Dobroudja du Nord — Wikipédia
Dobroudja
(ro) Dobrogea
1878
Population | Roumains, Turcs, Tatars, Lipovènes |
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1878 | rattachement à la Roumanie des deux tiers nord de la région historique de Dobroudja (Dobrogea) |
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1878 | Carol Ier |
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1916 | Ferdinand de Roumanie |
1930 | Carol II |
1940 | Michel de Roumanie |
1947 | République populaire roumaine |
1965 | République socialiste de Roumanie |
1989 | République de Roumanie |
Entités précédentes :
La Dobroudja du Nord (Dobrogea en roumain) est une région de 15 908 km2 située entre le bas-Danube, la mer Noire et la Bulgarie, partagée entre l’Est de la Roumanie (15 570 km2) et le Sud-Ouest de l’Ukraine (338 km2).
Géographie
[modifier | modifier le code]La Dobroudja du Nord est une région agricole et touristique, limitée au Nord par la région ukrainienne du Boudjak, à l’Ouest par la Valachie (autre région traditionnelle roumaine) et au Sud par la Dobroudja du Sud bulgare. La Dobroudja du Nord est administrativement divisée entre les județe roumains de Constanța et de Tulcea (ce dernier comprenant les quatre cinquièmes du delta du Danube) et le raion ukrainien de Kilia[1].
Dans le delta du Danube, quelques îles et le delta secondaire du bras danubien de Chilia ainsi que île des Serpents en mer Noire font partie de la Dobroudja historique définie par plusieurs traités internationaux[2] mais sont rattachés depuis 1948 à l’Ukraine (oblast d'Odessa)[3].
Le point culminant de la Dobroudja du Nord est le Vârful Grecilor (« pic des Grecs »), dans le massif du Măcin : 457 m. Ce massif, hercynien, aux roches intrusives, effusives et métamorphiques, est entouré par le plateau dobrogéen à soubassements calcaires allant du crétacé au pliocène (visibles au pied des falaises danubiennes ou maritimes, ainsi que dans les vallées les plus creusées et au cap Kaliakra) mais recouvert d’épaisses couches de lœss pléistocène et holocène, dépôt éolien propice à l’agriculture, mais facilement et rapidement érodé sur la côte, au grand dam des propriétaires des villas avec vue sur la mer, qui ont poussé en nombre depuis trois décennies[4] malgré les vains avertissements des géomorphologues et des géologues[5].
C’est en Dobroudja du Nord, près de la frontière roumano-bulgare, que se trouve la grotte de Movile, isolée du monde extérieur depuis un demi-million d’années et abritant une faune endémique unique, adaptée au manque de lumière et d’oxygène, et dont le réseau trophique est fondé sur la prolifération de bactéries se nourrissant des matières en suspension dans l’eau[6].
Climat
[modifier | modifier le code]En Dobroudja du Nord le climat est continental sec, torride l’été, glacial l’hiver, mais atténué d’influences pontiques. Les précipitations tombent sous forme de jours de pluie au printemps et en automne, de violents et soudains orages en été, de neige en hiver (le blizzard venu de Sibérie les accumule souvent en congères). La végétation est en partie steppique, formation favorisée durant la période turque par l’élevage extensif d’ovins, mais dans le massif du Măcin, autour des limans et le long des cours d’eau (notamment le Danube et son delta) subsistent des forêts d’aulnes, de chênes, de peupliers et de saules, ainsi que de vastes roselières.
Population
[modifier | modifier le code]Les principales villes sont les ports de Constanța (350 000 habitants), Tulcea (95 000 habitants) et Mangalia (50 000 habitants). La population est d’environ 1 million en 2011[7].
Agriculture
[modifier | modifier le code]Les sols de la Dobroudja du Nord sont lœssiques, portant des pâturages ovins (moutons Mérinos), des vergers et des vignes (vins de Murfatlar). En dépit de l’extension d’une agriculture de plus en plus intensive, dont les nitrates et les néonicotinoïdes contaminent les eaux superficielles, il subsiste encore des forêts de chênes verts (Quercus ilex) résiduelles, notamment sur les hauteurs du massif du Măcin.
Environnement
[modifier | modifier le code]La Dobroudja du Nord a une faune riche malgré les catastrophes environnementales de l’époque communiste (régime qui promouvait « la lutte de l’Homme contre la Nature »). Au Nord-Est du Tulcea se trouve le delta du Danube, qui a été l’objet de nombreux endiguements et assèchements jusqu’à la chute de la dictature en 1989, puis de quelques programmes de restauration dans la réserve de biosphère du delta du Danube, qui abrite encore de nombreux oiseaux aquatiques (dont des pélicans et en hivernage environ 90 % de la population mondiale de la bernache à cou roux, espèce menacée) et une faune ichtyologique en diminution depuis la privatisation des droits de pêche. Par ailleurs l’urbanisation effrénée de loisirs, avec tout ce que cela implique comme nuisances, menace l’ensemble des milieux. La réserve de biosphère, aux moyens réduits, fait ce qu’elle peut pour limiter les dégâts. La situation géopolitique aux frontières orientales de l’Union européenne empêche les deux directeurs de la réserve, l’un roumain et l’autre ukrainien, de collaborer autant qu’il le faudrait, car le point de passage frontalier autorisé le plus proche est à 250 kilomètres vers l’ouest, hors de la Dobroudja et du delta du Danube.
Dans le massif du Măcin et dans le delta, on trouve encore la buse féroce (Buteo rufinus), la buse pattue (Buteo lagopus) et le faucon émerillon (Falco columbarius) qui contribuent à réguler les rongeurs friands de céréales. La Grande Outarde (Otis tarda) fréquente aussi la région.
La Dobroudja du Nord a été en 2007 le théâtre d’un conflit agro-alimentaire entre l’institut privé allemand « Friedrich Lœffler » (mandaté par la FAO) et les habitants voulant maintenir leur agriculture de proximité. Dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne et de la multiplication d’achats de terres agricoles par de grandes entreprises agro-alimentaires internationales, la FAO classa la Dobrogée en « zone à risque de zoonose de grippe aviaire », en raison de la présence chez des oiseaux domestiques en bonne santé (dans un élevage de canards du delta du Danube) d’anticorps au virus H5N1 (qui, selon l’institut « Lœffler », révélait une « présence endémique possible du H5N1 hautement pathogène », le virus étant « asymptomatiquement présent chez les canards de cet élevage, qui auraient pu le transmettre aux poulets chez lesquels le virus est mortel »). Joseph Domenech (vétérinaire en chef à la FAO) lance alors une alerte qui n’est pas suivie d’effets, car les habitants menaçaient de recourir à la violence pour empêcher l’abattage de leurs volailles, d’autant que la corruption endémique en Roumanie n’aurait pas permis que les compensations prévues parviennent jusqu’à eux. Le conflit a été aplani par l’absence de tout signe clinique ou viral du H5N1 durant les treize années écoulées (en 2020) depuis cette alerte.
Histoire
[modifier | modifier le code]Histoire ancienne
[modifier | modifier le code]La Dobroudja du Nord est habitée depuis le Paléolithique, et fut dans l’Antiquité le domaine des tribus Daces et Gètes. La population locale, progressivement hellénisée, fait du commerce avec les colonies grecques du Pont Euxin (Callatis, Tomis, Histrios, Argamos) jusqu’à la conquête romaine. Rome contrôle la Mésie pendant sept siècles, et par la christianisation, le pays entre dans la civilisation byzantine. Il est conquis au Moyen Âge par les Proto-Bulgares à la bataille d'Ongal, puis par les Petchénègues, les Coumans dits Polovtses et les Tatars dits Tartares, pour devenir ensuite un despotat indépendant puis une partie de la principauté de Valachie au XIVe siècle, avant d’être finalement prise par les Turcs Ottomans, qui la gardent plus de quatre siècles, de 1422 jusqu’en 1878[8].
Histoire moderne
[modifier | modifier le code]C'est à l'issue de la guerre russo-turque de 1877-1878 que la Dobroudja du Nord et celle du Sud sont différenciées. La région est revendiquée tant par la Roumanie que par la Bulgarie, nouvellement indépendantes de l’Empire ottoman. Les deux pays, alors alliés, sont d’accord sur le principe d’un partage, mais Roumains et Bulgares sont mélangés (aux Turcs et aux Tatars) dans toute la région : où placer la frontière ? Les Roumains étant plus nombreux au nord et les Bulgares au sud, une commission austro-allemande attribue à la Roumanie les deux tiers nord et à la Bulgarie le tiers sud. La frontière part de la sortie Est de la ville bulgare de Silistra et aboutit entre les deux hameaux de pêcheurs grecs et turcs d’Ophidaki (Yilanlik en turc, Vama-Veche aujourd’hui) et de Limanaki (Durankulak en turc : nom actuel, et Mlaștina en roumain) sur la mer Noire.
En 1913 la Roumanie profite des difficultés de la Bulgarie lors de la Deuxième guerre balkanique, pour lui arracher la Dobroudja du Sud au premier traité de Bucarest : la région devient dès lors une pomme de discorde entre les deux pays. La Bulgarie prend sa revanche aux côtés des Allemands pendant la Première Guerre mondiale, en annexant une partie de la Dobroudja du Nord jusqu’à une ligne Rasova-Agigea, tandis que les Austro-Allemands annexent le reste au second traité de Bucarest. La paix de novembre 1918 redonne toute la Dobroudja, Nord et Sud, à la Roumanie. La Bulgarie ne cesse de revendiquer la restitution de sa part, et un arbitrage allemand de 1940 remet en vigueur le partage initial de 1878, scellé par les accords de Craiova[9].
La frontière de 1878 et de 1940 est aujourd’hui pleinement reconnue par la Roumanie et la Bulgarie, membres de l’Union européenne depuis 2007, qui n’ont plus aucune revendication territoriale l’une sur l’autre. La frontière est désormais ouverte et une commission mixte inter-académique bulgaro-roumaine d’histoire a même été mise en place le 5 juillet 2001[10] pour combattre les dérives nationalistes et protochronistes dans l’historiographie (notamment scolaire) des deux pays.
Culture
[modifier | modifier le code]En héraldique, l’écu de la Dobroudja du Nord est « d'azur, à deux dauphins d’or, adossés, renversés et nageant en pal », qui ne symbolisent pas de vrais dauphins (car le « dauphin » est un « poisson » en héraldique) mais simplement le caractère fluvial et maritime du pays.
L’identité culturelle de la Dobroudja du Nord se décline sur le plan des traditions locales, de la musique traditionnelle, de la gastronomie et de la viticulture[11]. Par exemple, dans la tradition balkanique populaire des Mărțișoare, en Dobrogée et seulement là, à l’arrivée des cigognes en mars, les mărțișoare sont jetés vers le ciel pour que « la chance de l’année soit grande et ailée ». Du point de vue architectural, même si les réalisations modernes de style fonctionnel et international comme celles de Cezar Lăzărescu, architecte quasi-officiel du régime communiste, se substituent aujourd’hui aux traditions locales, les constructions dobrogéennes avaient un style pontique spécifique, dont les quartiers anciens de Tulcea et Constanța conservent encore quelques rares exemples, tous menacés.
Si les habits traditionnels variaient selon les ethnies présentes, en revanche cuisine et musique puisaient à des sources communes, incluant des ingrédients « exotiques » apportés par les marins, comme les amandes, les figues, les olives, les câpres. Parmi les spécificités locales, les aubergines, les poivrons et le poisson jouent un rôle essentiel (on y prépare notamment la tchorba dobrogéenne d’alose pontique ou le filet mariné d’esturgeon). Parmi les pâtisseries, les feuilletés dobrogéens (plăcintă dobrogeană) et, parmi les vins, le vin blanc de Murfatlar sont également des spécialités locales. En Dobroudja du Nord, où l’influence turque se fait encore sentir, on prépare aussi l’agneau cuit au lait ou à la broche, le baklava et le halva.
La Dobroudja du Nord a, comme d’autres régions côtières, attiré les artistes, et des peintres comme Francisc Șirato ou Nicolae Tonitza y ont fréquemment séjourné et représenté ses paysages[12].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Wilfried Heller et Josef Sallanz (dir.), (de) « Die Dobrudscha : ein neuer Grenzraum der Europäischen Union: Sozioökonomische, ethnische, politisch-geographische und ökologische Probleme », Südosteuropa-Studien no 76, éd. Otto Sagner, München-Berlin 2009 (ISBN 978-3-86688-068-9) (OCLC 824847274).
- Traité de Paris (1856), Traité de Berlin (1878) et Traité de Paris (1947).
- Les sources soviétiques, russes et ukrainiennes s’abstiennent de mentionner le fait que l’Ukraine détient une partie de la Dobroudja du Nord et ne font jamais référence aux protocoles de Paris du et du signés par les protagonistes de la guerre de Crimée, ni au traité de Berlin du (art. 45 et 46, Annexe 1) qui fixent la limite entre le Boudjak et la Dobroudja sur le talweg du bras de Chilia, considérant le delta secondaire de Chilia et l’île des Serpents comme des parties de la Dobroudja ; quant au traité de Paris du , il reconnaît à l’URSS la majeure partie du delta secondaire de Chilia (le thalweg ayant changé depuis 1878) mais continue à considérer comme roumaines, donc dobrogéennes, les îles du bras de Chilia situées au sud du thalweg et l’île des Serpents, aujourd’hui ukrainiennes.
- En 2020.
- Tel le Pr Adrian Stănică de l'Institut GeoEcoMar [1] dans la revue Geo-Eco-Marina sur [2].
- Şerban M. Sârbu, Thomas C. Kane & Brian K. Kinkle, (en) « A Chemoautotrophically Based Cave Ecosystem », in Science, vol. 272, n° 5270 (28 juin 1996), pp. 1953-1955.
- (ro) « Rezultate », sur Institutul național de statistică (consulté le ).
- Wilfried Heller et Josef Sallanz (dir.), Op. cit. 2009.
- W. Heller, J. Sallanz, Op. cit. 2009.
- Commission mixte inter-académique bulgaro-roumaine d'histoire (lire en ligne).
- Aurelia Lăpușan, Le chemin du pain dans l'histoire de la Dobrogée, éd. Dobrogea, Constanța, 2001 (ISBN 973-8044-17-0).
- Constantin Iordachi, « « la Californie des Roumains ». L’intégration de la Dobroudja du Nord à la Roumanie, 1878-1913 », Balkanologie. Revue d'études pluridisciplinaires, , p. 167-197 (ISSN 1279-7952, lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Camille Allard, Entre mer Noire et Danube, Dobroudja 1855, éd. Non Lieu, 2013, (ISBN 978-2-35270-135-4).
- Grigore Dănescu, Dobrogea (La Dobroudja). Étude de Géographie physique et ethnographique, Bucarest, Imprimerie de l'Indépendance,, (OCLC 10596414).
- Ion Barnea et Ștefănescu, Ștefan, Byzantins, roumains et bulgares sur le Bas-Danube, București, Editura Academiei Române, (OCLC 1113905).
- (de) Josef Sallanz, « Die Dobrudscha. Ethnische Minderheiten, Kulturlandschaft, Transformation; Ergebnisse eines Geländekurses des Instituts für Geographie der Universität Potsdam im Südosten Rumäniens », Praxis Kultur- und Sozialgeographie, Potsdam, vol. 35, no 2, (ISBN 3-937786-76-7).
- Josef Sallanz, « Bedeutungswandel von Ethnizität unter dem Einfluss von Globalisierung. Die rumänische Dobrudscha als Beispiel. », Potsdamer Geographische Forschungen vol. 26, Potsdam, Universitätsverlag Potsdam, 2007 (ISBN 3-939469-81-5).
- Adrian Rădulescu et Ion Bitoleanu, Histoire de la Dobrogée, Constanța, Editura Ex Ponto, , 2e éd. (ISBN 9789739385329, LCCN 2002499401).