Conférence de Berlin (11 novembre 1915) — Wikipédia
Conférence de Berlin () | |
La Chancellerie impériale en 1895 | |
Type | Réunion stratégique |
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Pays | Reich impérial |
Localisation | Berlin |
Date | |
Participant(s) | Theobald von Bethmann Hollweg Gottlieb von Jagow Stephan Burián von Rajecz Leopold von Andrian-Werburg |
Résultat | répartition des conquêtes entre le Reich et la double monarchie |
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La Conférence de Berlin du est une rencontre gouvernementale germano-austro-hongroise destinée à définir la dévolution de la Pologne russe, alors occupée par le Reich[a] et la double monarchie.
Contexte
[modifier | modifier le code]La Pologne russe, but de guerre allemand et austro-hongrois
[modifier | modifier le code]Depuis le déclenchement du conflit, le Reich et la double monarchie aspirent à exercer un contrôle direct, politique, économique et militaire, sur la Pologne russe. En effet, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les territoires polonais de l'Empire russe comptent parmi les régions les plus industrialisées et les plus riches de l'empire russe, et, à ce titre, attisent les convoitises du Reich et de la double monarchie[1],[2].
Cependant, la réalité du rapport de force entre les deux empires allemand et austro-hongrois oblige les Austro-hongrois à revoir à la baisse leurs prétentions et à accepter de voir le Reich occuper une place prépondérante en Pologne[3].
Les conquêtes de l'été et de l'automne
[modifier | modifier le code]L'année 1915 est marquée par des succès importants pour les puissances centrales, face aux Russes et face aux Serbes.
Au printemps, une offensive conjointe germano-austro-hongroise libère les territoires allemands et austro-hongrois conquis par les Russes depuis le déchenchement du conflit : des districts de Prusse orientale et la Pologne austro-hongroise de la présence russe. Cet important succès permet également aux puissances centrales d'occuper la Pologne russe, les gouvernements de Vilna, de Kovno et de Courlande[4]. A la fin du mois d'août, les positions se figent à nouveau, les troupes des puissances centrales se heurtant à une défensive russe d'autant plus coriace que les unités russes sont positionnées à proximité de leurs bases d'approvisionnement ; cette résistance incite les stratèges des puissances centrales à stopper les opérations de grande ampleur sur le front[1].
Durant l'automne, la Serbie est conquise et occupée par des unités germano-austro-hongroises venant du Nord du royaume et Bulgares surgissant de l'Est conformément aux clauses du traité d'alliance germano-bulgare signé le [5]. Les opérations conjointes germano-austro-hungaro-bulgares débutent le [6] ; les unités germano-ausro-hongroises venant du Nord et Bulgares surgissant de l'Est font leur jonction le dans le centre de la Serbie. Pour faire face à cette situation, l'armée serbe tente de se maintenir sur le plateau de Kosovo au début du mois de novembre, sans succès[b],[5].
Occupation de la Pologne
[modifier | modifier le code]Depuis le , le Reich et la double monarchie préparent non seulement l'occupation de la Pologne russe, mais aussi son partage[7].
Le , le chancelier impérial annonce à la tribune du Reichstag la constitution d'un gouvernement général ; le territoire polonais est ainsi promis à être administré comme une colonie jusqu'à la fin du conflit[8].
Les autorités austro-hongroises occupent le sud de la Pologne : un gouverneur général s'installe à Lublin à partir du [9].
En dépit d'une bonne entente de façade, les deux gouverneurs généraux, représentant les intérêts de leur empire respectif, ne s'entendent guère, la politique menée par le Reich étant rapidement incompatible avec celle menée par la double monarchie, les Polonais exerçant alors une forte influence sur la politique intérieure autrichienne, le club polonais[c] constituant même le plus ferme soutien du gouvernement autrichien depuis la mise en place du dualisme austro-hongrois[10],[11].
Participants
[modifier | modifier le code]Le chancelier impérial, Theobald von Bethmann Hollweg, assure la présidence de la conférence ; le secrétaire d’État aux affaires étrangères, Gottlieb von Jagow, est le principal négociateur allemand lors de cette conférence[12].
Stephan Burián von Rajecz, ministre commun des affaires étrangères, représente les intérêts de la double monarchie lors de cette rencontre gouvernementale ; il est assisté de son chef de cabinet, le baron Leopold von Andrian-Werburg[13].
Discussions
[modifier | modifier le code]Alors que la guerre dure depuis plus d'une année, les hommes d'État allemands et austro-hongrois commencent à avoir des divergences sur la façon de mener la guerre, sur l'opportunité de poursuivre les hostilités et sur leurs buts de guerre respectifs. De plus, originellement destinée à définir le sort de la Pologne occupée depuis l'été précédent, la conférence constitue le prétexte pour évoquer le devenir de la Serbie, alors en pleine déroute, du Monténégro, de plus en plus isolé, et de l'Albanie, promise à une occupation austro-hongroise.
Pressions allemandes
[modifier | modifier le code]Le chancelier allemand, à la tête du principal animateur de la quadruplice, est en mesure de faire pression sur la double monarchie afin d'imposer son point de vue, en Serbie et en Pologne[9].
En effet, alors que les opérations en Serbie et en Albanie ne sont pas achevées, des heurts sont déjà recensés entre Bulgares et Austro-hongrois : en effet, le traité du , conclu entre le Reich, ses alliés austro-hongrois et ottoman d'une part, et la Bulgarie, d'autre part, mentionne un partage de la Serbie entre une zone d'occupation austro-hongroise et une zone d'occupation bulgare, mais ne fixe pas précisément les frontières entre ces deux administrations d'occupation[14]. Or le roi Ferdinand, « très porté sur les agrandissements territoriaux »[d], utilise ce flou juridique pour repousser le plus possible la zone d'occupation bulgare en Serbie, en faisant occuper des localités dont la dévolution n'a pas été définie et en demandant au chancelier allemand d'arbitrer ces différents en sa faveur[15].
Les Balkans ne constituent pas le seul point de divergence entre le Reich et la double monarchie. En effet, la dévolution de la Pologne constitue l'autre point d'achoppement entre les deux alliés. En effet, Le territoire du royaume du Congrès est un but de guerre allemand et austro-hongrois, chacun des deux empires aspirant à son contrôle pour son propre compte[12]. Dans ce différend, les représentants du Reich, forts des succès allemands et du soutien du Reich aux armées austro-hongroises, formulent rapidement à leurs homologues austro-hongrois leurs revendications[16].
Constitution de la Mitteleuropa
[modifier | modifier le code]Cette conférence constitue également pour les négociateurs allemands de mettre en avant leur projet d'union douanière à l'échelle du continent.
En effet, alors que la ligne ferroviaire directe est rétablie entre Berlin et Constantinople[e], les négociateurs allemands envisagent de transcrire les liens commerciaux entre le Reich et la double monarchie dans un accord bilatéral, prélude à un accord plus global intégrant la Bulgarie et l'empire ottoman[17]. Lors de cette conférence sont en effet posées les bases de la circulation d'un train, le Balkanzug, confié à une compagnie ferroviaire alors en cours de constitution, la Mitropa[18]. Le capital de cette compagnie doit être réparti entre les compagnies ferroviaires d'État prussienne, la bavaroise, la austro-hongroise et bulgare, auquel doit se joindre l'État ottoman[19].
Les Allemands n'aspirent à aucune prise de contrôle direct de territoires, en Serbie, au Monténégro ou en Albanie ; les négociateurs allemands espèrent endormir la méfiance austro-hongroise en proposant des accords techniques, par exemple, l'adoption d'une réglementation ferroviaire inspirée de celle en vigueur en Prusse sur le trajet du Balkanzug[18].
De même, le chancelier impérial défend l'opportunité de la mise en place d'une union douanière avec la double monarchie ; le traité proposé par Theobald von Bethmann Hollweg à Stephan Burián stipule la dénonciation du traité de commerce germano-austro-hongrois et la mise en place progressive d'une union douanière entre les deux empires[20].
Résistances austro-hongroises
[modifier | modifier le code]Placés dans la situation inconfortable de devoir négocier en position de faiblesse, les représentants austro-hongrois tentent de faire valoir leur point de vue. Ils proposent de répartir les conquêtes de l'été et de l'automne en deux sphères d'influence, une allemande et une austro-hongroise[21].
Cette proposition ne rencontre pas d'opposition de la part du gouvernement allemand, à ce stade[21], les Allemands expérant se tailler la part du lion en raison du rôle prépondérant des troupes allemandes dans la campagne en Serbie[22]. Cependant, si le principe est acquis, Burian souhaite voir garantie une zone d'influence austro-hongroise dans les Balkans : appuyé sur le gouvernement hongrois, le ministre austro-hongrois aspire à voir la la double monarchie de frayer un chemin jusqu'à Salonique, grâce à une politique de contrôle indirect de la Serbie, durablement liée à la double monarchie par des accords économiques et techniques[f] et en Macédoine grecque[23].
Issue
[modifier | modifier le code]Le procès-verbal de la conférence, rédigé par le directeur de cabinet de Gottlieb von Jagow fixe les minutes de cette conférence, la première depuis la stabilisation du front de l'Est.
Le Mémorandum du
[modifier | modifier le code]Le , le chancelier impérial fait remettre au ministre commun des affaires étrangères un mémoire reprenant non seulement les positions allemandes initialement présentées à Burian, ainsi que les concessions obtenues par ce dernier[24].
La remise de ce mémoire incite les négociateurs austro-hongrois à reprendre sous la forme d'une note adressée le aux Allemands les réserves exprimées de vive voix lors de la conférence[24].
Deux zones d'influences dans les Balkans
[modifier | modifier le code]Les négociateurs allemands et austro-hongrois parviennent cependant à délimiter deux zones d'influence, dans les Balkans et en Pologne, leurs principaux points de désaccords. Dans le cadre de cette conférence, les Allemands aspirent à la mise en place d'un contrôle à distance, ne réclamant aucune occupation pérenne de territoire par des unités impériales.[25].
Alors que les opérations ne sont pas achevées en Serbie, les Austro-hongrois obtiennent le contrôle de la Serbie dans ses frontières de 1817[g], du Sandzak[h], de Monténégro et de l'Albanie[i],[13].
La bulgarie se voit dévolue la Macédoine, amoindrie des territoires grecs, conformément aux clauses du traité signé entre la Bulgarie et le Reich le [26].
Si les négociateurs allemands se montrent désintéressés par le contrôle direct des territoires balkaniques conquis, ils se servent des accords économiques liant le Reich à la double monarchie d'une part, et ceux liant le Reich à la Bulgarie de l'autre, pour défendre les intérêts allemands dans la zone[13].
Incertitudes en Pologne
[modifier | modifier le code]En Pologne occupée, les désaccords germano-austro-hongrois prennent une autre dimension, la Pologne russe constituant un but de guerre allemand et austro-hongrois, chacun des deux empires aspirant à se réserver une influence prépondérante sur les territoires polonais dévolus à la Russie en 1815[27].
Le principe d'un partage provisoire de la Pologne en deux zones d'occupation, allemande et austro-hongroise, est néanmoins confirmé par les présents[28].
Cependant, les négociateurs allemands, appuyés sur la réalité du rapport de force entre les deux empires à ce stade du conflit[j], obtiennent dans la zone austro-hongroise des facilités économiques, notamment la mise en place d'un tarif douanier répondant aux besoins de l'industrie de guerre allemande ainsi que l'adoption d'un règlement ferroviaire reprenant les dispositions en vigueur dans le royaume de Prusse[29].
Un accord ambigu
[modifier | modifier le code]Si les Allemands parviennent à imposer aux Austro-Hongrois leur vision des relations austro-allemandes, les négociateurs austro-hongrois parviennent à vider de leur contenu certaines dispositions qui leur sont imposées, en les assortissant de clauses qui rendent les dispositions initiales plus favorables aux industriels de la double monarchie.
En effet, Burian et ses conseillers obtiennent des Allemands que l'union douanière se double de la révision du taux de change fixe entre le Reichsmark et la couronne austro-hongroise[k] : le taux de change obtenu par Burian aboutit à une dévaluation de 15 % de la couronne austro-hongroise par rapport au Mark[30]. cette clause rencontre l'opposition des milieux économiques allemands, soudain placés en concurrence avec une industrie austro-hongroise rendue plus compétitive par cette clause[31].
De même, Burian parvient à imposer en Serbie le maintien des termes de la convention ferroviaire à quatre, y compris pour la circulation du Balkanzug, dont la compagnie exploitante est alors en cours de constitution. En effet, alors que le règlement ferroviaire du Balkanzug devait être inspiré du règlement prussien, les négociateurs austro-hongrois, appuyés en sous-main par les Bulgares, parviennent à conditionner l'adoption du règlement prussien à un accord plus général visant à harmoniser les règlements ferroviaires dans l'ensemble des Etats de la quadruplice et des territoires qu'ils sont appelés à contrôler à la fin de la guerre[32].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Entre 1871 et 1945, le nom officiel de l'État national allemand est Deutsches Reich, simplement désigné par le terme Reich par la suite.
- Le commandement serbe ordonne la retraite générale le
- Le club polonais regroupe les députés conservateurs polonais élus au Reichsrat et à la chambre des seigneurs de l'empire d'Autriche.
- Selon le mot d'un diplomate allemand.
- La conquête de la Serbie rend possible cette liaison, par Belgrade et Sofia.
- Istvan Tisza, premier ministre hongrois, se montre opposé à toute annexion d'ampleur dans les Balkans.
- L'accord ne mentionne pas de tracé exact, puisque la zone austro-hongroise doit être incluse dans les frontières de 1817, mal définies.
- La région avait déjà accueilli quatre garnisons austro-hongroises entre 1878 et 1908.
- Au mois de Novembre, les territoires monténégrins et albanais restent à conquérir : le Monténégro est occupé au terme de brèves opérations au mois de , l'Albanie est rapidement partagée par une ligne de front qui passe au Nord de Valona.
- Au sein de la quadruplice, en dépit de proclamations plaçant les quatre monarchies sur un pied d'égalité, Le gouvernement et le haut-commandement allemands imposent dans la pratique leurs choix et priorités à leurs partenaires.
- Le traité de commerce germano-austro-hongrois en vigueur en 1914 fixe déjà un taux de change fixe entre les deux monnaies.
Références
[modifier | modifier le code]- Renouvin 1934, p. 311.
- Fischer 1970, p. 92.
- Fischer 1970, p. 123.
- Le Naour 2013, p. 262.
- Renouvin 1934, p. 319.
- Schiavon 2024, p. 146.
- Renouvin 1934, p. 309.
- Schramm 2015, p. 12.
- Fischer 1970, p. 218.
- Szymczak 2015, p. 44.
- Fischer 1970, p. 216.
- Fischer 1970, p. 219.
- Fischer 1970, p. 220.
- Renouvin 1934, p. 349.
- Fischer 1970, p. 367.
- Fischer 1970, p. 224.
- Fischer 1970, p. 369.
- Fischer 1970, p. 371.
- Fischer 1970, p. 370.
- Fischer 1970, p. 375.
- Fischer 1970, p. 223.
- Fischer 1970, p. 225.
- Fischer 1970, p. 227.
- Soutou 1989, p. 96.
- Fischer 1970, p. 215.
- Renouvin 1934, p. 320.
- Fischer 1970, p. 95.
- Renouvin 1934, p. 324.
- Soutou 1989, p. 101.
- Soutou 1989, p. 102.
- Fischer 1970, p. 221.
- Fischer 1970, p. 222.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Jean-Paul Bled, L'Agonie d'une monarchie : Autriche-Hongrie 1914-1920, Paris, Tallandier, , 464 p. (ISBN 979-10-210-0440-5).
- Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès, préf. Jacques Droz), Les Buts de guerre de l'Allemagne impériale [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de Trévise, , 654 p. (BNF 35255571).
- Jean-Yves Le Naour, 1915. L'enlisement, Paris, Perrin, , 467 p.
- Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), , 779 p. (BNF 33152114).
- Tomasz Schramm, « Les Polonais : citoyens des Etats belligérants », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 4, no 260, , p. 5-18 (DOI 10.3917/gmcc.260.0005, lire en ligne).
- Damian Szymczak, « Comment les Polonais retrouveront-ils leur indépendance ? », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 4, no 260, , p. 33-58 (DOI 10.3917/gmcc.260.0033, lire en ligne).