Pouvoir constituant — Wikipédia
Le pouvoir constituant est le pouvoir qui crée ou révise une Constitution. C'est l'organe bénéficiant de la compétence constitutionnelle. On le distingue entre pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé.
L'expression constituent power (« pouvoir constituant » en anglais) est attestée en : à la suite de Willi Paul Adams, il est admis que sa première occurrence se trouve dans une lettre ouverte de Thomas Young aux habitants du Vermont, datée du [1],[2],[3].
Pouvoir constituant originaire
[modifier | modifier le code]Le pouvoir constituant originaire est le pouvoir d'établir des règles fondamentales relatives à la dévolution et à l'exercice du pouvoir politique. Ainsi, il crée une nouvelle Constitution pour un État donné. Deux théories s'affrontent sur le sujet. La première, défendue par des auteurs comme Raymond Carré de Malberg, établit que la Constitution naît d'un néant juridique, d'un vide du droit qu'elle va s'efforcer de combler. La deuxième, défendue par des auteurs tels que René Capitant, développe l'idée que la Constitution naît du droit lui-même, que même une révolution serait un droit. Pour lui, Raymond de Malberg se méprend sur le droit et il « vit dans l'illusion que le droit ne serait que du droit écrit ».
Un pouvoir né d'un vide constitutionnel
[modifier | modifier le code]Par définition, le pouvoir constituant originaire apparaît ponctuellement, à la suite d'une discontinuité constitutionnelle. À l'occasion d'un événement particulièrement important et exceptionnel, en effet, l'ordre constitutionnel précédent est détruit. Il se crée donc un vide constitutionnel, qu'il appartient de combler.
Ce vide constitutionnel peut être notamment créé par une Révolution ou un coup d'État. Ainsi, en France, de nombreuses constitutions ont été élaborées entre 1791 et 1804, avec une succession de régimes. Ces modifications ont eu lieu lors de la Révolution française.
Ce vide constitutionnel peut aussi avoir sa cause dans l'apparition d'un nouvel État. On peut ainsi citer l'exemple des différents pays qui sont issus de la décolonisation française et anglaise.
Le vide constitutionnel peut enfin apparaître à la suite d'une guerre. D'abord, on peut considérer que l'occupation prolongée du territoire justifie la création d'une nouvelle Constitution. C'est l'exemple de l'Allemagne de l'Ouest, après la défaite de 1945, ayant abouti à la création de la Loi fondamentale du 23 mai 1949. On peut aussi citer la Constitution irakienne, créée pendant une occupation étrangère.
Une autre hypothèse est qu'à la suite d'une guerre, le pouvoir constituant originaire remette en vigueur la Constitution précédente, afin de démontrer la continuité de l'État. Elle peut être illustrée par l'Autriche qui, en 1945, a préféré redonner vie à la Constitution du (écrite notamment par Hans Kelsen), dont l'application avait été interrompue en 1938 par l'Anschluss, plutôt que d'écrire une nouvelle Constitution.
Pouvoir constituant dérivé
[modifier | modifier le code]Le pouvoir constituant dispose d'une compétence de révision de la Constitution, qui doit obéir à des conditions de forme (procédure pour réviser la Constitution) et à des conditions de fond (portée de la révision envisagée). L'étude du pouvoir constituant dérivé est donc liée à l'étude des révisions constitutionnelles.
Le terme d'institué est établi en référence aux institutions qui disposent de ce pouvoir constituant. Le terme de dérivé, lui, permet d'insister davantage sur le fait que ce pouvoir constituant tient son fondement du pouvoir constituant originaire lui-même, par le moyen de la Constitution.
N.B : Le terme de pouvoir constitué que l'on trouve parfois ne renvoie pas au pouvoir constituant dérivé ou institué, mais aux pouvoirs édictés dans la Constitution, qui peuvent être le pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire.
Le pouvoir constituant dérivé, critère de la souplesse ou de la rigidité de la Constitution
[modifier | modifier le code]La place donnée au pouvoir constituant dérivé est donc caractéristique du caractère souple ou rigide de la Constitution, c’est-à-dire de la facilité à réviser la Constitution. Si le pouvoir constituant dérivé dispose d'une large compétence, la Constitution peut raisonnablement être considérée comme souple. Si au contraire, cette révision par le pouvoir constituant dérivé est difficile, la Constitution peut être considérée comme rigide.
Constitutions souples et rigides
[modifier | modifier le code]La distinction est basée sur la facilité avec laquelle on révise la constitution, c'est une différence de degré (par opposition à une différence de nature).
La constitution souple :
- peut être modifiée selon les formes et les procédures de la loi ordinaire. Elle ne nécessite donc pas de modalités particulières pour sa révision car elle se révise aussi facilement qu'une loi se vote.
- elle est compatible avec la vision d'État de droit...
- ...mais elle peut être dangereuse pour les citoyens (la liberté peut être facilement modifiée).
La constitution rigide :
- nécessite le respect de procédures spécifiques (comme le vote à une majorité qualifiée et par l'Assemblée nationale et le Sénat).
- une différence s'opère entre le pouvoir constituant et le pouvoir législatif.
La constitution rigide prévaut en France aujourd'hui :
- méfiance par rapport au législateur ⇒ mettre hors de sa portée quelques grands principes.
- reconnaissance de la supériorité de la constitution sur la loi.
- aspect durable d'une constitution.
- évite une décision hâtive d'un gouvernement.
- protection des citoyens.
Note : Il ne faut pas confondre la distinction constitution souple/rigide avec constitution écrite/coutumière.
À l'inverse, la Constitution des États-Unis d'Amérique, elle, est beaucoup plus difficile à réviser. Le XXVIIe amendement, par exemple, a mis près de deux siècles pour être consacré à la valeur constitutionnelle : il a été proposé par le Congrès le , et n'a été déclaré ratifié que le , soit 203 ans après.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Adams 2001, p. 63.
- Colón-Ríos et Hutchinson 2012, p. 595.
- Klein 1996, p. 13.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- [Adams 2001] (en) Willi Paul Adams (trad. de l'allemand par Rita et Robert Kimber, préf. Richard B. Morris), The first American Ccnstitutions : republican ideology and the making of the State constitutions in the Revolutionary Era [« Republikanismus und die ersten amerikanischen Einzelstaatsverfassungen : zur ideengeschichtlichen und verfassungsgeschichtlichen Komponente der amerikanischen Revolution (-) »], Lanham, Rowman & Littlefield, , 2e éd., 1 vol., XXI-378, 24 cm (ISBN 0-7425-2068-4 et 0-7425-2069-2, OCLC 491730359, SUDOC 092638775, lire en ligne).
- Giovanni Bianco, Brevi note su potere costituente e storia, in Scritti in onore di Pietro Rescigno, Giuffrè, Milano, 1999, I, 148 sgg.
- [Colón-Ríos et Hutchinson 2012] (en) Joel Colón-Ríos et Allan Hutchinson, « Democracy and revolution : an enduring relationship ? », Denver University Law Review, vol. 89, no 3, , p. 593-610 (lire en ligne, consulté le ).
- [Ferreira 2019] Oscar Ferreira, Le constitutionnalisme octroyé, Paris, Eska, 2019, 428 p. http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SET=1/TTL=1/SHW?FRST=1
- [Klein 1996] Claude Klein, Théorie et pratique du pouvoir constituant, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Les Voies du droit », , 1re éd., 1 vol., VII-217, 22 cm (ISBN 2-13-047716-X, EAN 9782130477167, OCLC 463950320, BNF 35851016, SUDOC 004007689).
- Kemal Gözler, Pouvoir constituant, Bursa (Turquie), Editions Ekin Kitabevi, 1999, 120 p.
- Pietro Giuseppe Grasso, Potere costituente, in Enc.dir., XXIV, Giuffrè, Milan, 1984.
- [Negri 1997] Antonio Negri, Le pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité, Paris, PUF, 1997
- Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992.
- Pierre Pactet et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Armand Colin, 24e édition (aout 2005).
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- Les limites d'ordre juridique à l'intervention du pouvoir constituant, Bruno Genevois, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel