Mort d'Angelo Garand — Wikipédia

Mort d'Angelo Garand
Fait reproché Homicide
Chefs d'accusation Violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner
Pays France
Ville Seur
Date
Nombre de victimes 1

Le à Seur dans le Loir-et-Cher (France), Angelo Garand est abattu par les gendarmes du GIGN. Ceux-ci l'interpellaient parce qu'il n'était pas retourné au centre de rétention de Vivonne après une autorisation de sortie. La procédure judiciaire se termine par un non-lieu confirmé en appel pour les deux gendarmes mis en examen, et le rejet d'un pourvoi en cassation. Une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme est déposée en décembre 2020.

Le sociologue Didier Fassin revient sur l'affaire dans son ouvrage Mort d'un voyageur : une contre-enquête ; il propose une autre version des faits que celle retenue par la justice, une « vérité ethnographique » qui prend en compte la parole de la famille et dévoile le « mensonge » des gendarmes et le manque d'impartialité de l'institution judiciaire.

Angelo Garand est élevé par sa tante, après le décès de sa mère dans un accident de voiture. La père d'Angelo est d'une famille de gens du voyage. Il se sédentarise avec sa seconde épouse à Seur, le village dont elle est originaire. À 9 ans, Angelo Garand rejoint son père remarié et sa demi-sœur[f 1],[1]. La famille s'agrandit avec la naissance d'un frère et d'une deuxième sœur. Angelo Garand ne termine pas le cycle de Segpa dans lequel il était avec d'autres élèves en difficulté. Il aide plutôt son père ferrailleur et fait l'école buissonnière. Il aime la nature et s'intéresse à la mécanique. Il a 14 ans quand un villageois porte plainte contre lui pour avoir pris une pomme qui pendait d'une branche à l'extérieur d'un jardin. Le magistrat du tribunal pour enfants le sermonne en lui expliquant qu'il s'agit d'un vol, puisque le pied de l'arbre était à l'intérieur[f 1].

Il quitte la maison familiale à 18 ans ; avec sa compagne, ils viennent d'avoir une fille. Leur premier fils nait deux ans plus tard. À 22 ans, il est jugé pour une conduite sans permis ni assurance. Il est accusé de fuite et d'avoir tenté de percuter le véhicule de gendarmerie. Son avocat commis d'office le présente à l'audience comme un simple petit « voleur de poule »[f 1],[1], préjugé commun sur les gens du voyage[2],[3], ce qui n'empêche pas les magistrats de prononcer une peine de 18 mois de prison avec mandat de dépôt. Il retourne en prison une deuxième fois, après un procès pour vol, et n'est pas présent pour la naissance de son deuxième fils. À sa sortie sa compagne l'a quitté ; il habite chez son père avec ses trois enfants dans une situation extrêmement précaire. Un vol de voiture et de cuivre dans un local industriel le renvoie en prison[f 1].

À sa sortie deux ans plus tard, il commence avec sa nouvelle compagne une nouvelle vie plus paisible. Il traite son héroïnomanie et fait une formation de taille de vigne. Ils vivent de contrats dans les domaines viticoles de la région et d'indemnités de chômage. Mais des dépenses incontournables (frais de justice, amendes impayées, pensions alimentaires) le mettent en grande difficulté économique. Pour vol, il est condamné une nouvelle fois à 27 mois de prison et incarcéré en détention préventive à Vivonne, à deux cents kilomètres de Seur[f 1]. Lors d’une permission de sortir d'une journée, accordée en , il ne rentre pas au centre pénitentiaire[4]. Selon la famille, il ne se cachait pas vraiment[1]. Six mois plus tard, il est abattu lors de son interpellation.

Angelo Garand a donc passé treize de ses quatorze dernières années en prison[f 1],[1]. À la différence du portrait qui sera fait de lui, il n'a été sanctionné (dix-neuf fois selon la presse[5]) que pour des affaires relativement bénignes dont aucune n'impliquait l'usage d'une arme, et avec une sévérité que n'explique que la récidive des infractions et les circonstances aggravantes[4]. Les condamnations au paiement de dommages et intérêts ont empêché toute stabilisation économique et ont eu pour conséquence d'induire la délinquance qu'elles voulaient prévenir[f 1].

Des versions de l'assaut qui s'opposent

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L'opération qui a lieu le est menée par des gendarmes du GIGN, spécialistes des actes terroristes et des prises d'otages, plutôt que par ceux de la commune, pour des raisons qui sont difficiles à comprendre a posteriori[f 2],[6]. Une source policière se demande s'il s'agissait d'un entrainement[7]. Didier Fassin fait le lien avec la militarisation croissante de la police ces dernières années[f 2],[8]. Aux gendarmes du GIGN, on aurait dit qu'il s'agissait d'arrêter « un fugitif dangereux et armé »[f 3]. La presse relaye cette information : Angelo Garand était un « gitan en cavale »[5], « potentiellement dangereux »[9].

Selon la version du procureur, diffusée par la presse et finalement retenue par la justice, les gendarmes font irruption sur le terrain familial et localisent Angelo Garand dans une petite grange. Une fois à l'intérieur, dans une demie obscurité, ils lui demandent de lâcher le couteau dont il les menace, se battent contre lui à coups de taser et essayent de l’immobiliser à mains nues avant finalement de tirer[10],[11],[12],[13],[5]. Angelo Grand reçoit cinq balles dans le torse et meurt dans les minutes qui suivent[14]. Le procureur détaille[5] :

« Les gendarmes lui ont demandé de se rendre. L'homme s'est levé, les gendarmes sont venus à son contact, puis il a sorti un couteau et l'a exhibé en s'avançant avec des gestes circulaires menaçants, a expliqué vendredi le procureur. Les gendarmes ont reculé et ont utilisé le Taser, le pistolet à impulsions électriques. Mais cela n'a pas eu l'effet escompté. Angelo Garand s'est rué sur un gendarme tentant de lui porter des coups au niveau du visage et du cou. C'est dans ces conditions qu'un premier gendarme a fait usage de son arme puis un second militaire a fait de même ce qui a permis de le neutraliser. »

Au contraire, selon les membres de la famille présents au moment du drame, un très bref silence aurait espacé le moment où les gendarmes ont pénétré dans la grange et les tirs effectués sans sommation. Cette version n'est pas reprise par la presse[f 4],[1], la police bénéficiant d’un crédit que n’ont jamais eu les cinq témoins de la famille de la victime[6],[8]. Ils ne participent d'ailleurs pas à la reconstitution qui est organisée le lendemain[5],[f 5].

La sœur d'Angélo, Aurélie, publie quelques jours après le drame une vidéo dans laquelle elle interpelle le préfet de police[1],[f 6]:

« Vous parlez d’un évadé qu’il aurait fallu neutraliser. C’est faux ! C’est une exécution ! Rien d’autre. »

Une cagnotte permet de rassembler la somme nécessaire pour payer les obsèques et engager la procédure de dépôt de plainte[f 6]. Aurélie Garand coordonne le une manifestation non violente qui rassemble plus de 200 personnes à Blois[15],[f 6], puis une autre à Tours le [16]. L'organisation d'un rassemblement le vaut à un travailleur social et militant une mise à pied et rupture anticipée de CDD pour faute grave[17],[18]. La famille reçoit l'appui de plusieurs associations et collectifs, « D’ailleurs nous sommes d’ici 37 », « Urgence notre police assassine », et le « collectif Adama et Assa Traoré »[7]. Pendant l'une des manifestations, Aurélie Garand clame[f 6] :

« L'égalité pour nous, ça n'existe pas. La fraternité, il ne nous reste que ça. Quand on marche pour un, on marche pour tous. »

Contre-enquêtes

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Dans son ouvrage Mort d'un voyageur : une contre-enquête[19],[20], le sociologue Didier Fassin souligne les nombreux éléments qui contredisent la version des gendarmes : les incohérences « extraordinaires »[20] entre leurs témoignages (Angelo Garand était-il vociférant ou muet ?)[21]; le rapport d'autopsie qui indique que les tireurs étaient au-dessus de la victime, alors que les gendarmes disent qu’il se tenait à leur hauteur, menaçant, quand ils ont tiré[22] ; le canif retrouvé à côté de la main droite du défunt alors que la dépouille a été déplacée et retournée[f 7],[22] ; le médecin légiste qui affirme que l’homme abattu n’était pas armé[f 8].

Didier Fassin propose une autre version des faits que celle retenue par la justice, une « vérité ethnographique » plutôt que judiciaire, selon laquelle les gendarmes auraient paniqué et tiré sur Angelo Garand, désarmé et accroupi, peu après l'avoir découvert dans le fond de la grange[22]. Ils auraient ensuite déplacé le corps, donné des coups de taser sur le cadavre, placé dans sa main droite un canif trouvé dans sa poche, et se seraient rapidement mis d'accord sur une version des faits légitimant l'issue fatale. Il s'agissait pour eux d'éviter le scandale et de préserver l’honneur de l’institution[f 9].

La thèse de la légitime défense est a nouveau constestée, 5 ans après les faits, par un groupe d’enquête indépendant (Geni)[23] qui a eu accès au dossier d'instruction[24]. Sa contre enquête relève la « contamination de la scène [par les gendarmes, qui] fausse l’analyse et la compréhension des faits », et leurs déclarations contradictoires:

« L’attaque au couteau tout d’abord. Les gendarmes se contredisent sur sa description. Certains évoquent une lame de 20 cm alors que le canif d’Angelo Garand faisait 9 cm. Un gendarme indique n’avoir pas vu de couteau sauf lors du menottage. Le couteau retrouvé près du corps ne portait aucune trace palmaire. On peut douter qu’il l’avait à la main. Quant au militaire qui affirme avoir tiré tout en tombant, le médecin n’a retrouvé aucune marque sur son menton. »

Par ailleurs l'analyse balistique du Geni contredit l'hypothèse de la légitime défense en montrant que l’homme était plutôt en train de tomber que d'attaquer quand il a été touché[23],[24].

Suites judiciaires

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La garde à vue des deux gendarmes qui ont tiré est levée le , ce que la presse interprète comme une confirmation de la thèse de la légitime défense[25]. Le procureur précise en effet ce jour-là que « les constatations médico-légales, celles de police technique et scientifique, l'expertise balistique, confrontées aux différentes auditions, permettent de dire qu'il existe une cohérence avec la description faite par les gendarmes »[25].

Au cours de l'information judiciaire, une première juge d'instruction ordonne une commission rogatoire, auditionne tous les témoins (y compris la famille), et visite le lieu du drame. En , elle met en examen pour « violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort de M. Angélo Garand sans intention de la donner » deux des gendarmes impliqués ; ils sont laissés libres, sans mesure de sûreté[26],[9],[27]. Ces violences sont punissables de 15 ans de prison lorsqu'elles sont commises « par une personne dépositaire de l'autorité publique », selon l'article 222-8 du code pénal[27].

Mais, selon Didier Fassin, la magistrate qui remplace la première écarte systématiquement tous les éléments qui contredisent la version des gendarmes[f 7] et retient la légitime défense et l'usage graduel de la force. Son ordonnance précise qu’aucun organe vital n'a été atteint, ce qui permet de dire que la mort n'était pas recherchée, alors que selon l’autopsie le cœur et le poumons d’Angelo ont été transpercés[20],[22]. Le non-lieu disculpant les deux gendarmes du GIGN est prononcé le [28],[29],[30] et confirmé le [31],[14]. Le procureur précise alors que[31] :

« Les juges ont estimé que l'usage des armes à feu par les deux militaires de la gendarmerie a été « strictement proportionné au danger de mort ou d'atteinte physique grave encouru par ces derniers et leurs collègues, en l'absence de toute autre alternative possible. »

La famille d’Angelo Garand forme un pourvoi contre le non-lieu[32],[8], qui est rejeté le [33],[34]. La Cour européenne des droits de l'homme peut encore statuer sur la forme en examinant si oui ou non l’État français est fautif pour manquement aux droits des personnes[20],[35]. Cette requête, pour violation du droit à la vie, est déposée devant la CEDH par la famille en décembre 2020[36].

  1. a b c d e f et g Fassin (2020), p. 91-97.
  2. a et b Fassin (2020), p. 138-140.
  3. Fassin (2020), p. 31, 141.
  4. Fassin (2020).
  5. Fassin (2020), p. 129.
  6. a b c et d Fassin (2020), p. 77-83.
  7. a et b Fassin (2020), p. 105-112.
  8. Fassin (2020), p. 49.
  9. Fassin (2020), p. 141-149.

Références

[modifier | modifier le code]
  1. a b c d e et f Inès Belgacem et Yan Morvan, « C’est ici que le GIGN a abattu mon fils. Il s’appelait Angelo », sur StreetPress, (consulté le )
  2. Ondine Millot, «Ils nous traitaient de "sales gitans", de "voleurs de poules"», sur Libération, (consulté le )
  3. Saimir Mile, « L’antitsiganisme : une tradition française: », dans Cahiers libres, La Découverte, (ISBN 978-2-348-04624-7, DOI 10.3917/dec.slaou.2020.01.0187, lire en ligne), p. 187–198
  4. a et b Didier Fassin, « La mémoire vive d’Angelo, de la prison à la violence policière », sur Libération, (consulté le )
  5. a b c d et e « Loir-et-Cher : un gitan en cavale tué par le GIGN, la légitime défense privilégiée », sur Le Parisien, (consulté le )
  6. a b et c « Mort d'Angelo Garand : une contre-enquête qui interpelle », sur La Nouvelle République, (consulté le )
  7. a et b Mourad Guichard, « Emoi après la mort d’un détenu en cavale », sur Libération, (consulté le )
  8. a b et c Matthieu Suc, « Mort d’Angelo Garand, tué par le GIGN : ce que dit le dossier judiciaire », sur Mediapart, (consulté le )
  9. a et b AFP, « Détenu abattu pendant sa cavale : deux gendarmes du GIGN mis en examen à Blois », sur Le Parisien, (consulté le )
  10. « Seur (Loir-et-Cher) : un fugitif tué lors de son interpellation », sur La Nouvelle République, (consulté le )
  11. « Un fugitif tué lors de son interpellation », sur La Nouvelle République, (consulté le )
  12. « Seur : les gendarmes auraient tiré pour se défendre », sur La Nouvelle République, (consulté le )
  13. « Un détenu de Vivonne en cavale tué dans le Loir et Cher lors de son interpellation », sur France Bleu, (consulté le )
  14. a et b « Mort d'Angelo Garand à Seur : non-lieu confirmé pour les gendarmes du GIGN de Tours », sur La Nouvelle République, (consulté le )
  15. « " La justice pour Angelo ! " », sur La Nouvelle République (consulté le )
  16. « La famille d'Angelo Garand veut la vérité », sur La Nouvelle République, (consulté le )
  17. Louise Fessard, « Un travailleur social sanctionné pour une manifestation », sur Mediapart (consulté le )
  18. « Discrimination. Viré pour avoir organisé une manif », sur L'Humanité, (consulté le )
  19. a et b Annélie Delescluse, « FASSIN, Didier, Mort d’un voyageur. Une contre-enquête, Paris : Éd. du Seuil, 2020, 176 p. », Migrations Société, vol. no 181, no 3,‎ , p. 157 (ISSN 0995-7367 et 2551-9808, DOI 10.3917/migra.181.0157, lire en ligne, consulté le )
  20. a b c d et e Sylvain Bourmeau, « Rendre justice, et non la justice », sur France Culture, (consulté le )
  21. a et b Lucie Delaporte, « Mort d’Angelo Garand: la contre-enquête du sociologue Didier Fassin », sur Mediapart (consulté le )
  22. a b c d et e Sonya Faure, « Angelo, l’autre vérité des violences policières », sur Libération, (consulté le )
  23. a et b Reporterre, « Contre les « crimes institutionnels et écologiques », ils lancent des contre-enquêtes », sur Reporterre, le quotidien de l'écologie (consulté le )
  24. a et b « Mort d’Angelo Garand, près de Blois : la légitime défense contestée », sur La Nouvelle République,
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  30. « LOIR-ET-CHER. Non-lieu pour deux gendarmes qui avaient abattu un détenu en cavale », sur www.ledauphine.com (consulté le )
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  35. a et b Olivier Pascal-Moussellard, « Violences policières : “Lorsque les forces de l’ordre blessent ou tuent, il est très rare qu’il y ait un procès” », sur Télérama, (consulté le )
  36. Garand 2022, p. 7.
  37. « Livre Mort d'un voyageur par Didier Fassin », sur France Inter, (consulté le )
  38. Frédérique Letourneux, « Mort d'un voyageur », sur Sciences Humaines, (consulté le )
  39. « Didier Fassin : « Les juges accordent plus de crédit à la parole des forces de l’ordre » », sur Alternatives Economiques, (consulté le )

Articles connexes

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