Lébade — Wikipédia

La lébade conservée comme pare-feu à Avensan.
Le tracé de la lébade reste bien visible entre le golf du Médoc et la zone industrielle d'Arsac.

« Lébade » est un mot d'origine gasconne (on écrit aussi levade[Note 1]) signifiant « levée (de terre) », utilisé dans le département de la Gironde pour désigner des voies anciennes connues depuis l'époque médiévale.

Ces voies ne sont pas des chaussées empierrées comme les voies romaines, mais de simples élévations de terre (d'où leur nom), larges d'une dizaine de mètres et bordées de fossés, qui permettaient aux voyageurs de traverser à pied sec les landes humides de Gascogne.

Par défaut, ce terme de « Lébade » s'applique à la voie qui reliait Bordeaux à Soulac. Mais il existe aussi d'autres lébades comme celle reliant Bordeaux au pays de Buch puis La Mothe aux lacs landais. Enfin, il est possible que les toponymes La Lébade (par ex. : au Temple) signalent d'anciennes voies moins connues[Note 2].

Leur itinéraire précis reste sujet à interprétation, car leur empreinte au sol n'a généralement pas résisté aux activités humaines, sauf quand un chemin en perpétue l'usage. Toutefois, la documentation historique, le cadastre napoléonien ou d'anciennes cartes donnent de précieuses indications que la toponymie peut renforcer. Enfin les images satellitaires laissent encore transparaitre quelques traces de l'ouvrage alors que plus rien ne se voit du sol.

Lébade du Médoc

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La Lébade de Lesparre à Soulac.
L'itinéraire est par Artiguillon.
Tronçon d'Avensan à Saint-Sauveur.
La Lébade à Bordeaux

La Lébade du Médoc, également connue sous les noms de Grand camin bourdelès ou Magna via de Solaco (grand chemin de Soulac), était le chemin qui desservait le Médoc en reliant Bordeaux à Soulac[1]. Elle passait par Avensan alors que la route actuelle lui a préféré Castelnau-de-Médoc. Les étapes suivantes restent Saint-Laurent-Médoc et Lesparre. Le dernier tronçon jusqu'à Soulac était connu sous le nom de chemin de la Reyne[1].

Mentions anciennes

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La Lébade du Médoc est mentionnée explicitement dans[1] :

et indirectement dans :

  • la carte du Bourdelois, du Périgord et des provinces voisines de Guillaume Delisle (1714 ; cf. image ci-dessous) ; cette carte, moins rigoureuse sur la position des villages que les cartes de la fin du XVIIIe siècle, montre le tracé rectiligne d'une route reliant Bourdeaux à lEsparre en passant par Eisines, Le Taillan, Loins (Louens)[Note 5], les Ormes[Note 6], Listrac, S Laurent (en laissant Valac (Balac) sur sa droite) et S Martin de la Caußade ;
  • la Carte de Belleyme (carte à l'échelle 1/43200 de la seconde moitié du XVIIIe siècle), qui en révèle le tracé de Lesparre à Soulac ;
  • cadastre napoléonien d'Avensan[Note 7] (1826) ;
  • carte IGN au 1/25000 de Bordeaux, édition de 1990[Note 8].

En 1965, J. Clémens la décrit (à Arsac) en ces termes : « Des fossés la bordent et des fougères la recouvrent : elle a environ sept mètres de large et un mètre de haut à son point le plus élevé »[2].

Voici ce qu'en dit l’abbé Baurein[3],[4] au XVIIIe siècle : « Avant que feu M. de Tourny père, ci-devant Intendant de Bordeaux, eût ouvert cette route qui conduit à Castelnau, à Lesparre et à l'extrémité du Médoc, il en existoit une autre très-ancienne, qui traversait également les landes d'Arsac, en passant de là au lieu des Ormes dans la Paroisse de Moulix, ensuite à Saint-Laurent et de là dans le Bas-Médoc. Il subsiste dans Arsac et dans plusieurs autres Paroisses des vestiges sensibles de cette ancienne route, qui est connue dans la Paroisse dont il est ici question, sous la dénomination Gasconne de levade, c'est-à-dire levée, qui se fait connoître par une espèce de dos d'âne qu'on remarque dans ces landes. »

Itinéraire

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L’itinéraire reconstruit de cette voie est le suivant[1] :

  • elle quitte le Bordeaux d'époque par la porte médoque (Porta medoca), à l'extrémité nord de la rue Sainte-Catherine, et s'oriente au Nord-Ouest en empruntant ce qui va devenir la rua deu Burga puis les allées de Tourny, au bout desquelles elle franchit la nouvelle barrière Saint-Germain (Porta Sent-German).
  • elle se dirige vers Eysines[Note 9] et le Taillan en devenant les actuelles rue Fondaudège, rue Croix de Séguey, rue Ulysse Gayon, l'avenue d'Eysines puis du Taillan-Médoc. La Jalle était franchie à Jalepont comme aujourd'hui.
  • au Taillan-Médoc, la Lébade dessert le quartier nommé La Caussade (« la chaussée ») puis s’oriente à l'Ouest en suivant la rue de la Caussade, le chemin de Germignan puis de Cante-Gric[5], avant de s'orienter plein nord au niveau du pavillon Duranteau[Note 10]. Là on perd sa trace jusqu'au Luget.
  • le cadastre napoléonien nous enseigne que le coin sud-ouest de la commune du Pian est situé sur le tracé de la Lébade. Celle-ci traverse le lotissement du Luget en en suivant la voie d'accès. Elle se prolonge par un chemin dont le Golf du Médoc a conservé en partie la mémoire. Elle est coupée par la zone industrielle d'Arsac puis traverse la route du Médoc au niveau du Salzet où est prévu l'embranchement de la nouvelle pénétrante. Un peu plus loin, elle passait à proximité de l’ancienne chapelle de Birac avant de traverser le ruisseau de Laurina.
  • la Lébade est conservée sur un court tronçon à Arsac, au nord de l'allée de Linas[Note 11], puis à Avensan sous la forme du pare-feu DFCI n° 18.
  • à la croix de Villeranque, elle s'efface mais continuait pour franchir la Jalle de Tiquetorte[Note 12] en passant par un lieu-dit Les Ormes où se trouvait une auberge. Au XIXe siècle, elle y était jugée inutile et trop large (12 m). De Barrau, elle se dirigeait directement vers le bourg de Listrac. On pense qu'elle passait non loin du château L'Estage.
  • de Listrac à Saint-Laurent-Médoc, elle passait par la rue de la Potence[Note 13] puis une passe nommée « ancienne route de Castelnau à Saint-Laurent »[Note 14] par le cadastre napoléonien. Elle devait continuer par la rive ouest de la Rouille de Houréna puis contourner par l'ouest le ruisseau du Pas de Loup et donc le centre de Saint-Laurent. On observe sur la carte de Delisle, qu'au début du XVIIIe siècle elle empruntait déjà l'axe actuel par le centre de Saint-Laurent.
  • elle rejoint Saint-Sauveur par un chemin toujours présent[6] puis Lesparre par un itinéraire incertain. Deux options au moins sont plausibles et ont sans doute coexisté :
    • un cheminement ouest via la Mouline et la Caussade (donc un gué et un toponyme routier), selon un axe voisin de la route actuelle (D 1215) ;
    • un cheminement est, via le moulin de la Motte, les Gunes et Péris. Il rejoint le tracé de l'actuelle route D 204 ; c'est celui qui est visualisé ci-contre ;
  • au-delà de Lesparre, la Lébade suit la route actuelle jusqu'au Gua (gué sur le chenal du Gua) puis continue en ligne droite jusqu'à la Graouse (selon un cheminement bordé au sud puis partiellement repris par la ligne à haute tension et appelé chemin rural n° 21 de la Reine), Martignan puis suit la D 101, quittant brutalement son orientation vers l'Amélie pour bifurquer vers le bourg de Soulac. Elle transite par Lilhan d'où elle rejoignait le Vieux Soulac en ligne droite[1].

Il n'y a pas d'éléments tangibles permettant de dater cette route. On sait qu'elle existait lors de la fondation de l'église de Birac en 1179. Le chemin de la Reine est pour sa part mentionné en 1356. Toutefois, l'indépendance de son tracé vis-à-vis des églises des villages et de centres médiévaux aussi importants que Castelnau-de-Médoc ou l'Hôpital plaide pour une origine antérieure à l'époque médiévale ; de plus son orientation vers la pointe de la Négade où devait se trouver son terme originel et près duquel ont été trouvés des restes funéraires échelonnés de l'âge du bronze à l'époque gallo-romaine, pourrait suggérer une origine protohistorique[7]. On note à ce titre, que dans les Landes, la voie littorale est documentée dès l’époque antique.

On rappelle que la lébade a été remplacée par la route actuelle en 1747 entre Bordeaux et Listrac, vraisemblablement avant 1714 pour la section entre Listrac et La Caussade et après publication de la carte de Belleyme pour la section entre Lesparre et Soulac.

Autres routes du Médoc

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Lébade de Blanquefort au sud de la forteresse.

La lébade n'était pas le seul grand chemin en Médoc. Comme aujourd'hui, outre l'axe central que constituait la lébade, se trouvaient une voie littorale reliant au Moyen Âge Soulac à Bayonne et une voie située plus à l'est, desservant les villes en bordure de Gironde. Cet axe important était contrôlé par la forteresse de Blanquefort.

Il faut signaler que François Vatar de Jouannet a confondu cette dernière route avec la lébade[8] soutenant que celle-ci transitait par Parempuyre et Louens[Note 15]. De nombreux historiens ont diffusé cette thèse[9].

En fait le chemin de Blanquefort desservait comme l'actuelle D 210, Parempuyre, Ludon et Macau où des « vestiges de voie romaine » ont été exhumés au XIXe siècle[1] . La « lébade de Blanquefort » reste bien visible (bien qu'abandonnée) entre la Tour de Gassies et la forteresse. Elle y sert de support à la limite entre les communes de Bruges et d'Eysines. Puis elle monte le coteau de Curégan par la rue de Guyenne pour se diriger vers l'église de Blanquefort, puis emprunter la rue Tastet-Girard[10].

Lébade de Buch

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La Lébade de Buch, ou Camin bougés[11] (chemin bougès), mentionnée sous le nom d'ancienne levée sur la carte de Cassini comme sur la carte de Belleyme, reliait Bordeaux et Pessac à La Teste-de-Buch, ancienne capitale du pays de Buch avant le développement d'Arcachon.

Elle subsiste sous la forme de la « Voie Romaine » longeant l'A63 à Pessac.

Elle est mentionnée sur le cadastre napoléonien de Biganos où elle est plus proche du ruisseau de la Canau que la départementale D 1250. Elle transitait par le village d'Argenteyre, l'actuel « Quartier Bas ». Sur la carte de Clavaux, en 1776, on la voit se diriger vers La Mothe sous l'appellation de chemin des Romains.

De là, le camin arriaou la prolonge dans les Landes pour constituer la voie littorale de l'axe Bordeaux-Astorga.

Notes et références

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  1. Le v se prononçant b en gascon.
  2. S'il ne s'agit pas de pierres levées, assez peu vraisemblables dans le paysage des landes girondines.
  3. Selon la légende : « Cénébrun se retira dans sa terre du Médoc avec sa femme et d'immenses trésors. Mais Gualiène, sa mère, qui ne pouvait vivre sans lui, fit faire à travers les bois épais qui la séparait du Médoc, un chemin uni et droit comme une corde, qui allait de son palais jusqu'à la mer…».
  4. La carte mentionne à Arsac : « Vestiges d'une ancienne chaussée (…) qui allait presque tout droit depuis Bordeaux jusqu'à Soulac vers l'embouchure de la Garonne ». Cette même « ancienne chaussée » y est encore signalée entre Saint-Laurent et Saint-Sauveur.
  5. alors que la lébade passe un peu plus à l'ouest, au Luget.
  6. représenté sur la rive droite de la Jalle de Tiquetorte (donc sur la commune d'Avensan) comme encore sur la carte de Vaugondy (1752) et que Jacques Baurein attribue à la paroisse de Moulis.
  7. La Lébade y est signalé sous l'appellation Chemin d'Avensan à Bordeaux. En revanche l'« Ancien chemin de Bordeaux en Médoc » indiqué sur le cadastre d'Arsac à l'est de Linas n'est pas cohérent avec l'itinéraire d'Avensan.
  8. On y voit un chemin prolongeant au nord l'entrée du lotissement du Bois du Luget jusqu'au ruisseau de Courmatau et aligné avec la levée de terre tracée en direction du Salzet au nord-ouest de Moule.
  9. L'église d'Eysines est vouée à Saint Martin, patron des voyageurs.
  10. Michel baron considère qu'elle empruntait ce cheminement qui correspond à l'ancien chemin de Brun. Cet itinéraire forme un coude assez marqué à l'ouest de l'axe de la Lébade (les allées de Joli Bois et de Curé auraient offert un cheminement plus direct mais interrompu). Cet itinéraire s'explique sans doute par la nécessité de contourner les terrains marécageux de Jau.
  11. Elle n'est accessible que par son extrémité nord, depuis la voie d'accès aux gravières.
  12. Comme l'actuelle D 108, dont le tracé a été rectifié au XIXe siècle.
  13. Il s'agirait d'un toponyme routier, car il n'était pas rare d'exhiber les gibets au bord des routes.
  14. En fait, la nouvelle route (conçue par Tourny) passe bien par Castelnau, mais pas l'ancienne.
  15. Jouannet écrit : « Une autre voie romaine, connue sous le nom de la Lebade, conduisait de Bordeaux dans le Bas-Médoc, probablement au port de Noviomagus mentionné par Ptolémée. Elle passait à Parempuire , commune où quelques lignes désignées sous le nom de Camp-de-César ont été aplanies il y a peu d'années ; au village de Louent, dans la commune du Pian ; au lieu des Ormes, dans les landes d'Arsac ; à Moulis, à Saint-Laurent, etc. Sur tous ces points, elle a conservé son nom de Lebade et laissé des traces.».

Références

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  1. a b c d e et f La levade, ancien grand chemin public de Bordeaux à Soulac, Dominique Brocheriou et Michel Baron, in Soulac et les pays médocains, 1989.
  2. Une sauveté perdue et retrouvée : Birac en Médoc, J. Clémens in Revue Historique de Bordeaux, 1965, tome XIV.
  3. Abbé Jacques Baurein, « Variétés bordeloises, ou Essai historique et critique sur la topographie ancienne et moderne du diocèse de Bordeaux », tome 2, Bordeaux : Labottière, (consulté le ), pp. 266.
  4. Abbé Jacques Baurein, « Variétés bordeloises, ou Essai historique et critique sur la topographie ancienne et moderne du diocèse de Bordeaux », tome 1, Bordeaux : Féret, (consulté le ), pp. 383.
  5. Porte du Médoc : La Lebade.
  6. Le 10e carré de la carte de Claude Masse (1709) représente ce chemin (tronçon rectiligne de St Laurent à St Sauveur entre env. 50 % et 80 % du cheminement) aligné sur le centre de Saint-Laurent et le moulin de La Motte en direction de Cissac. L'auteur y mentionne « Vestige dune chôsee que l'on assure auoir eſté construite par les anglois et qui traversoit une grande partie des Landes du Medoc ou il en paroist encore des reſte en differents endroits ». Noter que cette carte ne mentionne pas Caussade et ne présente pas de cheminements cautionnant l'itinéraire ouest présumé.
  7. Auguste Pawlowski, Les transformations du littoral français, les villes disparues de la côte du Médoc, d'après la géologie, la cartographie et l'histoire, Paris, 1903.
  8. François Jouannet, « Statistiques du Département de la Gironde, Paris 1837-1843 », tome 1er, Paris : P. Dupont et Cie, 1837-1843 (consulté le ), pp. 226.
  9. Porte du Médoc : Transports et voies de communications à travers les siècles..
  10. Patrick Grosjean, Blanquefort, une forteresse de la seconde moitié du XVe siècle.
  11. Si Pessac m'était conté : Voies Romaines.

Articles connexes

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