique Vidal, « Les pompiers pyromanes de l’antisémitisme », Le Monde diplomatique,‎ , p. 6-7 (lire en ligne)
  24. a et b Ghiles-Meilhac 2011 (lire en ligne)
  25. Alain Beuve-Méry et Thomas Wieder, « Frédéric Mitterrand fait volte-face et écarte Céline des célébrations de 2011 », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  26. Sébastien Picaud, « Stéphane Hessel et le CRIF : derrière les polémiques, un débat impossible, et l'antisémitisme renforcé », sur Médiapart, (consulté le )

Bibliographie

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  • (en) The Israeli Lobby and the US Foreign Policy, par Stephen Walt et John Mearsheimer, professeurs de sciences politiques et de relations internationales
  • (en) The Jewish Lobby and the National Interest, Seymour Martin Lipset
  • (en) The Lobby: Jewish Political Power and American Foreign Policy, Edward Tivnan
  • (en) A Look at The Powerful Jewish Lobby, par Mark Weber, directeur de l’Institute for Historical Review.
  • Samuel Ghiles-Meilhac, Le CRIF. De la résistance juive à la tentation du lobby. De 1943 à nos jours, Robert Laffont,
  • Laurent Malo, Autonomie locale et Union européenne, Groupe de Boeck,
  • Françoise Ouzan, Histoire des Américains juifs, André Versaille,
  • (en) Richard T. Schaefer, Encyclopedia of Race, Ethnicity, and Society, Volume 1, SAGE Publications,
  • (en) David Howard Goldberg, Foreign Policy and Ethnic Interest Groups: American and Canadian Jews Lobby for Israel, Greenwood Publishing Group,

Articles connexes

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Lien externe

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