Pro Armenia — Wikipédia

Pro Armenia
Image illustrative de l’article Pro Armenia

Pays Drapeau de la France France
Langue Français
Périodicité Bimensuel
Prix au numéro 0,25 puis 0,40 francs
Fondateur Pierre Quillard
Date de fondation
Date du dernier numéro
Ville d’édition Paris

Rédacteur en chef Pierre Quillard
Comité éditorial Georges Clemenceau
Anatole France
Jean Jaurès
Francis de Pressensé
Eugène De Robertis
ISSN 2018-9257

Pro Armenia est un journal français fondé en 1900 par Pierre Quillard (1864-1912), publié jusqu'en 1914[1] et fer de lance du mouvement arménophile. Entre et , le journal est remplacé par Pour les Peuples d'Orient, Organe des Revendications Arméniennes[2].

Genèse : massacres hamidiens et naissance du mouvement arménophile

[modifier | modifier le code]

Pierre Quillard est le personnage clé derrière Pro Armenia. En 1893, il s'installe à Constantinople pour donner des cours de latin et de français au collège des Arméniens catholiques de Péra (en turc Beyoğlu), ainsi que des cours de philosophie et d'histoire des littératures à l’École centrale de Galata (fondée par le patriarche arménien de Constantinople Nersès Varjapétian)[3]. Pendant son séjour, qui dure jusqu'en 1896[4], il rencontre de nombreux Arméniens, dont le poète et intellectuel arménien Archag Tchobanian en 1894[5]. Mais il est aussi et surtout témoin oculaire des massacres hamidiens (1894-1896), évènements qu'il relate dans la Revue de Paris dans un article du sous le pseudonyme Maurice Le Veyre[5],[6]. Il devient à partir de là un arménophile fervent, multipliant les ouvrages et articles sur la situation des Arméniens ottomans[7].

Les échos des persécutions ottomanes exercées à l’encontre des populations arméniennes de l'Empire ottoman parviennent jusqu'en Europe. Les Arméniens tentent d'alerter les Européens, notamment la jeune Fédération révolutionnaire arménienne (créée en 1890) qui est membre observateur du IVe Congrès de la IIe Internationale en 1896 et qui est à l'origine de la prise de la Banque ottomane de Constantinople le de la même année[8], véritable opération de « terrorisme publicitaire »[9]. La FRA envoie aussi une délégation en Europe, composée notamment de Christapor Mikaelian et Jean-Loris Mélikov (neveu de Mikhaïl Loris-Melikov), qui rencontrent Pierre Quillard[10].

L'écho des massacres parvient, notamment grâce à Pierre Quillard, en France, où un mouvement de protestation arménophile voit le jour et prend progressivement de l'ampleur. Le , suivant les interventions des députés Denys Cochin, Albert de Mun, Jules Delafosse et Gustave-Adolphe Hubbard[11], Jean Jaurès fait un discours remarqué à la Chambre des députés, interpellant le gouvernement français, en particulier le ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux, au sujet des massacres[12],[13].

Archag Tchobanian, installé en France après son départ de Constantinople en [5], est l'artisan principal de la constitution et de l'organisation du mouvement arménophile français. Ainsi, il fonde en 1897 avec Alphonse Daudet, Émile Zola et Pierre Quillard le Comité pro-arménien[14].

Le journal Pro Armenia est fondé et publie son premier numéro le . Dans ce numéro, les arménophiles exposent leurs revendications :

« Les grands massacres de 1894, 1895, 1896, exécutés par les ordres du sultan Abdul-Hamid et qui firent plus de trois cent mille victimes, commencent à peine à être connus en Europe dans tous leurs détails ; et si récents, ils seraient déjà oubliés et relégués au rang des catastrophes historiques, si l'on voulait suivre les conseils des diplomates à courte mémoire.
Cependant, depuis lors, l'extermination méthodique de la race arménienne se poursuit par des moyens plus lents, mais aussi sûrs ; et en présence de l'universelle lâcheté, l'auteur des premiers crimes médite de parfaire son œuvre et de déchaîner à nouveau en Anatolie l'assassinat, le pillage, le viol et l'incendie.
Avec le concours d'illustres collaborateurs français et étrangers, nous dénoncerons les atrocités commises et nous rappellerons à l'Europe, sans nous lasser, qu'elle a de par les traités des droits à exercer contre le Grand Assassin, des devoirs à remplir envers les victimes de sa folie.
Il ne s'agit point ici de réveiller l'esprit de croisade ni d'exciter à la haine de l'une des races ou des religions qui vivent ou sont professées sur le territoire ottoman.
Mais si nous sommes prêts à divulguer tous les attentats du sultan contre chacun des peuples que la mauvaise fortune fit ses sujets, nous nous attacherons plus spécialement aux souffrances arméniennes parce qu'elles excèdent infiniment toutes les autres ; parce que c'est, pour une race entre toutes intelligente et apte à recevoir la civilisation occidentale, une question de vie ou de mort immédiate ; parce que, pratiquement, l'Europe est armée, par le traité de Berlin, pour mettre fin à ces horreurs et préparer ainsi la régénération de la Turquie toute entière[15]. »

Le journal est un bimensuel d'une dizaine de pages, sobres dans leur présentation, avec des clichés et des rubriques régulières[16].

Ambitions et modes d'action

[modifier | modifier le code]

Un des défis du journal est de vaincre l'arménophobie reposant sur les stéréotypes de l'antisémitisme que l'on peut alors trouver en Europe[10]. Comme le note Agnès Varhamian, « Outre une meilleure connaissance des Arméniens, le journal vise à créer une tribune de l'arménophilie » et à « résoudre la Question arménienne par l'intervention de l'Europe »[16].

La stratégie du journal repose sur le recours à des intellectuels : Pierre Quillard parvient ainsi à convaincre et faire inscrire dans le comité de rédaction Jean Jaurès, Georges Clemenceau, Anatole France, Francis de Pressensé, Eugène de Roberty ou encore Jean Longuet[16]. Pierre Quillard utilise aussi une rhétorique qui s'appuie sur « le sensationnel et la détresse » pour faire réagir l'opinion publique[16].

Pro Armenia cherche à brasser large, n'imposant pas à ses collaborateurs un programme précis, et rassemblant donc des socialistes, des radicaux, des conservateurs ou encore des religieux[16].

Succession : La voix de l’Arménie

[modifier | modifier le code]

Après la disparition de Pro Armenia et après la guerre, le mouvement arménophile français se dote d'un nouveau périodique, La voix de l’Arménie, revue bimensuelle éditée à Paris à partir du et ce jusqu’en 1919[17]. Cette revue continue de porter les revendications des Arméniens, posant en France la question de la survie du peuple arménien et la dénonciation de son extermination programmée lors du génocide[17].

Dirigée par René Pinon, La voix de l’Arménie est soutenue par Clemenceau, Anatole France, Antoine Meillet, Denys Cochin puis Paul Doumer et Émile Doumergue, Frédéric Macler, Camille Mauclair, Jacques de Morgan, Salomon Reinach et bien d’autres, qui forment le comité de patronage de la revue[17].

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. « Pro Armenia », sur data.bnf.fr
  2. « Pour les peuples d'Orient », sur data.bnf.fr
  3. Agnès Varhamian 2003, p. 339.
  4. Agnès Varhamian 2003, p. 341.
  5. a b et c Agnès Varhamian 2003, p. 340.
  6. Maurice Le Veyre, « Les massacres des Sasounkh », La Revue de Paris, vol. 5,‎ , p. 73-91 (lire en ligne sur Gallica Accès libre)
  7. Agnès Varhamian 2003, p. 340-342.
  8. Denis Donikian, « 17 – La prise de la Banque ottomane », sur denisdonikian.blog.lemonde.fr,
  9. Agnès Vahramian 2003, p. 336.
  10. a et b Agnès Varhamian 2003, p. 343.
  11. Denys Cochin, Albert de Mun, Jules Delafosse et Gustave-Adolphe Hubbard, « Chambre des députés, 6e législation - Session extraordinaire de 1896 : Compte-rendu in extenso - 4e séance. Séance du mardi 3 novembre », Journal officiel de la République française. Débats parlementaires,‎ , p. 1347-1359 (lire en ligne sur Gallica)
  12. Jean Jaurès, « Chambre des députés, 6e législation - Session extraordinaire de 1896 : Compte-rendu in extenso - 4e séance. Séance du mardi 3 novembre », Journal officiel de la République française. Débats parlementaires,‎ , p. 1359-1362 (lire en ligne sur Gallica)
  13. Vincent Duclert, « Jean Jaurès et la défense des Arméniens : Le tournant du discours du 3 novembre 1896 », Cahiers Jaurès, Société d'études jaurésiennes, vol. 217, no 3 « De Péguy à l'Arménie, autour du centenaire Jaurès »,‎ , p. 63-88 (lire en ligne)
  14. Nicole Koulayan, « L’Arménie », Hermès, La Revue, CNRS Éditions, vol. 40, no 3 « Francophonie et mondialisation »,‎ , p. 94-96 (ISBN 2271062462, lire en ligne)
  15. La rédaction, « Éditorial », Pro Armenia, no 1,‎ , p. 1 (lire en ligne sur Gallica)
  16. a b c d et e Agnès Varhamian 2003, p. 344.
  17. a b et c « La voix de l’Arménie », sur webaram.com (consulté le )

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • Edmond Khayadjian, Archag Tchobanian et le mouvement arménophile en France, Alfortville/impr. en Pologne, Sigest, (1re éd. 1986), 360 p. (ISBN 978-2376040491)
  • Vincent Duclert et Gilles Pécout, « La mobilisation intellectuelle face aux massacres d'Arménie », dans André Gueslin et Dominique Kalifa (dir.), Les Exclus en Europe (1830-1930), Paris, Éditions de l'Atelier, coll. « Patrimoine », , 480 p. (ISBN 978-2708234154), p. 323-344
  • Agnès Vahramian, « De l'Affaire Dreyfus au mouvement arménophile : Pierre Quillard et Pro Armenia », Revue d'histoire de la Shoah, Centre de documentation juive contemporaine, nos 177-178 « Ailleurs, hier, autrement : connaissance et reconnaissance du génocide arménien »,‎ , p. 335-355 (ISBN 978-2850566400, lire en ligne)
  • Claire Mouradian (dir.), Edmond Khayadjian, Anahide Ter Minassian, Dzovinar Kévonian et Léon Ketcheyan, Arménie, une passion française : Le mouvement arménophile en France, 1878-1923, Paris, Magellan et Cie, , 160 p. (ISBN 978-2-35074-072-0)
  • Vincent Duclert, La France face au génocide des Arméniens, Fayard, coll. « Fayard histoire », , 424 p. (ISBN 978-2213682242)

Liens externes

[modifier | modifier le code]