Palais des Soviets — Wikipédia
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Hauteur | 416 m |
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État de conservation | démoli ou détruit (d) |
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Le palais des Soviets (russe : Дворец Советов, Dvorets Sovetov) était un projet de construction d'un centre administratif et de congrès à Moscou en URSS, près du Kremlin, sur le site de la cathédrale du Christ-Sauveur, démolie à cet effet. Le concours architectural de 1931-1933 fut remporté par Boris Iofane avec un projet aux accents néoclassiques, remanié ensuite par Vladimir Chtchouko, Vladimir Gelfreich et lui-même en un gigantesque gratte-ciel. S'il avait été construit celui-ci serait devenu la plus haute structure jamais construite à l'époque. Le chantier débuta en 1937 et fut interrompu par l'invasion allemande de 1941. Entre 1941 et 1942, sa charpente en acier est démantelée et utilisée pour des fortifications et des ponts. Les travaux n'ont jamais repris et en 1958, les fondations du palais sont reconverties en piscine en plein air baptisé piscine Moskva, laquelle allait devenir la plus grande du monde. Enfin, celle-ci laissera à son tour la place à la cathédrale reconstruite à son emplacement initial entre 1995 et 2000.
Une station de métro proche, percée en 1935 sous le nom de Palais des Soviets, est rebaptisée Kropotkinskaïa en 1957.
Maturation du concept
[modifier | modifier le code]L'Union soviétique existe officiellement à partir du premier congrès des Soviets en . Sergueï Kirov, prenant la parole lors de celui-ci, propose de construire un palais des congrès « sur les lieux ayant un jour appartenu aux banquiers, aux propriétaires terriens et aux tsars. » Kirov avance que bientôt des halls existants seraient trop petits pour contenir les délégués des nouvelles républiques de l'Union. Le palais « sera juste une autre pression en faveur du prolétariat européen, encore endormi [...] pour réaliser que nous arrivons pour le bien et pour toujours, que les idées [...] du communisme sont aussi enracinées ici que les puits de pétrole le sont à Bakou[1]. »
En 1924, à la mort de Lénine, la construction temporaire de son mausolée lance une campagne nationale pour construire des mémoriaux à son souvenir à travers le pays. Victor Balikhine, jeune diplômé de Vkhoutemas, propose d'installer un mémorial dédié à Lénine au sommet du bâtiment du Comintern, sur le site de la cathédrale du Christ-Sauveur. « Des lampes à arc inonderont de lumière les villages, les villes, les jardins et les parcs, appelant tout le monde à honorer Lénine, même la nuit[2] ». Le concept de Balikhin, oublié pendant quelques années, resurgit plus tard dans le projet de Boris Iofane.
Démolition de la cathédrale du Christ-Sauveur
[modifier | modifier le code]Six années plus tard, en , l'État lance le premier concours pour le palais des Soviets, distribuant les propositions préliminaires à quinze ateliers d'architectes, aussi bien d'avant-garde que « traditionnels ». Ce concours prend fin au mois de mai, sans lauréat mais avec une victime, la cathédrale du Christ-Sauveur.
Le , une conférence du Parti décide du site du futur palais et condamne la cathédrale, une décision formellement approuvée peu après par le Comité exécutif central des soviets, la plus haute institution de l'État. Le , jour où les Izvestia annoncent l'ouverture d'un deuxième concours, international celui-là, les commissaires de l'État commencent l'inventaire des biens de la cathédrale. Une petite part est retirée et conservée au frais de l'État au monastère de Donskoï, le reste est laissé en déshérence. La démolition débute le et s'achève le suivant par la mise à bas de la structure par deux salves d'explosions[3]. L'évacuation des décombres prend plus d'un an[4].
Concours public
[modifier | modifier le code]Le deuxième concours international et public est annoncé le . Au total pas moins de 272 projets conceptuels sont déposés dont 160 sont des travaux architecturaux (136 soviétiques et 24 étrangers). Le concours attire des architectes d'envergure internationale comme Le Corbusier[5], Joseph Urban, Walter Gropius, Erich Mendelsohn ou Armando Brasini (le maître italien de Boris Iofane)[6]. Les projets américains sont coordonnés par Albert Kahn[7]. Brasini apporte le plus clairement le concept d'une statue de Lénine coiffant un gratte-ciel[8].
L'impact de ce concours fut énormément prégnant jusqu'en 1941 ; celui-ci eut une diffusion internationale en 1931-1932, avec force revues et reportages publiés à travers le monde. Le conseil des experts fut présidé (du moins officiellement) par le vieux bolchevik Gleb Krzhizhanovsky. Le Time Magazine qualifia ce conseil de « jury dont le membre le plus notable était le dictateur Staline[9]. ».
Plutôt que de déclarer clairement un gagnant, le conseil désigna en trois ébauches directrices, celles de Boris Iofane, de Ivan Joltovski et du jeune architecte britannique, alors âgé de 28 ans, Hector Hamilton vivant dans le New Jersey[10]. Ce résultat réclamait une troisième phase de concours - ou l'intervention de l'État. Les trois compétiteurs abandonnèrent alors toute espèce d'avant-gardisme pour se tourner vers un néoclassicisme (voire un éclectisme). Cette décision « réactionnaire » provoqua un tumulte parmi des artistes européens d'avant-garde. Le Corbusier et Sigfried Giedion, à l'origine des CIAM, se plaignirent auprès de Staline, argumentant avec une rhétorique communiste, avançant que cette « décision du conseil est une insulte directe adressée à l'esprit de la Révolution et au plan quinquennal. [Elle constitue] une trahison tragique[11]. »
La décision
[modifier | modifier le code]Le concours international n'en fut suivi d'aucun autre, mais de deux autres phases de compétition fermée. La troisième session ( - ) invita quinze équipes à concourir, la quatrième ( - ) n'en invita que cinq. Le , les esquisses de Boris Iofane furent déclarées lauréates. Un duo d'architectes néoclassiques, Vladimir Chtchouko et Vladimir Gelfreikh, furent assignés à l'équipe d'Iofane. Le projet est alors connu comme le projet Iofane-Chtchouko-Gelfreikh.
Cependant, la correspondance publiée récemment entre Staline et Lazare Kaganovitch, identifia le moment de la sélection pas plus tard qu'en . Le , Staline écrivit une note à Kaganovich, Molotov et Voroshilov signalant clairement le projet d'Iofane comme le meilleur, et proposait quelques modifications :
- allonger la tour principale, comme une colonne (tel qu'Iofane l'avait proposé lors du premier concours) ;
- la rendre aussi grande, voire plus haute encore, que la tour Eiffel ;
- couronner la colonne avec une faucille et un marteau nimbés de lumière ;
- placer des monuments à Lénine, Marx et Engels devant le bâtiment[12].
Le projet Iofane-Chtchuko-Gelfreikh
[modifier | modifier le code]Les esquisses originales d'Iofane étaient couronnées par une statue relativement petite du Prolétarien libre. En , tel que cela apparaît dans les notes de Staline, la statue ayant disparu du projet, il dut personnellement intervenir pour corriger cette omission. Une très haute tour et une statue de Lénine apparurent en fait après la quatrième session, en réponse à un discours de Staline : « Le palais des Soviets est un monument dédié à Lénine. N'ayez pas peur de la hauteur, recherchez-la[13]. » Lors du déroulement du projet, la hauteur passa ainsi de 260 à 415 mètres. La salle principale, avec une capacité d'accueil de 21 000 places, avait une hauteur sous plafond de 100 mètres et un diamètre de 160 mètres (le petit amphithéâtre, situé dans l'aile gauche, n'avait lui qu'une capacité de 6 000 places)[14]. Ce projet fut présenté au public en . L'artiste américano-lituanien William Zorach « laissa échapper un cri de protestation, accusant les Soviets d'avoir volé une idée qu'il avait soumise pour un mémorial dédié à Lénine à Léningrad » en vain[9]. La structure de la statue fut dessinée ensuite : une version de 100 mètres de haut en 1936 créait une surcharge de 6 000 tonnes. En 1937, Frank Lloyd Wright s'adressant au congrès des architectes soviétiques fit cette remarque : « cette structure — juste une proposition j'espère — serait bonne si on la prenait pour une version moderne de saint Georges terrassant le dragon[15] ».
Construction
[modifier | modifier le code]Les fondations furent achevées en 1939. Les constructeurs enfoncèrent sur un périmètre des piles en acier à 20 mètres de profondeur, excavèrent la fosse, démolirent et déblayèrent les fondations de l'ancienne cathédrale. Les nouvelles fondations étaient faites d'une dalle en béton légèrement concave avec des anneaux verticaux concentriques pour soutenir les colonnes du hall principal. Dès , la charpente en acier du premier niveau fut érigée.
Mais la guerre perturba le chantier : la charpente en acier fut sectionnée en 1941 et 1942, et réutilisée pour le système de fortification de Moscou ainsi que pour construire des ponts de chemin de fer. La fosse des fondations demeura, abandonnée, se remplissant peu à peu d'eau d'infiltration, mais bien gardée néanmoins, jusqu'en 1958.
Pendant ce temps l'équipe d'Iofane, réfugiée à Sverdlovsk, continua de peaufiner le projet. Après la guerre, Iofane produisit une autre version[16], incluant cette fois le thème de la Victoire, de façon littérale : les halls intérieurs étaient décorés par des motifs de l'ordre de la Victoire. Mais ces esquisses resteront lettre morte ; le chantier sur le site initial ne reprendra jamais. Iofane concourut bien pour le projet de gratte-ciel sur Vorobievy Gory, mais on lui préféra Lev Roudnev. Cependant Roudnev et les autres architectes d'après-guerre conçurent leurs tours comme si le Palais existait, contextualisant tout projet d'envergure avec le palais en toile de fond.
Influence et répercussions
[modifier | modifier le code]Le projet du palais força au développement de nouvelles technologies, notamment l'acier de construction du type DS (ДС, Дворец Советов). L'acier ODS (ou DS) et SDS (ou spécial DS) furent utilisés pour les ponts de Moscou construits dans les années 1930[17] et la structure du canal Moscou-Volga. Une station de métro proche, aménagée en 1935 par Alexeï Douchkine sur concours, fut nommée Palais des Soviets et rebaptisée Kropotkinskaïa en 1957.
Dès que les premiers jets du projet Iofane-Chtchouko-Gelfreikh furent publiés en 1934, le Palais devint le symbole de l'art soviétique, apparaissant sur les images de propagande telles celles d'Alexandre Deineka. Des animations du Palais non-construit furent insérées dans des films (dont le film de 1938 Novaya Moskva , ou de 1944 Six heures, après la guerre, réalisé quand les studios Mosfilm furent évacués à Tachkent). Des images du palais non-construit furent copiées sur de vrais bâtiments comme l'embarcadère fluvial nord en 1937.
En 1958-1960, les fondations du palais furent nettoyées des décombres et converties en une piscine de plein air, la piscine Moskva. Pratiquement circulaire, elle avait un diamètre de 129,5 mètres et fut un temps la plus grande du monde.
Dans les années 1970, l'État dirigea un concours architectural pour le nouveau musée Lénine, proche du site, entre le musée Pouchkine et le Kremlin. Certains des compétiteurs proposèrent malgré tout de construire ce musée à l'emplacement de la piscine Moskva, prolongeant le projet d'Iofane. Ce projet ne verra jamais le jour.
La cathédrale sera reconstruite entre 1995 et 2000.
Dans la littérature
[modifier | modifier le code]Ryszard Kapuściński décrit la démolition de la cathédrale et le projet de construction du palais des Soviets dans un chapitre de son livre Imperium.
Dans la culture populaire
[modifier | modifier le code]Dans le jeu vidéo russe Allods Online, la tour de Yasker, située dans la capitale de l'empire, a une architecture très fortement inspirée du palais des Soviets[18].
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Projets d'architecture stalinienne :
- Concours pour le bâtiment du Narkomtiajprom en 1934
- Centre panrusse des expositions (1936-1939, 1951-1954)
- Architecture stalinienne
- Gratte-ciel staliniens (1947-1954)
- Liste de gratte-ciel européens
- Palais de la Culture et de la Science à Riga
- Palais de la culture et de la science à Varsovie
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Reproductions en haute résolution de vues extérieures de différentes versions (1937-1940) sur www.muar.ru : élévation, maquette en plâtre, coupe.
- Actualité animées : Nouveau Moscou (1937) (Divx au format avi : vidéo 1, vidéo 2, vidéo 3, vidéo 4)
- Esquisses de Dmitri Chechuline, extérieure et intérieure
- Esquisse de Karo Alabyan, Arkadi Mordvinov et d'autres (image)
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Palace of the Soviets » (voir la liste des auteurs).
- (ru) Transcription du discours de Kirov du : Musée moscovite de l'architecture citation de l'édition officielle de 1957
- (ru) Extrait de l'article de Balikhin, www.artchronica.ru,
- (en) "Foreign News: Grand Smash" Time Magazine en date du 14 décembre 1931, l'article décrit la démolition par cartouches d'air liquide, ce qui n'est pas corroboré par les sources russes actuelles.
- (ru) Page sur la destruction sur le site de la cathédrale
- « Palais des Soviets, Moscow, Russia, 1930 », sur Fondation Le Corbusier (consulté le ).
- (en) Catalogue de l'exposition sur Brasini
- (ru) М. Маркуша , Д. Хмельницкий, Конец утопии – конкурс на Дворец Советов в Москве, www.archi.ru,
- www.muar.ru Expositions de Brasini : Palais des Soviets
- (en) « Soviet Palace », Time, vol. 23, no 12, (lire en ligne)
- Hamilton's Palace, Time, www.time.com
- Russe : Дмитрий Хмельницкий, Сталин и архитектура, гл.2, www.archi.ru (Khmelnitzky, chapitre 2)
- Khmelnitsky, ch. 2, note dans l'édition russe de Сталин и Каганович: Переписка, 1931-1936 гг., M, 2001, p. 259, (ISBN 5-8243-0241-3)
- Khmelnitsky, ch. 2, note de l'édition de 1940 du Palais des Soviets par N. Atarov.
- Russe : Глазычев, В.М., Россия в петле модернизации, гл.10, 1989 www.glazychev.ru
- Frank Lloyd Wright, Address at First All-Union Congress of Soviet Architects, , archives publiées par Vladimir Paperny
- muar
- Russe : Носарев В.А., Скрябина, Т.А., Мосты Москвы, М, "Вече", 2004, стр. 77-79 (Ponts de Moscou, 2004, p. 77-79) (ISBN 5-9533-0183-9)
- « Allods Online - Tour de Yasker (Empire) », sur JeuxOnLine (consulté le )