Triennat libéral — Wikipédia

Drapeau de la Milice nationale de Saragosse (1820-1843).

Le Triennat libéral (en espagnol : Trienio liberal) ou Triennat constitutionnel (Trienio Constitucional) est la période de l’histoire contemporaine de l'Espagne qui s’étend entre 1820 et 1823 et constitue la phase intermédiaire des trois étapes dans laquelle l’historiographie divise traditionnellement le règne de Ferdinand VII, suivant le Sexenio Absolutista (« les six ans absolutistes », 1814-1819) et précédant la Décennie abominable (Década Ominosa, 1823-1833). Le Triennat commence le avec le pronunciamiento de Riego, qui contraint le roi Ferdinand VII, qui exerce un pouvoir absolu depuis 1814, à rétablir le la Constitution espagnole de 1812 — dite « Constitution de Cadix » —. Cette période révolutionnaire finit par déboucher sur une réaction royaliste — la Guerre royaliste — et l'occupation de l'Espagne par l'armée française dans le cadre de l'expédition d'Espagne, qui commence le depuis les Pyrénées. Le Triennat prend fin le , où le monarque espagnol dissout les Cortès, abolit la Constitution et rétablit la monarchie absolue.

Le Triennat s’inscrit dans le cadre plus général des mouvements insurrectionnels de 1820-1821 en Europe, dont le pronunciamiento de Riego constitue le déclencheur. La Constitution de Cadix sera adoptée par les révolutionnaires napolitains et piémontais, et sera prise comme modèle par le royaume du Portugal. Le Triennat constitue un évènement de premier ordre dans l'histoire de l'Europe qui, cinq ans auparavant sortait tout juste de près de vingt ans de guerres de la Révolution française, à travers lesquelles la France avait tenté d’imposer son hégémonie au continent[1]. « Au cours de ces années, le monde hispanique se situe au centre de l'attention internationale qui le regarde en même temps avec espoir et crainte, comme un mythe pour les peuples et comme un stigmate pour les monarchies absolues, avec l'espoir d’une première vague de liberté capable de briser les frontières et avec l'impatience » de ceux désireux « de mettre fin à une expérience extrêmement déstabilisatrice »[2]. C'est également au cours du Triennat que se produisirent les indépendances de la quasi-totalité des colonies espagnoles d’Amérique[2].

Dans l’histoire contemporaine de l’Espagne, le Triennat libéral est une étape historique d’une grande importance car c'est seulement alors que furent mises en pratiques les réformes prévues par les Cortès de Cadix entre 1810 et 1814, dont les dirigeants purent appréhender la portée comme instrument pour construire un nouvel État libéral[3], ce qui fut possible grâce à la normalité institutionnelle caractéristique du Triennat, combinant une période de paix et la présence du roi à la tête de la monarchie. En dépit des difficultés auxquelles il dut faire face, « le Triennat libéral supposa une ouverture de la vie politique comme il ne s’en était jamais produite en Espagne. […] Le cadre constitutionnel établi par la révolution de 1820 permit l'apparition d'une sphère publique où les citoyens commencèrent à participer selon leurs possibilités et leurs intérêts »[4].

L’historien Alberto Gil Novales souligne la « position centrale » qu’occupe le Triennat dans la « révolution bourgeoise espagnole » qui culmine en 1834-1837, « quand on peut dès lors dire que l'Espagne est gouvernée par un régime bourgeois ». « Le Triennat libéral crée la législation basique, diffuse les idées et affine les instruments politiques à travers lesquels la bourgeoisie recueillera le pouvoir »[5].

Pour sa part, Pedro Rújula remarque le rôle décisif joué par le roi Ferdinand VII lui-même dans la chute du régime constitutionnel, « Mais pas seulement par sa capacité à bloquer depuis l'exécutif le fonctionnement du système, ou par son faible attachement à la liberté, mais également car il a été capable de construire un récit convainquant de ce qui s’était passé en Espagne et parvint à le faire accepter par les puissances étrangères ». « Finalement l'argument du monarque captif triompha au Congrès de Vérone, et constitua un élément central dans le prétexte donné par Louis XVIII au Parlement français pour justifier l’invasion »[4].

Josep Fontana qualifie le Triennat de « révolution frustrée », mais, selon lui, « il ne serait pas licite de dire qu’il échoua. Il s’effondra à cause de l'interférence de la politique extérieure européenne dans la politique espagnole » ; « La révolution espagnole chuta face à la coalition de ses ennemis intérieurs et extérieurs et face à la division de ses propres partisans »[6].

Plus de cent soulèvements militaires — de diverses obédience — ont lieu au cours du Trienio[7].

Portrait de Ferdinand VII par Francisco de Goya (1815).

Après le retour de sa captivité en France, en mai 1814 le roi Ferdinand VII abolit en mai 1814 la Constitution de 1812 approuvée par les Cortès de Cadix par un coup d’État, qui restaura la monarchie absolue. Les libéraux, défenseurs de la monarchie constitutionnelle, furent emprisonnés, bannis ou s'exilèrent[8]. Au cours des six ans suivants — le Sexenio Absolutista —, le roi et ses ministres ne réussirent pas à résoudre la crise de l'Ancien Régime (es) commencée en 1808 et que la guerre d'indépendance espagnole (1808-1814) aggrava considérablement. Le conflit avait détruit les principaux ressorts de l’économie et le commerce avec l'Amérique avait chuté en conséquence des processus indépendantistes dans les colonies commencés en 1810. Tout ceci provoqua une sévère crise économique qui se traduisit notamment dans une déflation. Le Trésor de la Monarchie tomba en faillite : les capitaux d’Amérique n’arrivaient plus dans les quantités comparables à avant 1808 — entraînant de surcroît une baisse des revenus douaniers — et il ne fut plus possible d’avoir recours au titres de dette de la monarchie dont la valeur avait radicalement baissé à la suite de nombreuses accumulations dans les paiements des intérêts annuels[9],[10]. Une tentative de réforme du budget fut menée par Martín de Garay mais échoua face à l’opposition des classes privilégiées — noblesse et clergé — mais aussi des paysans — qui rejeta l’impôt car il supposait une augmentation des charges qu’ils devaient déjà supporter, à un moment où le prix des denrées agricoles commençaient à s’effondrer —[11],[10].

Face à l'incapacité à résoudre la crise de la part des ministres de Ferdinand VII[12], les libéraux — dont un grand nombre étaient membres de la franc-maçonnerie pour agir dans la clandestinité —, tentèrent de rétablir la monarchie constitutionnelle en recourant à des pronunciamientos. Il s’agissait de trouver des alliés parmi les militaires « constitutionnalistes » (ou simplement mécontents de la situation) pour qu’ils se lèvent en armes contre le gouvernement et provoquent une réaction en chaîne de soulèvement d’autres unités militaires, afin d’obliger ainsi le roi à reconnaître la Constitution de 1812[13].

Au cours du Sexenio Absolutista (1814-1820), on avait tenté de revenir à une armée fondée sur les divisions en ordres de la société d'Ancien Régime, « où les emplois supérieurs étaient occupés par les membres de la noblesse, tandis que la troupe provenait du recrutement forcé, des volontaires et des condamnés par les tribunaux au service militaire ». Les réformes introduites par les Cortès de Cadix, débouchant sur la formation d’une armée citoyenne « basée sur le citoyen comme soldat de la nation, […] dans l'armée permanente comme dans la Milice nationale », avaient été annulées, ce qui en pratique se traduisit par l'abolition du décret du , qui avait permis le libre accès de tout citoyen aux collèges et académies militaires et aux postes de cadets — qui cessait de fait d'être un privilège de la noblesse —. D’autre part, la dynamique de la guerre d'indépendance espagnole elle-même avait contribué à la rupture des structures de l’armée d’Ancien Régime existante en 1808 étant donné que dans la guérilla la majorité des chefs provenaient du petit peuple, comme Espoz y Mina, Porlier ou Martín Díez[14][10].

Illustration de La segunda casaca de Benito Pérez Galdós (1884), dans laquelle apparaît au fond le château de Bellver du général Luis Lacy. Au premier plan on voit les médailles commémoratives de Lacy et du général Juan Díaz Porlier, également jugé (pendu, dans ce dernier cas) pour s’être « prononcé » contre l’absolutisme de Ferdinand VII.

L’annulation des réformes introduites par les Cortès de Cadix provoqua le mécontentement de nombreux officiers, encore exacerbé par le retard dans le versement des salaires — ils furent parfois contraints d’accepter des baisses de salaire pour obtenir un paiement régulier — et les inexistantes perspectives de promotion en raison du nombre abondant d’officiers apparus en conséquence de la guerre d’indépendance. De plus, les milliers d’officiers sans emploi considéraient que la politique du gouvernement était responsable de leur mauvaise situation, car elle déconsidérait ceux qui venaient de la guérilla, qui avaient été promus depuis des grades inférieurs ou étaient tenus pour libéraux. Par suite, « de nombreux officiers devinrent réceptifs aux idées libérales comme conséquence de la politique absolutiste qui aliéna une grande part de ses appuis. Les difficultés économiques et de promotion firent le reste ». La faillite du Trésor obligea à plusieurs réductions successives des effectifs militaires. La dernière eut lieu en juin 1818, les autorités absolutistes s’arrangeant de nouveau pour que les officiers restés sans emploi soient en majorité ceux de la guerre d'indépendance[15].

Entre 1814 et 1820 eurent lieu six tentatives de renversement du gouvernement, la plupart à travers des pronunciamientos, dont les cinq premiers échouèrent, jusqu’au succès de celui de Riego. Le premier se produisit en Navarre en septembre 1814 et fut mené par le héros de la guérilla Francisco Espoz y Mina, qui après avoir échoué à prendre Pampelune s’exila en France. Le second eut lieu à La Corogne en septembre 1815 et fut mené par un autre héros de la guerre, le général Juan Díaz Porlier, qui fut condamné à mort et pendu. En février 1816 fut découvert un complot dit « conspiration du Triangle », mené par un ancien militaire de la guérilla, Vicente Richart, qui fut condamné à mort et pendu avec un autre conspirateur, Baltasar Gutiérrez. En avril 1817 avait lieu à Barcelone la quatrième tentative, le pronunciamiento de Caldetas, cette fois avec une large participation de la bourgeoisie et des classes populaires, mené par le prestigieux général Luis Lacy, qui fut lui aussi jugé et exécuté. Le eut lieu la cinquième tentative, cette fois à Valence, menée par le colonel Joaquín Vidal, qui donna lieu à l’exécution de ce dernier par pendaison, ainsi que celle de douze autres participants non militaires, parmi lesquels se trouvaient des célèbres bourgeois de la ville, Félix Bertrán de Lis et Diego María Calatrava[8],[16]. Si l’objectif de toutes ces tentatives étaient de mettre fin à l’absolutime, tous ne se proposaient pas de rétablir la Constitution de 1812. Par exemple celui de Vidal défendait un régime différent, avec le retour de Charles IV — dont il ignorait la mort récente à Naples — sur le trône[15].

La Revolution libérale de 1820

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Le pronunciamiento de Riego

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Place de la Constitution de Las Cabezas de San Juan, au fond de laquelle on voit la mairie, où le lieutenant-colonel Rafael del Riego lança son pronunciamiento.

Le , le lieutenant-colonel Rafael del Riego souleva le 2e bataillon du régiment des Asturies qui se trouvait cantonné à Las Cabezas de San Juan (province de Séville) dans l’attente de son embarquement pour les Amériques en tant que partie de l’armée expéditionnaire chargé d’étouffer les insurrections séparatistes dans les colonies. Le discours que Riego tint à cette occasion, dans la harangue qu’il tint à ses troupes, établit le terme de « pronunciamiento » : le militaire se prononça contre le gouvernement, et son action servit de modèle à une multitude d’insurrections qui eurent lieu par la suite en Espagne au XIXe siècle[17],[18].

Carte du pronunciamiento de Riego. La ligne noire montre le parcours que firent les troupes soulevées depuis Las Cabezas de San Juan, les points marqués par des flammes figurant les villes dont les garnisons se joignirent au pronunciamiento.

Après avoir échoué à prendre Cadix, les troupes soulevées par Riego entamèrent le un long et difficile parcours en Andalousie, proclamant la Constitution de 1812 et destituant les autorités absolutistes des localités qu’elles traversaient. Elles ne rencontrèrent pas grande résistance, mais ne reçurent pas de nouvelles d’autres garnisons qui les auraient rejointes. Pour maintenir le moral des troupes, l’un des officiers, le futur général Evaristo Fernández de San Miguel, composa un hymne patriotique qui serait rapidement connu comme l'« Hymne de Riego » (et deviendrait 111 ans plus tard l’hymbe officiel de la Seconde République espagnole). Son refrain disait[17][19] :

« Soldats, la patrie
nous appelle au combat,
jurons de vaincre ou de mourir pour elle. »

Ils circulèrent en Andalousie durant quasiment deux mois lorsque le , alors qu'ils se dirigeaient vers le Portugal car ils donnaient leur cause pour perdue — la colonne de Riego se trouvait réduite à une cinquantaine d'hommes —, ils reçurent la nouvelle que le roi avait accepté deux jours avant de rétablir la Constitution après que le gouvernement absolutiste s’était montré incapable d’étouffer les soulèvements de plusieurs garnisons de la périphérie qui avaient suivi l'exemple de Riego[20].

Rétablissement de la Constitution de Cadix

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Ferdinand VII promulgua le un décret royal affirmant : « [ceci] étant la volonté du peuple, je me suis décidé à jurer la Constitution promulguée par les Cortes générales et extraordinaires en l'an 1812 »[21],[22]. Le rétablissement de la Constitution et des Cortès dont le roi avait ordonné l’annulation le fut accompagnée du retour du « langage de la révolution » et l’appel à la légitimité de la volonté populaire[23], et marqua le début de la deuxième expérience libérale en Espagne[24]. Une des raisons qui avait finalement fait pencher le roi vers cette solution avait été la nouvelle — rapportée par le général Ballesteros, récemment nommé chef de l'Armée du Centre — selon laquelle les troupes de Madrid et même la Garde royale étaient favorables à la Constitution. Cet épisode fit de Ferdinand VII le second roi européen à prêter serment devant une Constitution — le premier ayant été le roi de France Louis XVI au cours de la Révolution —[25].

Manifeste du roi Ferdinand VII rendu public le dans lequel il communique aux « Espagnols » avoir prêté serment sur la Constitution de Cadix le jour antérieur.

Le , tous les prisonniers pour opinions politiques furent remis en liberté et on permit le retour de tous les exilés pour les mêmes motifs. Le lendemain, le roi ordonnait le rétablissement de la Municipalité constitutionnelle destituée en 1814 et ses membres, accompagnés de six mandataires nommés par les citoyens madrilènes, se présentaient au palais royal. C’est là que Ferdinand VII prêta serment pour la première fois sur la Constitution (le serment formel eut lieu en juillet devant les Cortès récemment élues, selon la formule établie par celle-ci), abolissait (es) l’Inquisition et nommait une Junte provisoire présidée par le cardinal Bourbon, archevêque de Tolède et cousin du roi, qui avait déjà dirigé la régence constitutionnelle en 1814[26][27],[28]. « Finalement, le roi dut se passer de certains de ses hommes de confiance liés de près à la camarilla, une mesure qui visait à sauver le roi après la révolution et à construire l’explication officielle de ce qui s’était passé : ce n’était pas le roi mais ses mauvais conseillers qui avaient conduit le pays jusqu’à cette situation, ce qui rendait possible que, après la révolution, le monarque continue d’occuper le trône sans avoir à assumer de responsabilités pour le passé »[29]. La thèse, soutenue par les libéraux, du roi trompé par ses conseillers et ministres, apparut dans des œuvres de théâtre, dans des discours prononcés dans les sociétés patriotiques (es) — dans un de ceux-ci on parla de « notre involontaire despote » trompé par son entourage — ou dans des chansons. Ce furent surtout les libéraux exaltados qui soutinrent ce discours fictif du roi dupé par ses conseillers, et leur volonté tenace de restaurer la Constitution de 1812, qui considérait Ferdinand VII comme le roi légitime, mais prisonnier de Napoléon, favorisa le monarque en définitive[30].

Le , le roi rendait public un manifeste dans lequel il annonçait qu’il avait juré sur la Constitution, dont il serait « toujours le soutien le plus ferme ». Le paragraphe final du manifeste devint plus tard célèbre — car Ferdinand VII ne respecta pas la promesse qui y apparaissait ; de fait, « presque dès le jour après avoir juré sur la Constitution il commença à agir pour la renverser » —[31],[32] :

« Vous m’avez fait comprendre votre souhait que soit rétablie cette Constitution qui dans le fracas des armes hostiles fut promulguée à Cadix l’année 1812, au même moment où à l’étonnement du monde combattiez pour la liberté de la patrie. J’ai entendu vos vœux, et tel un tendre Père j’ai consenti à ce que mes enfants considèrent comme le chemin pour leur bonheur. J’ai prêté serment sur la Constitution après laquelle vous soupiriez, et je serai toujours son plus faible soutien. […] Marchons franchement, et moi le premier, sur le chemin constitutionnel ; et en montrant à l'Europe un modèle de sagesse, d’ordre et de parfaite modération dans une crise qui dans d’autres Nations a été accompagnée de larmes et de malheurs, faisons admirer et révérer le nom Espagnol, en même temps que nous cultivons pour des siècles notre bonheur et notre gloire. »

Premier gouvernement libéral (mars 1820-mars 1821)

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Le « gouvernement des prisonniers »

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Monnaies d’or des périodes absolutistes et constitutionnelles de Ferdinand VII.
1815. La légende, en latin, affirme que Ferdinand VII est « roi des Espagnes et des Indes » « par la Grâce de Dieu » (Dei Gratia).
1823 (Triennat libéral). La légende, en castillan, proclame Ferdinand VII « roi des Espagnes » « par la Grâce de Dieu et de la Constitution ».

La Junte provisoire consultative [33] que Ferdinand VII nomma en remplacement du gouvernement absolutiste, le même où il prêta serment sur la Constitution, convoqua le les élections au Parlement, suivant la normative constitutionnelle. Le décret disait[34] :

« Citoyens : Vous avez à présent des Cortès, ce bastion inexpugnable de la liberté civile, ce garant de la Constitution et de votre gloire. Vous avez à présent des Cortès, vous êtes des hommes libres, et le génie odieux de la tyrannie fuit épouvanté de notre sol heureux, emportant ses chaînes ensanglantées vers des pays moins fortunés. Hâtez-vous pour réunir vos frères et choisir vos Députés »

La Junte provisoire consultative resta en fonction jusqu’à début juillet, où se réunirent les premières Cortès du Triennat, et assuma le pouvoir exécutif jusqu’à la formation du nouveau gouvernement[28]. Présidée par le cardinal Louis Marie de Bourbon, archevêque de Tolède, elle intégrait le général Francisco Ballesteros — vice-président et véritable homme fort de la Junte —[35], l’évêque du Michoacán Manuel Abad y Queipo, Manuel Lardizábal, Mateo Valdemoros, le colonel Vicente Sancho, le Comté de Taboada (es), Francisco Crespo de Tejada, Bernardo de Borja Tarrius et Ignacio Pezuela[36][37][38]. Le , le vieux Conseil d'État fut totalement remplacé sous la présidence du général libéral Joaquín Blake[39].

Suivant l’exemple de la Junte provisoire consultative dont elles reconnaissaient la direction, des Juntes consultatives furent constituées dans tous les territoires de la monarchie, y compris ceux où les libéraux ne dominaient pas, comme en Aragon. Partout furent reconnues les deux libertés fondamentales d’impression et de réunion — leur régulation ultérieure étant laissées aux Cortès — et les prisons de l’Inquisition furent vidées, après l’abolition du Saint-Office le jour-même du serment de Ferdinand VII sur la Constitution[40]. Un immense élan de liberté et de changement était perceptible de toute part[41].

Une des premières décisions de la Junte fut d’ordonner « que tous les curés de paroisse de la monarchie expliquent à leurs paroissiens, les dimanches et jours festifs, la Constitution politique de la Nation, comme part de leurs obligations, en leur manifestant en même temps les avantages qu’elle apporte à toutes les classes de l’État, et en réfutant les accusations calomnieuses avec lesquelles l’ignorance et la malignité tentent de la discréditer ». On ordonna de faire de même dans les écoles et autres institutions éducatives, y compris les universités[42]. Un autre des premiers décrets de la Junte, contre-signé par le roi, fut de convoquer le « des élections de Maires et Municipalités constitutionnelles » « dans toutes les communes de la monarchie » « pour que le système constitutionnel que j’ai adopté et sur lequel j’ai prêté serment ait la marche rapide et uniforme qui lui correspond »[43]. Pour instruire les citoyens au sujet de leurs nouveaux droits et devoirs furent publiés des textes très didactiques sous forme de dialogues qui contenaient également des orientations sur le vote, qui encourageaient ouvertement à nommer des représentants favorables à la Constitution[44].

Agustín Argüelles, l’un des leaders des libéraux moderados, fut secrétaire d’État du Gouvernement de la Péninsule et des îles adjacentes, et leader de facto du premier gouvernement du Triennat.

Ferdinand VII nomma un gouvernement formé de libéraux — la liste fut élaborée par le général Ballesteros, homme fort de la Junte consultative —[45], dont certains tardèrent un certain temps à occuper leurs postes car ils durent voyager depuis les présides ou l’exil où ils avaient passé une bonne partie du Sexenio absolutiste. Pour cette raison, le roi l’appela en privé et sur un ton sournois et méprisant le « gouvernement des prisonniers » (« gobierno de los presidiarios »)[46],[39]. La plupart d’entre eux avaient déjà participé aux Cortès de Cadix, qui avaient approuvé la Constitution de 1812, raison pour laquelle ils furent désignés sous le nom de « doceañistas ». Formellement, la constitution n’établissait pas de poste de président du gouvernement ni même un organe collégial de gouvernement équivalent au Conseil des ministres qui réunisse les sept secrétaires d’État (qui n’étaient pas à proprement parler des ministres), et n’établissait aucune hiérarchie entre eux — bien que celui du département d'État fût nommé en premier lieu —. Les membres les plus notables de ce premier gouvernement du Triennat étaient Agustín Argüelles, qui occupait le secrétariat d’État du Gouvernement de la Péninsule et des îles adjacentes, et José Canga Argüelles, qui occupait celui du Budget[28]. Les autres secrétaires étaient : Evaristo Pérez de Castro (État), Manuel García Herreros (es) (Grâce et Justice), Juan Jabat (Marine), Antonio Porcel (Gouvernement d’Outre-mer) et le marquis de las Amarillas (Guerre). Ce dernier était le seul membre du gouvernement issu de l'absolutisme — il s'était opposé au pronunciamiento de Riego —, ce qui ne fut pas sans poser de problèmes par la suite[28][47][37][48][39][49].

Portrait équestre de Ferdinand VII par José de Madrazo (1821), musée du Prado.

Les membres du premier gouvernement du Triennat étaient des libéraux moderados (« modérés »), « prêt à poursuivre l’œuvre commencée à Cadix, mais pas à seconder les mouvements populaires »[50]. Ils s’engagèrent pour éviter que la « lie de la société » ne prenne « l'initiative des réformes », selon les mots du marquis de Miraflores[51]. Logiquement, les chefs politiques supérieurs (es) provinciaux, nommés par le gouvernement, furent également des « modérés ». Ils constituaient une pièce essentielle dans la structure de pouvoir du régime constitutionnel en ce qu’ils étaient responsables de l’ordre public dans leurs provinces respectives en plus d’être, entre autres fonctions, les organisateurs des processus électoraux. Dès octobre 1820, un périodique exaltado avertit du danger de fraude électorale que cela pouvait représenter, qui permettrait au gouvernement de se constituer « majorité docile et complaisante ». De fait, des nouvelles selon lesquelles le gouverenement avait donné des instructions précises pour que ne soient par élus des exaltados ou des afrancesados circulèrent[52]. Avec la nomination des chefs politiques, on prétendait clairement définir une Administration gouvernative civile distincte d’une autre de caractère militaire. Cependant, cette distinction se révéla en pratique très floue, les choix des chefs politiques provinciaux se portant sur des militaires dans près de la moitié des cas[53][54].

Le était approuvé un décret créant la Milice nationale[55][56] prévue dans la Constitution, « qui deviendrait dès lors l’un des bastions du régime constitutionnel et l’un des principaux symboles du libéralisme espagnol »[28]. Son règlement définitif fut approuvé par les Cortès le [57][55].

Les premiers mois du Triennat se caractérisèrent par une « explosion de liberté » qui donna lieu à la prolifération de nouveaux périodiques — en mai on en comptait presque 80, alors que seule une demi-douzaine était publiée avant la révolution —. La presse fut « l’un des grands espaces de liberté et de pluralité créés sous la protection de la législation libérale et, par suite, un moyen fondamental pour diffuser les valeurs du régime dans une population qui commençait alors le difficile apprentissage de la vie en liberté ». Comme dans la période des Cortès de Cadix, certains périodiques défendant la cause de l’absolutisme ou défendant une réforme de la Constitution furent également publiés[58]. Les sociétés patriotiques, l’autre grand espace de débat politique, exercèrent également des fonctions de contrôle sur le pouvoir[59]. La proposition gouvernementale de les interdire fut l’une des principales causes de la rupture entre les deux camps libéraux, modérés et exaltés, ces derniers défendant leur maintien[60]. La diffusion des sociétés patriotiques transforma « le droit de réunion, avec la liberté d’impression, en l’un des biens les plus précieux du nouveau régime »[61].

Après la célébration des élections générales en 1820 (es) — au suffrage universel masculin indirect au troisième degré : assemblée de paroisse, de district et enfin de province —[62] fut formé le Parlement dont la session d’ouverture eut lieu le et au cours duquel le roi jura solennellement sur la Constitution[63]. La nuit antérieure avait eu lieu une tentative échouée de putsch absolutiste protagonisé par la Garde royale[64]. Auparavant, un complot mené par Domingo Baso, aventurier ayant un important réseau de relations, visant à préparer la fuite du roi avait également été déjoué[65][66]. Dans cette session d’ouverture le roi prêta solennellement serment sur la Constitution selon le texte qui figura dans l’article 173 de cette dernière[67]

Tableau représentant le roi Ferdinand VII prêtant serment sur la Constitution de 1812 le .

Après le serment, le président du Parlement et député pour la Catalogne, l’archevêque de Séville José de Espiga[68] prononça un discours dans lequel il se félicita de ce que l’« Espagne voit de nouveau et de façon heureuse réunies les Cortès qui rendirent si glorieux les règnes des Alphonses et Ferdinands ; et la plus virtueuse de toutes les Nations, oublie les griefs, pardonne les injures, et s’occupe et se complaît uniquement avec le rétablissement d’un Gouvernement Constitutionnel »[69]. Il évoquait également la guerre d’indépendance au cours de laquelle, en l’absence du roi, « avait rugi le lion de l’Espagne » — la nation —, dans un « cri général et uniforme », et faisait ensuite allusion à l’œuvre des Cortès de Cadix[70]

Le roi lut ensuite un discours, rédigé par le gouvernement — précisément par Agustín Argüelles —[69][71], qui disait, après avoir affirmé que le bonheur du « Peuple Espagnol » « n’avait jamais cessé d’être la cible de mes intentions les plus sincères » : « Je consacrerai les facultés que la Constitution signale à l’autorité royale à l’établissement et la conservation entière et inviolable de cette même Constitution, et c’est en cela que je valoriserai mon pouvoir, ma satisfaction et ma gloire »[69][72][71]. À la fin de son discours, Ferdinand fut acclamé par les députés[72].

Ces premiers Cortès, dont la principale activité fut de développer ce qui avait été établi par les Cortès de Cadix, avaient une majorité de libéraux moderados, qui s’efforça de freiner toute avancée du mouvement populaire — dont le principal instrument était les sociétés patriotiques —[62],[73]. Des 243 députés, 27 % étaient membres du clergé, 17 % étaient des militaires, et 33 étaient des doceañistas ; ils formeraient le noyau central du parti des libéraux modérés[74]. Pendant ce temps, le roi recevait par des canaux non officiels des messages des monarques européens lui affirmant qu’il pouvait compter sur leur soutien pour s’opposer à la politique révolutionnaire du gouvernement. Le pape Pie VII lui envoya également une lettre secrète dans laquelle il parlait du « torrent de livres extrêmement pernicieux » qui inondaient l’Espagne « au préjudice de la religion et des bonnes mœurs »[75].

La division des libéraux : « modérés » contre « exaltés »

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Juan Francisco Fuentes a signalé que la division du libéralisme, seulement vaguement perceptible au début, « serait l'un des faits les plus importants du Triennat libéral, si bien que la lutte politique qui marqua l'histoire de cette période ne pourrait être comprise sans l'affrontement entre modérés et exaltés, respectivement représentants des ailes conservatrice et libérale du libéralisme espagnol[76].

Ce que l'on commença à nommer dans la presse et dans les réunions publiques le parti exalté fut identifié avec le libéralisme de base, des juntes locales qui s'étaient formées dans les villes durant la révolution, rassemblant surtout les secteurs populaires, les classes moyennes et des militaires, les plus radicaux, « et dont les prétentions de changement allaient au-delà, dans certains cas, de ce que représentait le nouveau pouvoir constitué ». Pour sa part, celui qui serait connu comme le parti modéré surgit du libéralisme institutionnel officialiste que l'opinion générale identifiait avec le gouvernement, et qui était « partisan d'administrer avec modération le pouvoir reçu du roi en mars 1820 »[77]. À cause de leur manque de structure et de leur dépendance à l’égard d’autres plateformes comme la presse, les sociétés — secrètes ou non —, la Milice nationale et différents espaces de réunion publique, ces tendances ne se constituèrent pas en véritables partis politiques, mais elles les préparent et annoncent les futurs partis, progressiste et modéré respectivement, de la régence de Marie-Christine de Bourbon et du règne d'Isabelle II[41],[78]. D’autre part, le secteur le plus conservateur des modérés intégra partiellement les afrancesados après leur amnistie — environ 120 000 personnes revinrent d’exil — »[79].

José María Queipo de Llano, comte de Toreno, fut un « doceañista » et l’un des libéraux modérés les plus notables.

Les modérés et les exaltés partageaient le même projet politique, commencé par les Cortès de Cadix, de mettre fin à la monarchie absolue et à l’Ancien Régime, et de les remplacer par un nouveau régime libéral, tant sur le plan politique qu'économique[80], mais se différenciaient essentiellement par la stratégie à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif commun[81]. Les modérés — aussi dits doceañistas car leurs membres les plus distingués avaient déjà été députés au Cortès de Cadix —[82],[83] considéraient que la « révolution » était déjà terminée et qu’il fallait à présent garantir l’ordre et la stabilité, en tentant d’intégrer au régime les vieilles classes dominantes, comme la noblesse — par le moyen de compromis avec elle — ; les exaltés, au contraire, pensaient qu’il fallait continuer de développer la « révolution » avec des mesures cherchant le soutien des classes populaires[84],[85],[86]. Le libéral modéré (et doceañista) José María Queipo de Llano, comte de Toreno, par exemple, soutenait que la révolution avait « ôté presque toutes les entraves qui s’opposaient à la propriété et aux libertés publiques » et que, hors de cela, il n’y avait rien de plus que « les horreurs de l’anarchie et le désordre » et la dissolution de « tous les liens sociaux »[87]. Selon les modérés, « les exaltés étaient responsables de l’agitation, des excès et désordres des noyaux urbains, protagonisés par les sociétés patriotiques, dans une attitude radicale qui fomentait l’opposition absolutiste et la menace de la révolution sociale »[82]. En définitive, les modérés souhaitaient « rétrécir la marge de participation populaire pour éviter les dérives du régime vers des positions plus avancées », tandis que les exaltés étaient partisans d'« approfondir socialement le régime et ouvrir les espaces de participation »[83].

Il se distinguaient également par leur rapport à la Constitution de 1812 elle-même, que les modérés souhaitaient réformer dans un sens conservateur, les exaltés préférant quant à eux la maintenir telle qu’elle avait été approuvée par les Cortès de Cadix. Les modérés, en particulier leur secteur le plus conservateur constitué par les dénommés « anilleros (es) » menés par Francisco Martínez de la Rosa[86],[88], voulaient introduire le suffrage censitaire et une seconde chambre dans laquelle serait représentée l’aristocratie territoriale, comme contrepoids au Congrès des députés[89]. Ils souhaitaient également une moindre limitation du pouvoir royal afin de donner plus de marge de manœuvre à l’exécutif[82]. « Le bicamérisme finirait par devenir l'un des grands chevaux de bataille entre exaltés et modérés durant le Triennat. Les premiers considéraient que toute mention à une Chambre haute était un symptôme de conservatisme inacceptable, alors que les seconds entendaient que la Chambre haute s’avérait indispensable pour calmer les assauts « démocratiques » de la Chambre populaire », ce qui pourrait être considéré comme paradoxal étant donné que c’étaient en grande partie les mêmes qui avaient participé activement aux Cortès de Cadix et avaient élaboré la Constitution de 1812 remise en vigueur[90],[91][92].

Ce changement de position par rapport à la Constitution de 1812 avait des antécédents au sein des libéraux exilés en France : le dénommé « plan Beitia », daté de 1819 à Bayonne, dont l’objectif était l’instauration d'un « Acte institutionnel des Espagnols des deux hémisphères » qui remplacerait la « radicale » Constitution de 1812. Entre autres changements, l’Acte restreignait le suffrage, qui devenait censitaire, et créait une deuxième chambre parlementaire — une « Chambre perpétuelle » qui agisse comme « pouvoir modérateur », suivant le modèle britannique de la Chambre des lords et la Charte constitutionnelle de 1814 du royaume de France —[93][94]. En 2006, l'hispaniste français Claude Morange découvrit aux Archives historiques nationales (es) toute la documentation du « plan Beitia » saisie par les agents de Ferdinand VII. Dans l’étude qu’il publia sur le plan, il souligna que « l'Acte » était très influencé par le libéralisme doctrinaire français, plus concrètement les idées de Benjamin Constant et d’Antoine Destutt de Tracy[95][note 1].

Finalement, le projet d’instaurer un parlement bicaméral ne prospéra pas car[91] les modérés finirent par interpréter le Conseil d’État, de par sa composition basée sur les ordres d’Ancien Régime et pas le contrôle du monarque qu’il exerçait, comme un Sénat[96]. Les modérés cherchèrent l’appui du roi Fernando VII mais ils ne l’obtinrent pas car celui-ci semblait incapable de différencier un Parlement libéral à une ou à deux chambres — il aurait dit à un secrétaire d’État : « Vous ne pouvez pas avec une chambre et vous en voulez deux ! » — et parce que la seule alternative qu’il envisageait était le retour à la monarchie absolue[97].

Le premier conflit entre modérés et exaltés eut lieu le , lorsque le gouvernement décida de dissoudre l’« Armée de l’Île », c’est-à-dire celle qui avait mené à terme le pronunciamiento de Riego, qui avait mis fin à l’absolutisme — Selon Alberto Gil Novales, « la dissoudre équivalait à laisser la révolution absolument désarmée » —. La raison était la crainte dans le camp modéré de son intervention en politique et de la méfiance envers la figure de Riego, acclamé par les exaltés comme le « héros de la Cabezas » (de San Juan), car on craignait que puisse s’articuler autour de sa personne un large front d’opposition au gouvernement[98][99][100]. Le général Antonio Quiroga, alors député proche des modérés et l’un des militaires qui avait mené le pronunciamiento de 1820, appuya la mesure[101], tandis que Riego, commandant en chef de l’« Armée de l’Île » — officiellement nommé « Corps d’observation d’Andalousie », se rendit à Madrid fin août pour tenter d’obtenir l’annulation du gouvernement de sa décision[102],[103]. L’ordre de dissolution se maintint néanmoins (en compensation Riego avait été nommé capitaine général de Galice)[103] et le conflit fut résolu avec la destitution du marquis de las Amarillas, qui comme secrétaire d’État de la Guerre était celui qui l’avait signé. Au cours d'un des hommages à Riego qui furent célébrés dans la capitale — la revue El Constitucional l’avait appelé « restaurateur de l'Espagne » —[104] eut lieu un incident dont le gouvernement profita pour destituer Riego comme capitaine général de la Galice et pour l’envoyer à Oviedo dans l’attente de nouveaux ordres. Le gouvernement l'accusa d’avoir chanté au cours de l'acte la subversive Trágala (es) (chanson que les libéraux utilisaient pour humilier les absolutistes après le pronunciamiento de Las Cabezas de San Juan)[105][106][107]. Les exaltés portèrent la question devant le Parlement et le secrétaire d’État Agustín de Argüelles accusa Riego d’encourager les troubles sociaux causés par les classes populaires[108] et fit ensuite allusion à un complot républicain contre le gouvernement dans lequel Riego aurait été impliqué. Bien qu’il ne fournît jamais aucune preuve de cette conjuration, « les modérés semblaient avoir gagné sur toute la ligne »[109]

Álvaro Flórez Estrada, exaltado remarqué, défendit les sociétés patriotiques (es) dans le débat qui eut lieu au Parlement sur la proposition des moderados de les interdire.

La rupture définitive entre les deux factions se produisit en octobre 1820, au motif du débat au Parlement sur la proposition d’interdire les sociétés patriotiques (es)[110],[111]. Depuis l’été 1820[112], les modérés avaient commencé à voir les sociétés patriotiques « davantage comme un danger pour l’ordre public que comme un allié dans la défense de l’ordre constitutionnel », comme les percevaient les exaltés[113], ainsi que comme « une espèce de contrepouvoir illégitime que les exaltés utilisaient pour contrarier leur faible représentation au parlement » — par conséquent incompatibles avec la représentation de la voie constitutionnelle —[114],[115]. De plus, ilc craignaient qu’ils deviennent un équivalent du radical Club des jacobins de la Révolution française[116]. Cette divergence dans le rapport aux sociétés patriotiques correspondait à la « conception différente que modérés et exaltés avaient de la base sociale sur laquelle devait reposer le libéralisme espagnol. Pour les premiers, la solidité du régime dépendait de l’appui qu’il aurait parmi les classes propriétaires et moyennes : bourgeoisie, aristocratie, classes moyennes professionnelles […]. […] les sociétés patriotiques pouvaient être, par leur caractère ouvert et participatif une voie d’entrée des classes populaires dans la vie politique. […] Pour les députés exaltés, au contraire, les sociétés patriotiques étaient un instrument fondamental pour créer en Espagne une véritable opinion publique, la « reine des nations » comme la qualifia le député aragonais Romero Alpuente »[117][118] Les modérés obtinrent finalement des Cortès, où ils étaient majoritaires, l’approbation d’un décret promulgué le qui interdisait les sociétés patriotiques telles qu’elles avaient fonctionné jusqu’alors[119],[120]. Son premier article disait : « N’étant pas nécessaires pour l’exercice de la liberté de parler des questions politiques les réunions d’invidus constitués et réglementés par eux-mêmes, sous les noms de sociétés, confédérations, comités [juntas] patriotiques ou n’importe toute autre sans autorité publique, elles cesseront immédiatement en accord avec les lois qui interdisent ces corporations »[120]. On permettait qu’elles continuent d’exister sans se constituer en tant que telles — comme réunions le soir ou réunions patriotiques —[115] et sous l’autorité supérieure locale qui pouvait les suspendre à tout instant (ce qui donna lieu à de nombreux conflits par la suite)[121]. Quoi qu’il en soit, le décret du , promulgué le , supposa dans la pratique la désarticulation des sociétés patriotiques « du moins dans la forme et les contenus initiaux, et elles ne récupérerait leur situation qu’à partir du , avec la période la plus radicale de la révolution »[115].

Drapeau offert par le député Diego Muñoz-Torrero à la Milice nationale de Cabeza del Buey, son village natal.

Dès le lendemain du décret sur les sociétés patriotiques, les Cortès en approuvaient un autre sur la liberté d'impression[122][note 2], qui creusa encore davantage la division entre modérés et exaltés, ces derniers estimant que la régulation que ce decret faisait des « abus » restreignait la dite liberté[121][123]. Un autre motif des affrontements entre modérés et exaltés fut celui de la Milice nationale[note 3] que les seconds souhaitaient transformer en un instrument révolutionnaire (« la Patrie armée ») et les premiers en un garant de l’ordre public et de l’ordre constitutionnel (qu’ils considéraient synonymes), en maîtrisant les fréquents actes d'indisciplines et d’insubordination pour qu’elle fût une force organisée et efficace. La question clé était de déterminer quelles classes sociales pouvaient accéder à la milice. Les modérés la restreignaient aux « citoyens propriétaires » (et la barrière d'accès étant l’obligation de payer l’uniforme), tandis que les exaltés se proposèrent d’élargir sa base sociale en facilitant l’accès des classes populaires urbaines — pour ce faire, ils imaginèrent différentes formules : subventions, souscriptions, mécénats, , etc. — pour ceux qui n’avaient pas les moyens de s’offrir un uniforme[124],[125]. La rôle de la Milice nationale comme bastion du régime constitutionnel se trouva mis en évidence dans la fonction décisive qu’elle joua dans l’échec du coup d’État absolutiste du [124][125].

Hors du Parlement, l’espace d’affrontement le plus visible entre modérés et exaltés fut la presse « on estime que furent créés 680 nouveaux titres de presse au cours du Triennat »[126]. Parmi les périodiques modérés, les plus notables furent El Universal et Miscelánea de comercio, artes y literatura (tous deux avec un tirage d’environ 5 000 exemplaires —), auxquels on peut ajouter deux périodiques afrancesados, El Censor et El Imparcial, qui défendaient aussi les propositions du modérantisme (es). Dans la presse des exaltados, les plus importants furent El Conservador (malgré son titre, littéralement « Le Conservateur »), La Tercerola et, spécialement, El Zurriago (qui atteignit un tirage de plus de 6 000 exemplaires), ainsi que d’autres édités hors de Madrid. Le périodique politico-satirique La Periódico-manía (dont l’antécédent était La Diarrea de las imprentas, publié durant les Cortès de Cadix) partageait également des affinités avec les exaltés[127][128].

La division entre modérés et exaltés se manifesta également au sein de la franc-maçonnerie — la seule société secrète existante en Espagne —[129] à laquelle étaient affiliés de nombreux politiciens libéraux « pour pouvoir travailler avec une plus grande sécurité en faveur de la cause constitutionnelle, depuis l’efficace trame clandestine que constituaient les loges »[130][131]. En janvier 1821, un groupe de franc-maçons sympathisants des exaltés rompit avec la maçonnerie officielle, dominée par les modérés[132] et fonda la société secrète de la Comunería, dont les membres seraient connus sous le nom de « comuneros » ou « fils de Padilla »[130] (en référence au comuneros de la guerre des Communautés de Castille du XVIe siècle). Le choix du nom indique « la volonté de créer une espèce de maçonnerie nationale, libre des liens internationaux et du conservatisme politique qu’on attribuait aux loges »[133]. Pour cette raison, ils s’organisèrent en torres (« tours ») et non en loges[134]. Selon le modéré Antonio Alcalá Galiano, la charbonnerie « soutenait les doctrine et l’intérêt du groupe exalté ». Ses statuts affirmaient que la « confédération [de comuneros espagnols] a pour objet de promouvoir et conserver, par tous les moyens à sa portée, la liberté du genre humain ; soutenir avec toutes ses forces les droits du peuple espagnol contre les abus du pouvoir arbitraire, et secourir les hommes nécessiteux, particulièrement s’ils sont confédérés »[135]. Son organe de presse officieux était le périodique au nom éloquent El Eco de Padilla (« L’Écho de Padilla ») et son symbole la couleur mauve — attribuée, bien que de façon incertaine, à l’héraldique castillane (es), par claire allusion à l’épisode de la guerre des Communautés, qui était sa référence historique —[136][137]. À partir du cas de José Manuel del Regato, l’un des membres les plus radicaux de la Charbonnerie que Fernando VII nomma chef de sa police secrète après la chute du régime constitutionnel, on a spéculé sur l’existence d’agents provocateurs infiltrés en son sein. Il s’agit peut-être de l’origine de présumés complots républicains comme celui du Français Bessières à Barcelone, qui après avoir fui en France revint en Espagne 1823 comme maréchal royaliste qui accompagnait l’armée française lors de l’expédition d'Espagne[138]. L’organisation de la Comunería, dont le nombre de membres est inconnu, « semble avoir été rudimentaire, et depuis le début il fut très facile pour ses ennemis de s’infiltrer dans ses rangs »[139].

L’abolition de l’Ancien Régime

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Pilori de Torija (province de Guadalajara). L’usage de cet instrument, symbole de la vassalité, fut aboli par la Junte provisoire consultative.

Dès le triomphe de la révolution, de nombreux paysans avaient cessé de payer la dîme et les impôts seigneuriaux, ce dont les nobles et les membres du clergé se plaignirent aux Cortès[140]. En août 1820, la députation de Cordoue présenta au Parlement sept pétitions qui reprenaient les réformes approuvées par les Cortès de Cadix et supposaient en pratique l’abolition de l’Ancien Régime en Espagne (es), notamment : limitation du nombre de membres du clergé, séculier comme régulier, suppression des couvents jugés superflus, fin de l’amortissement ecclésiastique et civil et des dîmes, obligation pour les détenteurs de seigneuries de présenter dans un certain délai leurs titres de propriétés et privilèges et ouverture de deux canaux entre les cours d'eau Guadalquivir. Guadajoz, Genil et Guadalimar[141].

La Junte provisoire consultative, nommée par Ferdinand VII le — le même jour où il avait juré sur la Constitution pour la première fois —, avait déjà approuvé quelques décrets conduisant au démantèlement de l’Ancien Régime, comme l’incorporation au territoire national des domaines seigneuriaux, l’abolition des privilèges exclusifs, privatifs et prohibitifs, et des symboles de la vassalité (comme le pilori) ou l'établissement de la liberté d'industrie[142]. Les Cortès poursuivirent leur travail en ce sens. La première mesure importante fut l’abolition de l’ordre successoral traditionnel — par exemple le majorat ou le fidéicommis — des patrimoines à travers un décret publié le [143]. Avec l’abolition du majorat, les « propriétés » d’une maison nobiliaire, autrefois héritées exclusivement en vertu du droit d'aînesse, purent être aliénées (vendues, hypothéquées ou saisies, si elles étaient réclamées par les créanciers)[144] et devinrent donc des « propriétés libres »[145]. La fin de l’inaliénabilité des biens, avec le désamortissement et l’abolitition des seigneuries (es), faisait partie du projet libéral dont les racines plongeaient dans l’Espagne des Lumières, de « désentraver les champs espagnols et de fomenter leur production et leur développement »[146].

Le mois suivant, les Cortès approuvèrent le la réforme du clergé régulier — dont le principal objectif était de réduire le nombre de ses membres jugé excessif, étant donné que les libéraux considéraient les clercs réguliers fondamentalement inutiles dans la nouvelle société, au contraire de la grande estime qu’ils accordaient aux curés de paroisses, « premier appui des nouvelles institutions » —, incluant la suppression des ordres monastique et militaire et de nombreux couvents des ordres mendiants — en 1822, près de la moitié des couvents espagnols avaient été fermés —, dont les communautés dépendraient dorénavant des évêques, nommés sur proposition du gouvernement — en vertu du patronage royal (es) —, et non des supérieurs de chaque ordre. Le décret établissait également qu’il ne pourrait y avoir plus d’un couvent d’un même ordre dans chaque localité, et à condition qu’il compte au moins 12 membres ordonnés — les Clercs réguliers de la Mère de Dieu pour les écoles pies étaient exclus de la mesure —[147],[148]. On facilitait également le passage au clergé séculier des moines et frères[149]. Préalablement, suivant l’héritage des Lumières, l’ordre des Jésuites — « considérés comme le symbole des mesures arbitraires de l’absolutisme » et d’une « influence décisive dans le champ éducatif »[150] — avait été supprimé le [151]

Nadie nos ha visto, gravure no 79 de la série Los Caprichos (1799) de Francisco de Goya, représentant quatre frères religieux en train de boire, une réponse à la critique faite par les ilustrados (partagées par les libéraux) contre le clergé régulier[152].

En approuvant le loi du , les libéraux prétendaient appliquer l’article 12 de la Constitution de 1812 qui affirmait, après avoir proclamé la confesionnalité de l'État — « La religion de la Nation espagnole et sera perpétuellement la catholique, apostolique, romaine, seule véritable » —, que « la Nation la protège par des lois sages et justes, et interdit l’exercice de toute autre », ce que les libéraux interprétaient comme le fait que seule la « Nation » représentée aux Cortès avait la légitimité pour déterminer la politique religieuse — ce en quoi ils continuaient le régalisme (es) exercé par les Bourbon au siècle antérieur —, tandis que la hiérarchie ecclésiastique espagnole et le pape faisaient une lecture contraire de l’article 12, considérant qu’il obligeait le pouvoir civil à sauvegarder les « droits de l’Église ». Cela constitua le fondement du conflit qui opposa une part importante du clergé, spécialement les évêques soutenus par le pape, et le régime libéral, dont ils qualifiaient la politique religieuse, en grande partie inspirée par les propositions ilustradas[153], de « janséniste »[154]. La réforme ecclésiastique menée par les libéraux était davantage guidée par un désir d’intégration du clergé dans le cadre de la Constitution que par l’anticléricalisme (bien présent dans certains secteurs du libéralisme exaltado). L'État confessionnel tel qu’il se trouvait défini dans la Constitutionnel était parfaitement compatible avec la religion catholique[155]. Néanmoins, les libéraux ne parvinrent pas à créer une hiérarchie ecclésiastique constitutionnelle car le Saint-Siège (appuyé par une majorité d’évêques) refusa de nommer les candidats aux évêchés vacants — majoritairement à cause du bannissement ou de la fuite de leurs titulaires —[note 4] que proposait le gouverenement (il les qualifia de « jansénistes ») et menaça le clergé qui accepterait d’être désigné exclusivement par le pouvoir politique d’être considéré comme « un intrus, schismatique, homicide des âmes, perturbateur de la paix ». Entre juillet 1820 et octobre 1822, le gouvernement désigna des candidats pour quinze évêchés et seuls trois furent confirmés par Rome[156].

Les biens des monastères et des couvents supprimés — comme ceux de l'Inquisition et des jésuites — firent l'objet de désamortissements — ils passèrent à l'État qui les vendit ensuite aux enchères publiques —[157],[158]. Le désamortissement affecta environ 25 000 propriétés, le montant total s’élevant entre 500 millions et un milliard de réaux, apportés par environ 7 500 acheteurs, à qui l'on permit de payer avec des titres de dette royale (es) — étant donné la dépréciation de ces derniers, la valeur réelle des achats étaient inférieure aux sommes atteintes aux enchères —[159]. Rien ne fut fait pour faciliter l’accès des paysans à la propriété de ces biens qui furent en majorité acquis par les plus riches propriétaires. La situation de certains paysans empira même après que certains nouveaux propriétaires exigèrent une augmentation des tarifs pour la location des parcelles — qui fut autorisée par les Cortès — voire les en délogèrent en vertu du « droit de propriété » qu’ils avaient acquis[160]. Diego González Alonso, agrariste qui fut député aux Cortès, écrivit des années plus tard dans son livre La nueva lei agraria (« La Nouvelle Loi agraire »)[161] :

« Des millions d’habitants, des milliers de localités, restèrent à la merci d’un propriétaire cruel, à qui peu importe, comme nous l’avons vu en 1820 et [les années] suivantes, et des familles entières, qui reposaient dans leurs foyers sur leurs aînés […] errèrent orphelins, cherchant des relations pour trouver un toit pour les leurs […]. Si la propriété avait été divisée avec régularité […] le nombre de serfs ne serait pas si élevé. La révolution en France avait augmenté de [plusieurs] millions le nombre de propriétaires, et la nôtre, en 1822 […] n’en avait pas créé plus de quatre mille nouveaux. »

Le désamortissement des biens des ordres monastiques et d’une part importante de ceux des ordres mendiants fut l’un des principaux motifs pour lesquels la majorité du clergé — en particulier le régulier, le grand perdant de la politique libérale — rejoignit le camp de la contre-révolution, formant avec une partie de la paysannerie « la grande alliance antilibéral » — dont l’expression la plus importante se trouva dans les partidas realistas, groupes de guérilleros agissant comme son bras armé, qui commencèrent à agir surtout à partir de 1821 —[162],[163].

D’autre part, le désamortissement fut lié de près à la faillite du Trésor public héritier de la guerre d’indépendance et du Sexenio Absolutista[164] — la dette publique dépassait les quatorze milliards de réaux[159][164] —, étant donné que les libéraux du Triennat y firent face par le recours à des emprunts extérieurs — « une solution tangencielle, apparemment ingénieuse »[165] —, « en utilisant les biens désamortis comme hypothèque, d’abord, et comme fond d’amortissement, ensuite, de la nouvelle dette contractée »[166]. En ce sens, les gouvernements du Triennat adoptèrent « une perspective jusqu’à un certain point court-termiste », pressés par les graves problèmes financiers de l'État. Le recours aux emprunts négociés avec les grands groupes européens, parmi lesquels la banque Rothschild, « était le moyen le plus rapide de remplir les caisses de l’État, mais aussi la plus coûteuse, à tel point que le Conseil d'État […] qualifia de « scandaleuses et inadmissibles » les conditions imposées par le groupe Laffitte dans l'emprunt de 300 millions de réaux signé par le gouvernement libéral en novembre 1820 »[167].

La « question américaine »

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Vice-royautés et provinces espagnoles en Amérique vers 1800 :
Nouvelle-Espagne
Nouvelle-Grenade
Pérou
Río de la Plata.

Lorsque le Ferdinand VII jura la Constitution, les vices-royautés de Nouvelle-Espagne et du Pérou demeuraient fidèles à la monarchie mais celle du Río de la Plata et la plus grande partie de celui de Nouvelle-Grenade étaient déjà devenus indépendants — devenant respectivement les Provinces-Unies du Río de la Plata et la Grande Colombie, présidée par Simón Bolívar —[168]. De façon générale, la nouvelle de la restauration de la Constitution de 1812 fut reçue avec jubilation par les populations des territoires américains qui restaient sous l’autorité de la monarchie espagnole et, après la prestation de serment sur la Constitution des autorités civiles et militaires — fréquemment avec une forte résistance toutefois —, on procéda à la formation des conseils municipaux et députations provinciales et à l’élection des députés à Cortès. Concernant les rebelles, la Junte provisoire consultative de Madrid avait ordonné aux officiers des armées royalistes de parvenir à un accord d’armistice avec eux. Ainsi, Joaquín de la Pezuela au Pérou et Pablo Morillo au Venezuela s’entretinrent avec Juan de San Martín et Simón Bolívar respectivement[169].

Dans la métropole, où les guerres d'indépendance hispano-américaines et la situation de l'Amérique espagnole en général étaient suivies avec d’immenses attentes par le gouvernement et les Cortès comme par l’opinion publique[170],[57], l’idée que la proclamation de la Constitution de 1812 mettrait fin aux insurrections et mouvements indépendantistes, et donc à la guerre, était largement partagée — « la pacification de l’Amérique est d’ores et déjà plus une œuvre de politique que de la force […] seule la Constitution peu rétablir les liens fraternels qui l’unissaient avec la mère patrie », disait une déclaration de la Junte provisoire consultative —[171]. Après l'entrée en vigueur de la Constitution, « les territoires américains passèrent du statut de vice-royauté et de capitaineries générales dépendants du roi à une intégration en tant que provinces en égalité de droits avec celles péninsulaires, et leurs habitants passèrent de la catégorie de sujets du roi à celle de citoyens de la nation espagnole. Ainsi, le libéralisme doceañista transforma l’empire en un État-nation des "deux hémisphères" »[172]. Néanmoins, « malgré les tentatives de conciliation et les projets alternatifs qui furent considérés par les libéraux du Triennat » « la politique d’outre-mer fut toujours marquée par le désir du roi de ne pas renoncer à ses droits sur le territoire américain »[173].

La Junte provisoire consultative s’occupa immédiatement de la « question américaine » et lorsqu’elle convoqua le les élections générales (es) elle réserva trente sièges aux députés d’Amérique, qui seraient élus parmi les résidents dans la Péninsule jusqu’à ce que des élections puissent être célébrées localement. Il y eut immédiatement des protestations des Américains à cause du faible nombre de sièges qui étaient assignés à leur territoire — la Constitution établissait qu’il aurait dû y avoir un député pour 70 000 âmes et reconnaissait dans son article 1 « tous les Espagnols des deux hémisphères » comme membres de la « Nation espagnole » —. La junte répondit en menaçant la suppression de toute représentation et maintint le nombre de parlementaires initialement prévus[174]. Peu après l’ouverture des Cortès le , les trente députés américains insistèrent de nouveau sur la nécessité d’augmenter leur représentation[175]. Dans la deuxième moitié de 1820 eurent lieu les élections des députés aux Cortès dans les territoires américains mais sur les 168 sièges qui leur échoyaient seuls 85 purent être élus à cause des processus indépendantistes[176]. Les députés américains arrivèrent à Madrid dans les premiers mois de 1821 et leur nombre d’éleva finalement à 77, élus ou suppléants. La plus grande représentation était celle de Nouvelle-Espagne[177].

Le , une proclamation du roi Ferdinand VII aux habitants d’outre-mer établissait la position officielle sur la « question américaine » une fois que la Constitution garantissait leurs droits : les insurgés devaient déposer les armes et obtiendrait le pardon royal en échange ; dans le cas contraire la guerre continuerait (« bien que sans l’acharnement et la barbarie de jusqu’à présent, mais en conformité avec le droit des gens », disait le rapport du Conseil d’État). Le secrétaire du département d’Outre-mer, Antonio Porcel prit les dispositions pour envoyer en Amérique des personnes mandatées avec des instructions pour obtenir la pacification des territoires. « Il s’agissait d’un plan détaillé pour convaincre les territoires en guerre de réintégrer la monarchie, mais elle arrivait tard. Après presque dix ans de lutte contre les armes du roi, il ne semblait pas que ces mesures conciliatrices pussent avoir un effet. Surtout parce que Ferdinand VII n’avait aucune crédibilité pour être le garant d’une Constitution qu’il avait abolie six ans plus tôt, dont il avait poursuivi les défenseurs — y compris ceux américains — et dont la dérogation avait débouché sur une « guerre à mort » à partir de 1814 »[178]. De plus, le coup d’État de mai 1814 qui avait restauré l’absolutisme, et avec lui le colonialisme, fut interprété par de nombreux Américains comme la fin de la troisième voie possible entre le colonialisme absolutiste et l’insurrection que représentait l’option autonomiste des doceañistas[179],[172]. De fait, parmi les libéraux péninsulaires, quelques-uns comme les exaltés Antonio Alcalá Galiano, Moreno Guerra et Romero Alpuente, qui considéraient que l’indépendance des territoires américains était un fait irréversible — Alcalá Galiano fut défié en duel pour avoir défendu cette posture, duel qui n’eut cependant pas lieu en raison de l’intervention d’un officier royal de Cadix)[180][181].

Début de la contre-révolution, double-jeu de Ferdinand VII et destitution du gouvernement

La « contre-révolution », « comprise comme l'ensemble des stratégies politiques mises en marche par les vieilles élites réactionnaires pour mettre fin à la révolution et au libéralisme », commença dès le , lorsque Ferdinand VII jura pour la première fois sur la Constitution de 1812 et celui qui la mena fut le roi lui-même[182]. Le marquis de las Amarillas le reconnut dans ses mémoires : « aucun [des ministres] ne pouvait ignorer que le Roi protégeait en secret les soulèvements contre la Constitution sur laquelle on l'avait obligé à prêter serment »[183]. Ferdinand VII n’accepta jamais le régime constitutionnel, et bien qu’il ne rompît jamais avec lui, il conspira pour l’abattre, depuis le premier moment, avec la complicité des membres de la cour et des hauts responsables de l'État contraires à la cause libérale[184],[185],[186]. « Ferdinand VII se plaça au centre des initiatives menées contre le constitutionnalisme, pas seulement pour que ceux impliquées dans ces actions prennent son nom comme étendard, avec la religion, mais aussi parce que le roi dirigea personnellement et directement les actions les plus importantes destinées à favoriser le changement de régime »[187]. Le palais royal fut le centre des opérations et fut créé par le roi sur le conseil de certains membres de sa famille, surtout l’infant Charles de Bourbon et son épouse Marie Françoise de Bragance, et d’autres absolutistes importants, don Mariano Téllez-Girón (es), duc del Infantado. Toutefois, le monarque reçut les aides les plus directes et efficaces de son discret et fidèle secrétaire particulier Antonio Martínez Salcedo et Antonio Ugarte[188].

Portrait du roi Ferdinand VII, par Vicente López.

Très tôt les partidas realistas commencèrent à agir — les premières dont on ait la trace apparurent en Galice dès avril 1820 —[189], organisées par des absolutistes exilés en France et en lien avec le palais royal[190]. Les méthodes et la manière d’opérer des partidas étaient très similaires à celles qu’avait utilisées la guérilla durant la guerre d’indépendance — d’ailleurs certains guérilleros militeraient ensuite dans le camp royaliste —[191],[192]. Les chefs des partidas étaient en majorité des ecclésiastiques (50 % en Navarre), des nobles (45 % en Galice), des propriétaires et des paysans (en Catalogne on peut encore inclure les mossos d'esquadra). La base sociale de ces partidas, et donc du royalisme, était en très grande majorité constituée des personnes les plus pauvres et n’ayant aucune propriété — essentiellement petits paysans, journaliers, tisserands et autres artisans, ou ouvrier des petites manufactures —[193] .

Au cours de ces mois survinrent plusieurs incidents contre-révolutionnaires. En mai eut lieu une émeute absolutiste à Saragosse pour « sauver le Roi » et « la Patrie » au motif du remplacement du capitaine général royaliste par un libéral. La pierre commémorative à la Constitution fut attaquée et la Milice nationale dut intervenir pour rétablir l’ordre. Il y eut deux morts et 40 détentions[194]. Le mois suivant éclatèrent des émeutes à Madrid et Burgos au cri de « Mort à la Constitution ! » et le les gardes royaux échouèrent dans leur tentative d’empêcher l’ouverture des Cortès le jour suivant, afin d’éviter que le roi se voie de nouveau obligé à prêter serment, cette fois solennellement, sur la Constitution[195]. Il s’agit là peut-être de la première action organisée visant à renverser le régime constitutionnel[196]. D’autres tentatives de soulèvements contre-révolutionnaires eurent lieu à Pampelune, Saragosse et Oviedo. Début novembre, un groupe de soldats de cavalerie désertait à Talavera de la Reina (dans La Manche) pour rejoindre la partida realista de Gregorio Morales à Ávila. Il s’agissait du premier soulèvement royaliste dans laquelle le roi était directement impliqué. Ses instigateurs prétendaient profiter du séjour de Ferdinand VII au monastère de l’Escurial et la fermeture des sessions aux Cortès pour le proclamer monarque absolu à Ávila, mais la trame fut découverte. Les absolutistes agirent également par le biais de sociétés secrètes comme la société de l'ange exterminateur (es) ou la Junte apostolique (es). À la fin de 1820, des partidas realistas avaient déjà fait leur apparition en Vieille-Castille, Galice, Asturies et Andalousie[197][196].

Vue du palais royal par Genaro Pérez Villamil (1854).

Pour sa part, Ferdinand VII fit usage de ses pouvoirs constitutionnels, comme le droit de véto suspensif jusqu’à deux reprises, pour faire obstacle, retarder ou, dans certains cas, empêcher la promulgation de certaines lois approuvées par les Cortès[162]. Ce fut ce qui arriva avec la loi sur les ordres monastiques et la réforme du clergé régulier, que le roi refusa de sanctionner en alléguant des problèmes de conscience, bien qu’il finît par les signer après une grande agitation dans les rues de Madrid[198],[199]. La réponse du roi fut de se reclure à l’Escurial — alléguant des problèmes de santé —, si bien qu’il ne put présider la cérémonie de clôture de la période de sessions des Cortès. D’autre part, éloigné du palais où il était sous étroite surveillance, il put intensifier ses activités séditieuses[198][199].

De plus, il s’affronta très fréquemment avec les membres du gouvernement — qu’il appelait les « prisonniers » dans leur dos —[200], comme lorsqu’eut lieu la démission du marquis de las Amarillas, seul membre du gouvernement qui avait sa confiance car il provenait de l’absolutisme, où il les qualifia de « lâches ». En cette occasion il leur dit : « Vous êtes les uniques défenseurs que me donne la constitution et vous m’abandonnez […]. Vous consentez à ces sociétés patriotiques et autres désordres, avec lesquels il est impossible de gouverner et, en un mot, m’abandonnez, étant le seul à suivre fidèlement la constitution »[201]. L'historien Josep Fontana commente : « il mentait, bien sûr, puisqu’il conspirait dans le dos de son gouvernement, en encourageant les partidas realistas, en tentant de créer des régences à l’étranger et en suppliant les monarques de la Sainte-Alliance de venir le libérer de cette horrible captivité. Le Ferdinand qui fait des protestations sur la base de son respect à la constitution est le même qui maintenait une correspondance en secret avec Louis XVIII de France et avec le tsar de Russie[201] ». Il avait placé ses espérances dans la possibilité d’une action, depuis l’intérieur du pays ou grâce à une intervention extérieure, qui mette fin à cette expérience révolutionnaire[202]. Depuis le palais royal, devenu le centre de la conspiration contre-révolutionnaire, on fomenta rumeurs et provocations, spécialement dans la capitale, dans le but de discréditer le gouvernement et en créant la crainte d’une révolution sociale. On lançait continûment des messages, parfois imprimés, qui « associaient libéralisme, désordre et insécurité ». Dans cette situation, « la contradiction pour les libéraux était évidente : respecter la légalité constitutionnelle et avec elle le roi et sa dynastie, mais la personne de Ferdinand VII n’était pas libérale et sa conversion n'était pas aisée »[203].

Durant la réclusion volontaire à l'Escurial du roi et de la famille royale se produisit un grave conflit, lorsque Ferdinand VII, profitant du fait que les Cortès venaient de fermer leur période de sessions, nomma capitaine général de Nouvelle-Castille (avec juridiction sur la capitale) le général José de Carvajal, un militaire identifié avec l’absolutisme, sans la signature requise du secrétaire d’État correspondant, un acte clairement anticonstitutionnel[121][204][205][note 5]. Le général qui allait être destitué refusa de rendre sa charge et dans les rues s’étendirent des protestations demandant la convocation de Cortès extraordinaires et le retour du roi à Madrid. Nombreux furent ceux qui virent une résurgence du coup d’État de mai 1814 (es) dans la nomination du général Eguía comme capitaine général de Castille[204]. Les sociétés patriotiques furent de nouveau ouvertes et à la La Fontana de Oro (es) on en arriva pour la première fois à demander la destitution de Ferdinand VII et son remplacement par une régence[206][207]. Finalement, la députation permanente des Cortès obtint du roi le retrait de la nomination et sa promesse de revenir à Madrid dès le calme revenu dans les rues. Le roi destitua de plus son confesseur Víctor Damián Sáez et son majordome (es), le marquis de Miranda (es), « victimes propitiatoires de cette crise », selon Pedro Rújula, qui doute néanmoins que les actions menées par le roi ces jours-là constituent une véritable tentative de coup d'État[208]. Lorsque Ferdinand VII fit son retour à Madrid le , il dut entendre des cris provocateurs comme « Vive le roi constitutionnel ! » et des chansons irrespectueuses envers sa personne[209].

Gravure représentant l’assassinat en prison du curé Matías Vinuesa.

Il existe peu de doutes quant à l’implication de Ferdinand VII dans la conjuration ourdie par le prêtre Matías Vinuesa, curé du village de Tamajón et chapelain d’honneur du roi, qui prétendait d’abord séquestrer au palais royal les secrétaires d’État, le Conseil d'État et d’autres autorités, puis que l’infant Charles, le duc del Infantado et le marquis de Castelar (es) soulèvent plusieurs régiments de Madrid et la garde royale, ce qui serait accompagné d’un soulèvement populaire aux cris de « Vive la religion, le Roi et la Patrie ! » et de « Mort à la Constitution ! »[210],[211],[212],[213],[214]. Ainsi serait rétablie la monarchie absolue[215][216][217]. Vinuesa fut détenu en janvier 1821 et condamné à dix ans de prison. Lorsque le fut rendue publique la sentence qui condamnait Vinuesa à dix ans d’emprisonnement, un présumé groupe de libéraux « exaltés », qui trouvèrent la peine trop clémente, assaillirent la prison où il était détenu et l’assassinèrent à coups de marteaux[218],[219],[220],[221]. Cet assassinat porta un grand coup à la crédibilité du régime constitutionnel, tant par sa cruauté que par l’incapacité du gouvernement à garantir la sécurité d’un prisonnier — proche du roi, qui plus est — soumis à un procès qu’il révélait[222].

En février 1821, le mois suivant la détention de Vinuesa, la garde royale avait protagonisé un début de rébellion (les gardes avaient dégaîné leurs sabres contre des civils désarmés qui avaient injurié le roi)[220][223]. La réponse des Cortès fut de dissoudre la section de cavalerie de la garde, laissant les autres intactes, ce qui, selon Alberto Gil Novales était une invitation à réaliser une nouvelle insurrection, — qui surviendrait 15 mois plus tard —[224]. On a également confirmation que des partidas realistas furent aperçues près de la capitale autour de ces mêmes dates[225].

Finalement Ferdinand VII, qui ne cachait plus ses divergences avec le régime libéral, décida de se défaire du gouvernement et d’en nommer un autre avec lequel il aurait plus d’affinité[226]. À l’ouverture de la seconde période d’ouverture des Cortès le , il ajouta au discours de la Couronne, rédigé par le gouvernement, une note dans laquelle il exposa tous les griefs qu’il avait accumulés contre l’exécutif[73][163][226][227].

Le nouveau cabinet qu’il nomma finalement le avait un profil quelque peu plus discret que le précédents, bien que ces membres soient toujours des libéraux modérés. « Toutefois, le message que cette crise avait laissé pour l’opinion libérale ne pouvait être plus alarmant : Ferdinand VII était prêt à employer à fond les prérogatives que la Constitution lui octroyait pour intervenir directement dans la vie politique »[202]. De plus, Fernando VII était ce faisant parvenu à provoquer une nouvelle division au sein des libéraux, celle regroupant les partisans du gouvernement déchu[225].

Second et troisième gouvernements libéraux (mars 1821-juillet 1822)

Le second gouvernement libéral, dont le secrétariat du département d'État était occupé par Eusebio Bardají Azara, mais dont l’homme fort était Ramón Olaguer Feliú à la tête du portefeuille de l'Outre-mer, fut formé en mars 1821 et resta au pouvoir un an. En mars 1822, le troisième gouvernement libéral (es), dirigé par Francisco Martínez de la Rosa,. qui ne dura que quatre mois, jusqu’à la tentative de coup d'État absolutiste par la garde royale, qui fut neutralisée par la Milice nationale et des civils armés[228]. Selon Josep Fontana, la période comprise entre mars 1821 et juillet 1822 « est l'étape au cours de laquelle le régime s’affaiblit fondamentalement, qui freine constamment les exaltés » en même temps que « les forces de la contre-révolution agissent dans une escalade progressive »[228]. La dynamique politique de cette période centrale du Triennat vit l’augmentation constante des divergences entre modérés et exaltés, au niveau de secteurs sociaux chez lesquels chercher du soutien (élites de l'Ancien Régime pour les premiers, classes laborieuses pour les seconds) ou des valeurs et attentes (crainte du désordre et de la révolution spontanée pour les premiers, opposition à la contre-révolution pour les seconds)[53].

Le second gouvernement libéral

En plus de Bardají, les membres du second gouvernement libéral étaient : Mateo Valdemoros, plus tard remplacé par Ramón Olaguer Feliú au Gouvernement de la Péninsule et des îles adjacentes, Tomás Moreno Daoíz au portefeuille de la Guerre, Antonio Barata Barata, remplacé par Ángel Vallejo en octobre au Budget, Vicente Cano Manuel Ramírez de Arellano à la Grâce et Justice, Francisco Escudero à la Marine et Ramón Olaguer Feliú au Gouvernement de l’Outre-mer — remplacé par Ramón López Pelegrín lorsqu’il changea de portefeuille —[225][229][230]. L’homme fort du gouvernement Feliú provenait de la réactionnaire Junte provisoire d’Aragon et López Pelegrín fut le ministre de confiance du roi[231]. Le nouveau gouvernement était formé par des hommes n’ayant pas subi la persécutation de 1814, ce qui pouvait faciliter leur relation avec le roi. Toutefois la situation de s’améliora pas, le roi ne changeant pas d’attitude et les Cortès étant réticente à travailler avec un exécutif dans lequel elles n’avaient pas confiance[232][230]. Peu après la formation du nouveau gouvernement arrivait la nouvelle que les troupes autrichiennes avaient mis un terme à la révolution à Naples, ce qui encouragea les partidas realistas à intensifier leurs actions, ce qu’elles firent à partir du printemps 1821. C’est dans ce contexte que le curé Matías Vinuesa fut assassiné en prison[221].

Palais du Collège de doña María de Aragón (partie du complexe du Real Monasterio de la Encarnación) où se réunissaient les Cortès ; Depuis 1835-1837 il est le siège du Sénat.

Durant la seconde période de sessions commencée le — le jour suivant eurent lieu les évènements d’Alcoy (es), le premier acte luddite de l’histoire de l’Espagne — et qui se conclut le (comme l’établissait la Constitution), les Cortès légiférèrent sur différentes questions : monétaire, en unifiant la monnaie circulant en Espagne et en outre-mer et en interdisant enfin les transactions avec de l’argent français, comme cela se passait depuis la guerre d’indépendance ; religieuse, en n’autorisant plus l’envoi d’argent à Rome contre des bulles ou dispenses matrimoniales, bien que l’on autorisât pour l’instant une donation volontaire de neuf mille duros[233] annuelle — ce qui limite considérablement la portée de la mesure —[234] ; militaire, avec l’approbation de la loi constitutive de l’Armée du , qui met celle-ci au service de la nation et abolit son organisation par ordres de l’Ancien Régime (« la nation en armes »)[235][236][237] ; éducatif, avec l’approbation du règlement général d’instruction publique (qui divise l’enseignement en trois degrés, le premier étant gratuit et universel)[238][note 6]. La prédominance des modérés aux Cortès fut particulièrement évident lors de l’approbation par celles-ci le d’un décret qui recommandait au gouvernement la confection d’une liste de livres « qui ne doivent pas courir [circuler] », une sorte d’Index de libres interdits laïque[239]. Trois jours après elles approuvaient un décret qui établissait de très sévères peines pour ceux qui tenteraient de s’opposer à la Constitution, mais avec un énoncé si vague qu’il pouvait se transformer en un puissant outil contre la liberté de pensée, ce qui advint en grande partie, « bien qu’il soit juste de reconnaître que les écrivains et journalistes de cette époque firent preuve d’un courage sans limite »[240]. D’autre part, ce décret du permettait aux militaires de désobéir à des ordres qui seraient contraires à la Constitution et à son fonctionnement normal, et étendait la juridiction militaire aux civils qui commettent certains délits déterminés (comme la résistance aux troupes lorsque celles-ci agissent pour rétablir l’ordre)[241]. L’article 1 établissait que « Toute personne, quelles que soient sa classe et sa condition » qui conspire contre la Constitution ou le gouvernement constitutionnel « sera poursuivi comme traître et condamné à mort »[242].

En raison de la quantité de questions dont devaient traiter les Cortès, on finit par convaincre le roi de les convoquer en période extraordinaire[note 7], dont la session d’ouverture fut célébrée le , onzième anniversaire de la proclamation par les Cortès de Cadix du principe selon lequel la souveraineté nationale réside dans le Parlement. Au cours de cette période, les Cortès approuvèrent la division provinciale — qui servirait de base pour celle approuvée en 1833, et qui est à grands traits celle utilisée jusqu’à aujourd’hui —[243], la loi organique de la Marine, le règlement de la Bienfaisance — dont dériverait toute la législation du XIXe siècle à ce sujet — et le premier Code pénal (es), encore en partie redevable à la conception judiciaire d’Ancien Régime mais marquait une avancée importante[244]. Influencé par les théories juridiques de Beccaria, Filangieri, Bexon[Qui ?] et, surtout, Bentham, ainsi que par le Code pénal français, il établissait le principe d’égalité devant la loi et prétendait en finir « avec la législation punitive et barbare de l'Ancien Régime », en instaurant le principe de proportionnalité dans l’application des peines (en mettant fin à l’arbitraire des juges)[245].

Politique fiscale et question de la dîme

Caricature du sur la suppression de la dîme et des droits féodaux. La caricature représente un ecclésiastique qui refuse d'une main la bourse qu'on lui tend, pour mieux l'accepter de l'autre, « mais c’est la dernière fois ».

Les libéraux approuvèrent une politique fiscale basée sur le paiement en espèce plutôt que sur le paiement en nature pour, entre autres objectifs, « dynamiser l’économie nationale par la monétarisation de son secteur le plus traditionnel — l’agriculture — »[159]. Or ce changement supposa un coup dur pour les paysans dans un moment de chute des prix, ce qui amena deux conséquences importantes : l’opposition des paysans au libéralisme et son raprochement avec le clergé également mécontent, ce qui conféra légitimité et cohésion à cette opposition, et d’importantes difficultés pour le budget de l’État, à cause de l'échec du recouvrement des impôts, qui serait l’une des causes de la défaite du régime contre l’invasion française en 1823[246]. L’ambassadeur français, le marquis de Talaru, qui accompagna ces troupes manifesta cette idée dans une lettre envoyée au comte de Villèle en octobre 1823, lorsque la monarchie absolue avait déjà été restaurée[247].

L’exigence de paiement en espèce explique le paradoxe du fait que la réduction de moitié de la dîme (décrétée le )[248], et non son abolition complète — qui eût laissé l’Église catholique dans une situation économique difficile[248], mais « ce faisant les Cortès contrariaient la révolution spontanée des paysans qui, en de nombreux endroits, refusaient dorénavant le paiement de la dîme et des prémices » —[249] non seulement ne soulagea pas les charges des paysans mais les aggravèrent en réalité. Les gouvernements firent un raisonnement erroné, car ils pensèrent qu'en réduisant la dîme de moitié les paysans accumulerait plus d'excédents qu'ils pourraient vendre sur le marché, et qu'avec l'argent obtenu ils pourraient payer les nouveaux impôts de l'État (qui sur le papier étaient inférieurs à la moitié de la dîme qui auparavant était aquitée en nature), ce qui augmenterait ainsi leurs revenus[250],[146]. Or pour les paysans, « la suppression de la moitié de la dîme signifia peut-être plus de grain pour leur propre consommation, mais pas plus d’argent — l'augmentation de l'offre était contrarié immédiatement dans ces marchés locaux [dominés par la spéculation des grands propriétaires] par la chute des prix — ; lorsqu’arriva le percepteur des contributions avec de nouvelles exigences, ils se trouvèrent sans avoir de quoi payer et identifièrent le nouveau régime comme une oppression fiscale plus grande »[251],[252]. De plus, le paiement de la dîme en nature offrait aux paysans plus de possibilités d’évasion et de fraudes que le paiement en espèce, exigé de façon implacable par l'administration libérale[252]. Le marquis de Talaru en fit aussi le constat dans sa lettre à Villèle d’octobre 1823 : « L’impôt en nature n’est rien ici ; ce qui pèse est l’impôt en argent. Une des plus grandes erreurs du gouvernement des Cortès est celui d’avoir voulu l’établir, ce qui unit l’une des principales causes de la haine que la massa de la nation sent envers ce gouvernement »[247],[253]. En effet, le mécontentement des paysans fut mis à profit par la contre-révolution. Une proclamation royaliste d’août 1821 dirigée aux laboureux de Saragosse affirmait : « Vous me direz "On nous a baissé la dîme à moitié", mais à cela je vous répondrai que l’on vous a imposé de plus grandes contributions »[247].

Échec de l'abolition des seigneuries

Le parlement rétablit le décret du des Cortès de Cadix qui les abolissait, mais il dut faire face à sa complexe mise en application, qui l’amena à approuver en juin 1821 une loi « explicative » (aclaratoria). Le problème central résidait toujours dans la présentation des titres : si les seigneurs pouvait présenter le titre de « concession » de la seigneurie et que dans celui-ci il était confirmé qu’elle n'était pas juridictionnelle, la seigneurie devenait sa propriété ; dans le cas contraire, la propriété revenait aux paysans. Néanmoins, la loi « explicative » fut bloquée par le roi qui refusa à deux reprises de la signer — en vertu d’une prérogative que lui octroyait la Constitution de 1812 —[254], et lorsqu’en mai 1823 elle fut publiée comme loi (le roi ne pouvait refuser de la sanctionner une troisième fois) il était trop tard car l’invasion de l’expédition d’Espagne par la France, qui mit fin au régime constitutionnel, avait déjà commencé[255],[162],[256].

Selon différents historiens, le désamortissement des biens des couvents supprimés et l’abolition ratée des seigneuries furent les deux grandes opportunités perdues, qui auraient pu mener les paysans à défendre la cause de la Révolution, comme cela était arrivé en France[257],[258].

La politique américaine

Peu après le début de la deuxième période de sessions des Cortès le , les députés américains proposèrent d'établir une députation provinciale dans chacune des intendances américaines (es), ce qui faisait partie de leur stratégie pour déployer toutes les possibilités d'autonomie qu'offrait la Constitution[259],[260]. Tant que ne serait pas établie la députation provinciale, « les dissidents ne se tranquilliserait pas », avait averti un député pour le Guatemala. La proposition fut approuvée et promulguée par un décret daté du [261]. Toutefois, d'autres propositions des députés américains furent rejetées et qualifiées de « fédéralistes » (ce qui à cette époque était synonyme de « républicain »), comme celle de faire nommer le chef politique supérieur (es) non par le gouvernement central mais par les députations provinciales ou de concéder à celles-ci la faculté de collecter et de gérer tous les impôts[262]. Ils évoquèrent également plusieurs revendications ne figurant pas dans la Constitution comme la citoyenneté des noirs et mulâtres (exclus dans l’article 22)[note 8] ou l’abolition du tribut indigène (selon eux, propre de l'époque coloniale et non de la nouvelle étape ouverte avec la restauration de la Constitution)[263]. Vers les mêmes dates, le , étaient arrivés à Cadix deux mandataires de l’autoproclamée République de Grande Colombie, envoyés par son président et fondateur Simón Bolívar et portant un courrier de ce dernier adressé à Ferdinand VII dans lequel il demandait de commencer des négociations en partant de la reconnaissance de l’indépendance[264]. Ils se réunirent à Madrid début juin avec le secrétaire du département d’État Bardají et Francisco Antonio Zea, avec son « Plan de réconciliation et projet de confédération hispanique » entre la Colombie et l'Espagne, seule manière à son sens, de maintenir l’union de la Colombie et de la monarchie)[265]. Toutefois les négociations n’eurent finalement pas lieu car arriva à Madrid la nouvelle selon laquelle Bolívar avait brisé l’armistice et vaincu les troupes royalistes dans la bataille de Carabobo le . Les deux mandataires et Zea furent invités à partir[266].

Lucas Alamán, député américain aux Cortès, qui lança la proposition (rejetée) de structurer la monarchie espagnole sous forme de fédération.
Première page de la proposition présentée par les députés américains le .

Le , seulement trois jours avant la fin de la deuxième période de sessions, cinquante-et-un députés américains menés par ceux de Nouvelle-Espagne présentèrent une proposition de structuration de la monarchie sous la forme d’une fédération. Elle consistait à créer trois sections des Cortès, du gouvernement, du Tribunal suprême et du Conseil d’État à Mexico, Santa Fe de Bogotá et Lima, ces sections disposant des mêmes compétences que celles de métropole, à l’exception de la politique extérieure, qui restait le domaine des Cortès de Madrid. Chacun des trois pouvoirs exécutifs serait dirigé par un prince de la maison de Bourbon, ce qui aboutirait à la formation de trois monarchies américaines sous l’autorité de Ferdinand VII[267],[268],[269]. De plus, le commerce intérieur serait libre et plus sujet au paiement de frais de douane et les territoires américains assumeraient le poids de la dette du Trésor qui leur correspondrait et contribueraient aux dépenses de maintenance de la Marine commune[267][268][269]. « La proposition était quelque peu chimérique, car on ne savait pas si à ce stade les pays d’Amérique seraient disposés à l’accepter […]. Mais même ainsi, la proposition aurait pu servir de base pour une négociation amiable qui, en sauvant les apparences et de nombreux intérêts, donne l’indépendance aux Amériques »[270]. Selon Pedro Rújula et Manuel Chust, « arrivé en 1821, il s’agissait déjà d’une proposition utopique. Les Américains le savaient, les péninsulaires aussi. Ferdinand VII ne l’accepterait jamais »[271].

Les Cortès rejetèrent la proposition — en justifiant surtout que sa mise en application nécessitait une réforme de la Constitution —[272] et approuvèrent à la place celle présentée par le comte de Toreno (es) qui laissait dans les mains du gouvernement central les mesures à prendre au sujet de la pacification de l'Amérique[249],[273]. La possibilité d’une solution négociée pour l’indépendance des territoires d’Amérique fut anéantie et la parole du roi l’avait emporté. « Dans son discours de clôture des Cortès du , Ferdinand VII se montra catégorique : la seule alternative pour l’Amérique passait par l’indissoluble unité de la monarchie »[274].

Juan O'Donojú, chef politique supérieur (es) de Nouvelle-Espagne nommé par le gouvernement de Madrid, signa en août 1821 avec Agustín Iturbide, leader des indépendantistes, le traité de Córdoba par lequel il reconnaissait l'indépendance du Mexique, qui devint l'éphémère Premier Empire mexicain.

Au cours de l’été 1821, les évènements se précipitèrent en Amérique. Le délégué mandaté à Santa Fe de Bogotá informait de la défaite des troupes royalistes le lors de la bataille de Carabobo face aux troupes de Simón Bolívar[275]. On apprit plus tard que le le général San Martín avait proclamé à Lima l’indépendance du Pérou et le mois suivant, le , Juan O'Donojú, chef politique supérieur (es) de Nouvelle-Espagne nommé par le gouvernement de Madrid, signa en août 1821 avec Agustín Iturbide, leader des indépendantistes, le traité de Córdoba par lequel il reconnaissait l'indépendance du Mexique, qui devint l'éphémère Premier Empire mexicain[276],[249]. Ainsi, en été 1821, l’Amérique se trouvait en guerre du nord au sud, et les autorités de métropoles avaient perdu une bonne opportunité de mieux gérer cette situation[276],[249]. « La solution politique que les Américains demandaient n'entrait pas dans l’univers mental de la majorité des libéraux », selon Ivana Frasquet[277].

En novembre, comme le souhaitait le roi, le Conseil d'État ne laissa aucune place à la négociation lorsqu’il proposa dans un rapport la rigoureuse « observance de la Constitution sanctionnée pour toute la monarchie espagnole et par conséquent l’intégrité absolue qu'elle-même établit », puis l’envoi de forces navales sur la base d’une vision très optimiste et déformée de la réalité outre-Atlantique, avec l’espoir que les territoires d'Amérique pourraient être récupérés par la Couronne[278]. Cependant, certains conseillers défendirent à titre personnel une solution fédérale, dans la ligne de la proposition des députés américains. Le plus radical fut Gabriel Ciscar, qui se montrait partisan d’organiser ces territoires hispanique en quatre États indépendants, ou plus, liés entre eux et avec l'Espagne péninsulaire par des fédérations adaptées à chaque situation particulière[279].

Le rapport du Conseil d'État fut débattu par les Cortès extraordinaires entre janvier et février 1822. Le député Francisco Fernández Golfín proposa comme alternative la formation d’une confédération hispanoaméricaine dans laquelle chaque État aurait sa propre Constitution et le roi Ferdinand VII serait la clé de voûte de la structure, avec le titre de « Protecteur de la Grande Confédération Hispano-américaine »[280]. Une position radicalement opposée à celle-ci était celle défendue par le comte de Toreno, qui accusa O'Donojú d’être un traître pour avoir signé le traité de Córdoba, dont il exigeait qu’il fût déclarait nul et non avenu (proposition qui fut approuvée), et poussa le gouvernement à défendre les provinces américaines qui restaient encore fidèles à la monarchie. Finalement, on parvint seulement à un accord sur l'envoi de neuf mandataires en Amérique[281].

La majorité des députés américains ne participèrent pas à ces débats car ils avaient abandonné les Cortès au cours des semaines antérieures, ce qui marqua en pratique la fin du projet autonomiste américain aux Cortès du Triennat[271].

Mobilisations des libéraux exaltés et troisième gouvernement libéral

Le général Riego (1820), par Hippolyte Lecomte.

Le , le gouvernement modéré destitua le général Rafael del Riego, héros de la révolution libérale, du poste de capitaine général d’Aragon[282][283] qu’il occupait depuis janvier. Son arrivée à Saragosse avait supposé le renforcement de la mentalité libéraliste dans la région et sa capitale[284]. Riego fut de nouveau injustement accusé de républicanisme — cette fois on l’accusa de « tirer les ficelles »[285] —, lorsque fut découverte à Saragosse une trame républicaine dirigée par le Français Claude-François Cugnet de Montarlot, avec laquelle Riego n'avait rien à voir — on fit circuler la fausse information selon laquelle Riego allait rentrer dans la ville avec des visées sanguinaires, à la tête d’une « armée russe » et « faire sauter le sanctuaire où est vénérée la Vierge du Pilier » —. Le , quatre jours après la détention de Montarlot et la destitution de Riego, fut arrêté un autre conspirateur présumé, le libéral Francisco Villamor — qu’on accusa de vouloir égorger la moitié de Saragosse pour pouvoir proclamer la République —[286]. Lorsque fut connue la nouvelle de la destitution de Riego et de son transfert forcé à Lérida, les libéraux exaltés se mobilisèrent[287][288]. Des manifestations de protestations eurent lieu dans de nombreuses grandes villes, qui à Madrid dégénérèrent en de graves affrontements le — la dénommée bataille de Las Platerías, ainsi nommée en référence à la rue (es) où ils eurent lieu — entre libéraux exaltés et la Milice nationale envoyée par le chef politique supérieur (es) de la province, le général José Martínez de San Martín, surnommé par ses détracteurs « Tintín de Navarra », qui avait interdit la procession civique avec le portrait de Riego à côté d’une matrone, « allégorie de la vérité »[289], au motif que « ces processions [étaient] désuètes dans la nation [et] réprouvées par les lois » et qu'avec elle « pourrait être compromise la tranquillité publique ». De plus, Martínez de San Martín avait ordonné la fermeture de la société patriotique (es) La Fontana de Oro (es), d’où avait surgi l’idée de la procession, et la détention des propriétaires du lieu[290][291][282][292]. Depuis Lérida, Riego fit appel au roi en demande de justice mais n’obtint pas de réponse[293].

Les mobilisations des libéraux exaltés en protestation contre la destitution de Riego marquèrent la début d’un mouvement de désobéissance civile dans de nombreuses villes, en premier lieu Cadix et Séville, mais aussi Cordoue, Cuenca, La Corogne, Barcelone, Valence, Carthagène, Murcie, Grenade et Badajoz. Dans tous les cas, les protestataires refusèrent d’obéir au gouvernement central et on ne reconnut pas les autorités civiles et militaires nommées par lui. Dans certains villes comme Cadix, Séville et Saragosse, l’agitation se prolongea d’octobre 1821 jusqu’en janvier 1822, voire mars-avril dans certains cas[294][282][295]. Le gouvernement eut recours au Parlement, réuni en période extraordinaire, qui nomma une commission d’enquête dont les conclusions furent très négatives pour les mouvements de protestation, bien qu’il réprouvât également le gouvernement. Le député exalté Juan Romero Alpuente prononça une dure diatribe contre l’exécutif[296] :

« La faiblesse ou l’ignorance sont des défauts ou des vices chez les individus ; mais chez les ministres ce sont des crimes, d’autant plus dangereux qu’ils sont moins visibles, plus facile à commettre, et aux conséquences plus désastreuses pour l’État que les véritables crimes d’action. […] L’absence de malice [pourrait] les exempter de peines criminelles, mais le manque de prévision ou de vigueur les expulsera avec ignominie de sièges desinées à de plus grandes âmes. »

Le , quatre secrétaires d’État — l'homme fort du gouvernement Feliú ainsi que Bardají, Salvador et Vallejo — démissionnèrent et furent remplacés par Ramón López Pelegrín (État), Vicente Cano Manuel Ramírez de Arellano, (Gouvernement de la Péninsule), Francisco de Paula Escudero, (Guerre) et José Imaz (Budget)[297][282][298][296]. Néanmoins, « la condamnation des Cortès dégonfla rapidement les mouvements citoyens, et le gouvernement, avant et après le remaniement, put se consacrer à un intense, méthodique et consciencieux travail de répression »[299]. Pour sa part, le roi continuait de conspirer pour mettre fin au régime constitutionnel. Il écrivit au diplomate Antonio Vargas Laguna, son homme de confiance à Rome : « Je te prie de le faire savoir aux souverains étrangers pour qu’ils viennent me sortir de l’esclavage dans lequel je me trouve et me libérer du péril qui me menace »[300].

Le libéral modéré « anillero (es) » Francisco Martínez de la Rosa, leader du troisième gouvernement du Triennat.

Le remaniement du gouvernement du ne fut pas jugé suffisant et le le roi Ferdinand VII nomma le troisième gouvernement libéral, qui serait connu comme celui des anilleros, car tous ses membres appartenaient à la Sociedad del anillo (es), une société secrète qui, avec le nom officiel de Sociedad Constitucional, avait été fondée en 1821 par des aristocrates et hauts fonctionnaires, qu’Alberto Gil Novales qualifie de « profondément réactionnaire », bien qu’en pratique ce gouvernement s’avérât fondamentalement proche du précédent — notamment sa réponse « plutôt timide » aux manifestations absolutistes et sa « permanente accusation es exaltés » —[301],[302]. L’homme fort du nouveau gouvernement (es) était Francisco Martínez de la Rosa, qui occupait le portefeuille d’État. Il était accompagné par José María Moscoso de Altamira (Gouvernement de la Péninsule et îles adjacentes), Felipe Sierra Pambley (Budget), Nicolás María Garelli (Grâce et Justice), Luis Balanzat (Guerre), Jacinto Romarate (Marine) et Manuel de la Bodega, Gouvernement d’Outre-mer[297][303]. Selon Miguel Artola, le nouvel exécutif « répondrait à la stratégie du Roi face à l’orientation exaltée des nouvelles Cortès »[303].

La citadelle de Valence (es), avant sa démolition. Le sa garnison se souleva au nom du roi absolu mais la rébellion fut maîtrisée le jour suivant. Le général Elío, au nom de qui fut réalisé le soulèvement, fut condamné à mort et exécuté au garrot étrangleur le .

Le eut lieu l'ouverture des nouvelles Cortès issues des secondes élections du Triennat (es) — seuls dix députés étaient des provinces d’outre-mer car au cours des mois antérieurs la majorité des territoires américains avaient pris leur indépendance —[304], dont la première session fut présidée par le général Riego, le « héros de Las Cabezas » qui, le , lors du dernier comité préparatoire, avait été élu président du Parlement pour un mois. Son élection était une preuve de la majorité détenue par les exaltés aux Cortès, au contraire des antérieures, dominées par les modérés[305][304]. Dans le discours inaugural, le roi fit une étrangère référence à la possibilité d’une guerre extérieure — les révolutions de Naples et du Piémont avaient déjà été défaites [ar les troupes autrichiennes —. Le discours du roi reçut en réponse une intervention de Rafael del Riego, qui présidait le parlement après avoir été élu député pour les Asturies. Le face à face entre le général, héros du libéralisme, et le roi à vocation absolutiste fut à l’origine d’une grande tension dans l’hémicycle en dépit de sa brieveté : Riego fit référence aux « difficiles circonstances qui nous entourent », aux « machinations réitérées des ennemis de la liberté » et termina en disant que « le pouvoir et la grandeur d’un monarque consiste uniquement dans l’exacte application des lois »[306],[307].

La prédominance des exaltés ne signifie pas que ce Parlement eût un caractère radical : « ces Cortès furent continuistes et non révolutionnaires ». Des décisions symboliques furent prises comme la déclaration de l’Hymne de Riego comme marche militaire officielle, et de bienfaiteurs de la patrie les leaders comuneros comuneros Juan Padilla, Juan Bravo et Francisco Maldonado et les Aragonais Juan de Lanuza, Diego de Heredia et Juan de Luna, la concession de pensions aux veuves des généraux Juan Díaz Porlier et Luis Lacy, exécutés pour avoir mené des pronunciamientos contre l’absolutisme de Ferdinand VII et l’érection de monuments en hommage à la révolution de 1820 à Las Cabezas de San Juan et San Fernando[308].

Les avancées du royalisme

À partir du printemps 1821 le royalisme se développe progressivement — croissance des partidas realistas[309], prolifération des mutineries et soulèvements absolutistes, etc. —[192]. Un rapport sur l’ordre public élaboré par un groupe de députés et lu aux Cortès en mars 1821 dénonçait l'existence d’une « Junte suprême » qui dirigeait la contre-révolution et à laquelle étaient subordonnées les juntes locales, avec de surcroît des ramifications en France. « À Paris il y a une réunion pour fomenter le mécontement parmi nous et soulever les provinces. Ella a son bureau dans la rue Richelieu et on connaît le nom de l’émigré qui la préside — peut-être José Morejón, officier du département de Guerre ou Antonio Calderón, ancien procureur du Conseil des Indes —. À Bayonne il y en a une autre avec le même objet, à la tête de laquelle se trouve Mozo de Rosales [marquis de Mataflorida] », disait le rapport. On assurait également que c’était la Junte qui finançait les partidas realistas et on soulignait de plus que « parmi les agents subalternes occupent une place très importante les individus riches du clergé ». La rapport concluait que l’objectif de la trame organisée par la Junte suprême était « le rétablissement du régime absolu »[310] .

En effet, José Morejón se trouvait à Paris et était l'un des principaux liens entre Ferdinand VII et le gouvernement français, et l’auto-dénommée Junte de Bayonne était menée par le marquis de Mataflorida et rassemblait d’autres illustres royalistes exilés comme le militaire Carlos O'Donnell y Anhetan, l’archevêque de Tarragonem, Jaime Creus et l’évêque de Pampelune, Joaquín Uriz[311]. En juin 1821 s’installerait également à Bayonne le général Francisco de Eguía, l’un des artisans du coup d’État de mai 1814 (es) qui avait restauré la monarchie absolue au retour de Ferdinand VII de sa captitivité en France, qui finit par s’affronter à Mataflorida car ce dernier défendait un absolutisme radical tandis qu’Eguía était partisan de modérer l’absolutisme selon le modèle français de la Charte constitutionnelle de 1814. Les divergences entre les deux hommes devinrent évidentes lorsque Mataflorida publia en France en décembre 1821 le « Manifeste que font ceux qui aiment la monarchie à la nation espagnoles et aux autres d’Europe » (Manifiesto que hacen los amantes de la monarquía a la nación española y las demás de la Europa), dans lequel en plus de défendre un absolutisme sans concession il mettait en avant les coïncidences de la Révolution espagnole avec celles de Naples, du Piémont et du Portugal, car dans chacune d’elles on avait proposé d’« éteindre le Religion », d’« établir la souveraineté populaire, origine de tous les maux », « séduire la troupe », « démoraliser le peuple » et « attiser depuis ses cavernes la torche de la discorde », et causé « des milliers de morts et de ruines ». Il concluait en lançant un appel aux souverains européens : « déployez votre énergie, et donnez aux impies l’humiliation qu’ils veulent nous donner »[312].

Antonio Marañón dit « El Trapense », lithographie de Friedrich August Fricke (1784-1858). Il fut l’un des chefs de partidas realistas les plus célèbres. Selon l’ afrancesado Sebastián Miñano, sa tenue extravagante contribua à exalter le peuple en sa faveur, car il était vu comme un homme inspiré par Dieu, comparable à ceux dont parlent les Écritures[313].

Selon Ramon Arnabat, le progrès du royalisme fut la conséquence de la connexion de la contre-révolution et des vieilles élites réactionnaires, présente dès les débuts du Triennat, avec l’« anti-révolution », « comprise comme l’ensemble des réponses des classes populaires lésées socialement et culturellement par la praxis révolutionnaire et libérale ». Cette confluence « entre la contre-révolution et l’anti-révolution sous l’hégémonie de la première, constitua le bloc que l'on dénomme "royaliste" car ce qui les unit est la lutte contre le système constitutionnel et la défense du pouvoir absolu du roi et de l’hégémonie culturelle de l’Église catholique »[314].

Ce sera précisément l’Église catholique, majoritairement opposée au régime libéral à cause du désamortissement[315], qui jouera un rôle décisif dans la formation et la consolidation de l’alliance entre les élites contre-révolutionnaires et les couches populaires, en la facilitant « anti-révolutionnaires » — le clergé local contrôlait les principaux espaces de sociabilité formelle paysanne : les paroisses, les confréries ou les fêtes populaires —, en développant « un important travail de propagande et de discrédit [du régime constitutionnel] en profitant de sa position sociales et des ressorts de pouvoir moral qu'elle conservait encore » et en canalisant le mécontement social vers le royalisme[316]. En plus de la participation directe de nombreux clercs dans les partidas, parfois même commandées par eux comme dans le cas du célèbre curé Merino, l’Église, en en particulier le clergé régulier, fournit au bloc royaliste un support idéologique en développant un discours de guerre religieuse qui trouva de l’écho surtout dans le monde rural où, à différence des villes, il ne pouvait être compensé par un contre-discours libéral. Ce discours contre-révolutionnaire pénétra également dans certains métiers dans quelques noyaux urbains et parmi les chômeurs et désamparés[317].

Ce fut dans les villes petites et moyennes que confluèrent d’abord les deux courants d’opposition au régime. Des révoltes y eurent lieu, précédées d’une intense campagne anti-révolutionnaire orchestrée généralement par le clergé et qui suivaient un modèle similaire : « À partir d’une certaine décision des autorités locales ou nationales qui allait contre les intérêts moraux ou matériel des classes populaires urbaines, les forces contre-révolutionnaires parvenaient à mobiliser et à capitaliser l’anti-révolution générée »[318]. La traduction du mal-être social en actions politiques contre-révolutionnaires est due à l’existence de « réseaux contre-révolutionnaires, formées de certains nobles, membres de la hiérarchie ecclésiastique, des secteurs de la paysannerie aisée et des chefs de partidas, qui sont ceux qui recrutent, arment et payent les partidas realistas, en canalisant les nécessités et les sentiments. Et ici jouent un rôle fondamental quelques autorités locales qui mettent les municipalités qu’elles contrôlent au service de la contre-révolution »[319].

Au sommet de la pyramide contre-révolutionnaire se trouvait le roi, bien que celle-ci « eût une logique politico-sociale propre »[320]. Après avoir inauguré les Cortès de la seconde législature du Triennat le , avec une majorité d’exaltés, Ferdinand VII s’installa au palais d'Aranjuez où il établit plus discrètement qu’à Madrid, et avec l’aide de personnages de son proche entourage comme Antonio Ugarte[321], des contacts et réunions avec des nobles, diplomates, hauts fonctionnaires et militaires opposés au régime constitutionnel ainsi qu’avec les ambassadeurs des monarchies européennes et le nonce du Saint-Siège. C’est également de là qu’il chargea de missions secrètes hors d’Espagne des hommes de confiance comme Bernardo Mozo de Rosales, comte de Mataflorida, premier signataire du Manifeste des Perses de 1814[322],[323]

Concernant le roi, Pedro Rújula dit « on ne peut affirmer qu’il soit la seule tête de la conspiration. Cela nous amène à comprendre la contre-révolution comme un réseau de complicités qui s'articule à partir de divers foyers […]. Son rôle, par dessus tout, est de doter la contre-révolution de cohérence en apportant l’élément qui donne de l'unité au mouvement ; celle d’un roi paternel, aimé par le peuple — tant qu’il prend les armes en sa défense — et dépouillé de son trône légitime par une minorité conspiratrice et sectaire »[324]. Au contraire, Emilio La Parra López soutient que « le roi dirige personnellement et directement les actions les plus importantes destinées à faciliter le changement de régime » et que le « centre d'opération » de la contre-révolution « avait ses racines au palais d'Orient »Antonio Ugarte devint « le principal conseiller de Ferdinand VII en ce qui concerne les machinations contre-révolutionnaires »[325]. En 1822 fut créé au palais un réseau de groupes clandestins absolutistes dénommés « confidencias » (« confidences »), d’après le nom de l’organisme secret du palais dont elles dépendaient (Confidencia Central General de la Corte, « Confidence centrale générale de la cour », désignée par ceux qui y étaient impliqués comme « Confidencia de Corte », « Junta Secreta », « Junta Suprema » ou « Junta Principal », et dont l’objectif était spécifiquement d'organiser et unifier le mouvement contre-révolutionnaire — suivant le programme élaboré par le roi. À sa tête se trouvait Ugarte et elle était soutenue par des « Juntes de confidence » provinciales et locales, financées depuis le palais, et qui regroupaient « des curés de paroisse, des chanoines, des militaires retraités, des propriétaires terriens et, surtout, des employés publics qui avaient perdu leur emploi en 1820 (corregidores, comptables, avocats, etc.), en définitive, ceux qui se considéraient sinistrés par le système constitutionnel »[326].

Le médecin français André Mazet s’occupant des malades de fièvre jaune dans les rues de Barcelone. L’épidémie fut utilisée comme prétexte par le gouvernement français pour déployer une armée à la frontière des Pyrénées.

L’appui que reçurent les partidas qui agissaient dans le nord de la péninsule de la part de l'armée française déployée à partir du milieu de 1821 à la frontière des Pyrénées jour également un rôle important dans l'avancée du royalisme. Le motif officiellement allégué avait été de contenir l'épidémie de fièvre jaune qui depuis Majorque s'était étendue sur la Catalogne (le gouvernement espagnol établit un cordon sanitaire entre l'Aragon et la Catalogne pour empêcher sa propagation au reste de l'Espagne et durant quelques mois le commerce et les voyages restèrent interrompus), mais sa fonction première était militaire. Au début le gouvernement français n’envisagea pas l’invasion car il avait confiance dans le fait que les royalistes espagnols seraient capable de renverser le régime constitutionnel et parce que sa présence à la frontière constituait un élément de pression sur le gouvernement espagnol qui considérait que cela serait suffisant pour que soient introduits des changements qui conduisent à l'établissement d’une « monarchie modérée », similaire à celle de la monarchie française de la Charte constitutionnelle de 1814. De façon inattendue, un des obstacles auxquels faisaient face les Français pour atteindre cet objectif était le roi Ferdinand VII lui-même, qui se refusait au « sacrifice d’une partie de l’autorité absolue dont il jouissait en 1814 »[327].

Au cours du printemps 1822, les actions des partidas realistas augmentèrent considérablement, surtout en Catalogne, en Navarre, en Galice, en Aragon et au Pays valencien, et plus sporadiquemet aux Asturies, en Vieille-Castille, à León, en Estrémadure, à Murcie en Andalousie et en Nouvelle-Castille[328] et il y eut plusieurs amorces de rébellions absolutistes, la plus importante ayant eu lieu à Valence le . Ce jour-là, les artilleurs de la citadelle (es) se soulevèrent au nom du roi absolu et proclamèrent le général Elío, qui avait mené le pronunciamiento qui avait restauré la monarchie absolue en 1814 et qui se trouvait alors prisonnier, capitaine général de Valence. Les forces constitutionnelles assaillirent la citadelle et l’insurrection fut reprimée en un jour. Elío, qui n’avait probablement pas participé dans la conjuration, fut jugé et condamné à mort par garrot d’étranglement le . Selon Alberto Gil Novales, « Elío paya de sa vie non tant le soulèvement de 1822 que le pronunciamiento de 1814 et la longue répression qu’il avait exercé sur les libéraux »[329][303][330]. Ce même , fête de saint Ferdinand de Castille, une foule se rassembla autour du palais d’Aranjuez pour acclamer le roi aux cris de « Vive le Roi seul ! » et « Vive le roi tout absolu ! » ; il y eut des moments de tension entre des membres de la Garde royale, transformée en un des soutiens de la contre-révolution[331], et de la Milice nationale[332][333]. Les évènements de cette journée sont remarquables car ils ne semblaient pas correspondre à un mouvement spontané et qu’ils furent presque unaniment interprétés comme une action royaliste planifiée — des rumeurs affirmaient qu’il s’agissait d’un plan pour proclamer le roi absolu —[332].

Le mois suivant, croyant que l'infant Charles allait mener le soulèvement, la brigade de carabiniers (es), qui allait être dissoute le en application d’un décret des Cortès du , se souleva à Castro del Río. Avec la Garde royale, elle était l’un des deux corps militaires les plus hostiles au régime, car ils étaient des représentants de l’armée de l’Ancien Régime, fondée sur les ordres[330][334][303]. Au sujet de la Garde royale, Francisco Fernández de Córdoba affirma qu’il avait dans la brigade des carabiniers comme un frère : « ils vivaient en état de permanente conspiration, et s’occupaient […] à ourdir des trames et forger des complots pour renverser dans un bref délai les restaurateurs de la Constitution »[335]. La rébellion des carabiniers fut le prologue du soulèvement de la Garde royale qui constitua la tentative de coup d’État absolutiste le plus important de tout le Triennat[334][303]. Elle coïncida presque avec la prise de La Seu d'Urgell du par les partidas realistas. « À partir de ce moment la contre-révolution compta un noyau rebelle en territoire espagnol. C’était une des conditions qu’avait imposée la France pour prêter son soutien au roi. Lorsque la nouvelle arriva à Aranjuez, les courtisans retrouvèrent confiance et reprirent avec une nouvelle énergie l’activité conspiratrice »[336][330].

Échec du coup d’État absolutiste du 7 juillet 1822

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En juillet 1822 eut lieu une tentative de coup d’État suivant le modèle de la conspiration de Vinuesa de l’année précédente[337]. Il s’agit de la plus sérieuse tentative la plus sérieuse de coup d'État absolutiste, dont l’épicentre fut le palais royal de Madrid mais comptait de nombreuses ramifications hors de la capitale, ce qui démontre l’existence d’un plan relativement important et bien mûri[202], et marqua un point d’inflexion dans le Triennat libéral[303]. La Garde royale se souleva, avec la connivence du monarque lui-même, qui fut sur le point « de partir avec les insurgés pour se mettre à la tête de la contre-revolution ». Le roi l’envisagea avec le gouvernement de Francisco Martínez de la Rosa, dont les membres restèrent la plus grande partie du temps au palais royal comme prisonniers virtuels — des ordres étaient préparées pour leur emprisonnement —, mais celui-ci le lui déconseilla car le risque encouru était trop grand[338]. « Le Gouvernement se laissa enfermer au palais, avec le roi, car en définitive ce qui était en cours était la mise en pratique du vieux plan de Vinuesa », selon Alberto Gil Novales[334].

Vista del Monte y Palacio de El Pardo (1820, musée du Prado), vue de montagne et du palais d’El Pardo, où se dirigèrent dans la nuit du 1er au quatre bataillons soulevés de la Garde royale, marquant le début du coup militaire.

Le soulèvement la Garde royale commença le au retour du roi au palais après la clôture de la période de sessions des Cortès — le monarque était rentré à Madrid trois jours avant depuis Aranjuez où il résidait depuis mars —[334][339]. À proximité du palais royal se croisèrent les cris de « Vive le roi absolu ! » de la Garde royale et ceux de « Vive la Constitution ! » de groupes de civils. Des affrontements se soldèrent par la mort d’un membre de la Milice national et du lieutenant libéral de la Garde royale Mamerto Landáburu assassiné par ses soldats dans la cour du palais (en son honneur fut fondée la société patriotique Landaburiana (es)[340][339]. La municipalité de Madrid prit l’initiative, à laquelle se joignit la députation permanente des Cortès, mobilisant la Milice nationale et exigeant au gouvernement de punir les coupables des assassinats et des désordres[341]. Dans la nuit du 1er au , quatre bataillons de la Garde royale abandonnèrent leurs quartiers pour se rendre à El Pardo — où ils arrachèrent la plaque commémorative à la Constitution —, tandis que deux autres restèrent pour garder le palais royal[342][339]. Face à l'ambigüité du chef politique de Madrid et du gouvernement le conseil municipal assuma en pratique tous les pouvoirs et organisa la résistance de la capitale. Aux miliciens déjà mobilisés s’ajoutèrent la garnison locale, commandée par le général Morillo, des généraux accourus au siège du conseil — Riego, Ballesteros et Palarea (es) — et un groupe d’officiers sans affectation à Madrid qui formèrent le avec des civils le bataillon sacré, armé par la municipalité, et qui fut placé sous le commandement du général Evaristo San Miguel[303][343][342][344].

Le gouvernement, enfermé au palais après avoir été appelé par le roi pour rester à ses côtés, ne déclara pas en rébellion les bataillons de la Garde royale qui s’étaient rendus à El Pardo car il ne le considérait pas comme une menace et se contenta d’ordonner son transfert, mais il ne fut pas obéi. Il ne seconda pas non plus les initiatives du conseil municipal de Madrid et de la députation permanente du Parlement[345]. Ainsi, le gouvernement, dont l’homme fort était Francisco Martínez de la Rosa, adopta une position ambigüe et suspecte, « complice » diront les exaltés (qui surnommaient Martínez de la Rosa Rosita la Pastelera, littéralement « Rosette la Pâtissière »), en tentant de profiter de la crise pour imposer leur plan de Cámaras — introduire une deuxième Chambre au Parlement afin de freiner les poussées radicales du Congrès des députés —[343][342]. Pendant ce temps, Ferdinand VII montrait des signes inéquivoques de complicité avec les soulevés, dans l'attente de leur triomphe. Lorsque le le gouvernement lui présenta sa démission, le roi la refusa[345]. Le , il avait envoyé une lettre à Louis XVIII dans laquelle il lui demandait d’intervenir sans tarder[346]. À ce qu’il semble, au palais les putschistes débattaient entre « le sacrifice d’une partie de l’autorité absolue dont il jouissait en 1814 », comme le recommandait au roi l’ambassadeur français Lagarde (c’est-à-dire, l’adoption du modèle de la Charte constitutionnelle de 1814) et la position maximaliste de l’absolutisme « pur ». Martínez de la Rosa était au fait de ces discussions, dans l’attente du triomphe du parti de la réforme constitutionnelle qui introduise une deuxième Chambre au Parlement, mais c’est finalement l'autre option qui s’imposa après consultation du Conseil d’État. La nouvelle d’une insurrection royaliste en Andalousie influença également le roi dans sa décision de ne pas accepter une « monarchie modérée »[347].

Vue de la Puerta del Sol en 1820.

Dans la nuit du 6 au , les quatre bataillons de El Pardo marchèrent sur Madrid. La Milice nationale, des groupes de civils armés par le conseil municipal et le bataillon sacré lui firent face sur la place de la Constitution. Les gardes royaux se virent contraints à reculer vers la Puerta del Sol, où eurent lieu les combats les plus intenses[348], puis vers le palais royal, où ils se réfugièrent avant de s’enfuir, après une nouvelle tentative[349]. L'action de la Garde royale n’avait reçu aucun soutien populaire[348]. L’implication directe du roi dans l’insurrection et la complicité de ce dernier avec la Garde royale furent clairement confirmés par le marquis de las Amarillas dans ses mémoires[350]. Les gardes royaux furent poursuivis par l’armée et des miliciens. Très peu d’entre eux réussirent à rejoindre les partidas realistas[348]. Pendant ce temps, les ministres restèrent muets et dans l’attente et feignirent l’ignorance, permettant de cacher sur le moment la complicité du roi et laissant les choses dans une situation telle qu’elle encourageait ce dernier à persévérer dans l’organisation d’une autre tentative contre le régime constitutionnel, qui aurait plus de chance d’aboutir[350]. Après l’échec du coup, « le roi agit comme s’il n’avait rien à voir avec ce qui s’était passsé. Il félicita les forces de la liberté […] et expulsa […] les courtisans les plus identifiés avec la constpiration […]. Les ministres qui avaient été pris en otages durant six jours purent finalement rentrer chez eux »[351].

Luis Carlos Legrand, Alegoría del 7 de julio (« Allégorie du  »), lithographie, portant l’inscription « Día 7 de julio honor eterno. De la grande Nación el gran Peligro » (« 7 juillet honneur éternel. De la grande Nation le grand danger », Bibliothèque nationale d'Espagne).

La victoire fut pour les miliciens et les volontaires qui parvinrent à vaincre les gardes royaux[343][342]. « Le devint une journée héroïque pour la mémoire du libéralisme, à travers la construction d’un récit en vertu duquel le peuple de Madrid avait vaincu l'absolutisme et sauvé la Constitution ». Le jour suivant El Universal publiait que « l’anniversaire du sera célébré par nos descendants » comme preuve « qu'il n'est pas de force humaine qui résiste à la volonté d’un grand peuple qui a résolu de mourir ou de vivre libre »[352].

Cette vision a été assumée par plusieurs historiens actuels[352]. « la victoire fut remportée par le peuple, qui eut dans ces jours-là, mais surtout le , une attitude héroïque », selon Alberto Gil Novales[342]. Juan Sisinio Pérez Garzón a souligné le rôle joué par les membres de la Milice nationale, notamment les secteurs populaires, et plus particulièrement les « travailleurs manuels qui vivaient d’un travail incertain et quotidien »[353]. D’autres historiens, comme Álvaro París Martín, considèrent au contraire que « les civils n’eurent aucune participation » dans les combats contre la Garde royale, bien que « le il y ait eu des groupes de citoyens armés qui combattirent avec les trois bataillons de la milice », « aucune des sources disponibles ne fait penser à un soulèvement de caractère populaire »[354]

L’insurrection échoua en dépit des nombreux appuis dont elle disposait (le roi, sa famille, le gouvernement, les hauts responsables de l’Armée et de l'Église, la cour, etc.) à cause du manque d’unité des insurgés en ce qui concerne les objectifs, divisés entre ceux revendiquant une absolutisme pur et ceux défendant l’introduction d’un Sénat pour modérer la première Chambre, ainsi que par l’impréparation et la maladresse dont ils firent preuve[355].

Le procureur Juan de Paredes instruisit le procès, après que les autres procureurs renoncèrent à le faire. Il ne put pas poursuivre le roi, inviolable selon la Constitution, bien qu’il crût pouvoir lui demander une déclaration, mais se proposa de poursuivre les autres participants présumés : membres de la famille royale, ministres, généraux, hauts dignitaires du palais, etc. Certains fuirent à l’étranger en dépit de la grâce que le roi leur concéda. Finalement, le le Tribunal spécial de Guerre et Marine dessaisit Paredes de la cause et la classa. « Il n’y aura pas plus de responsabilités, à l'exception d’une paire de malheureux à qui l’on donna le garrot »[356]. Le roi, avec un haut degré de cynisme, avait félicité le conseil municipal et la députation permanente pour leur action pendant la crise et avait fait reposer toute la responsabilité sur les ministres[353]. Au début de l’année suivante, la députation permanente approuva un rapport sur les évènements dans lequel on couvrait d’éloges le conseil municipal et la milice, et l’on soulignait la faiblesse du gouvernement et sa complicité indirecte, ainsi que celle du Conseil d’État et celle du chef politique de Madrid, mais le roi n’était pas directement accusé à cause de son irresponsabilité et de son inviolabilité[357][note 9].

Comme l'a souligné Juan Francisco Fuentes, « l’échec du coup d’État du marque un avant et un après dans l'histoire du Triennat libéral : après cette journée le pouvoir passa des modérés aux exaltés. Mais le changement de cycle que supposa le coup du ne se limite pas à ce fait. Les ennemis du libéralisme prirent bonne note de l’incapacité de l'absolutisme espagnol à renverser par ses propres moyens le régime constitutionnel […]. Cette analyse de l'échec du coup fit que dorénavant presque toute la pression sur le régime vint de l'extérieur, où le libéralisme espagnol comptait quelques vieux ennemis »[342].

Les exaltés au gouvernement (août 1822-avril 1823)

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Durant le coup d’État tant le conseil municipal de Madrid que la députation permanente des Cortes s’étaient adressés au roi pour qu’il joue son rôle constitutionnel, le menaçant même de nommer une régence. Après l’échec du coup d’État absolutiste, les deux institutions insistèrent de nouveau pour que le monarque se conforme à la Constitution, en plus d’exiger des sanctions contre les coupables, la purge des serviteurs du palais — le grand majordome et le commandant de la garde royale furent destitués — et la nomination d’un nouveau gouvernement. Le , la députation permanente réitéra ces demandes afin de rétablir « la tranquillité et [la] confiance réciproque »[358].

Le libéral exaltado Evaristo San Miguel, secrétaire du département d’État et leader du quatrième gouvernement du Triennat.

Étant donné que les libéraux moderados se trouvèrent totalement discrédité à cause de leur attitude ambigüe — au moins celle des « anilleros » — au cours du coup d’État[359][360], le roi s’était vu obligé à nommer le un cabinet formé de libéraux exaltados dont l’homme fort était le général Evaristo San Miguel, un des héros du , qui occupait le secrétariat du département d’État. Un autre de ses membres était le général Miguel López de Baños qui, comme San Miguel, avait participé au pronunciamiento de Riego[361]. Les cinq autres secrétaires étaient : Francisco Fernández Gaseo, Gobernación de la Península e islas adyacentes; Mariano Egea (Budget), Felipe Benicio Navarro (Grâce et Justice), Dionisio Capaz (Marine) et José Manuel Vadillo (Gouvernement d’Outre-mer)[362],[363]. « Si la relation du roi avec les modérés avait été difficile, la cohabitation qui s’ouvrait à présent avec le libéralisme avancé [les exaltés], allait être encore plus compliquée »[364].

Selon Josep Fontana, il s’agissait d’« une équipe ministérielle d’apparence radicale »[228]. Dans la même ligne Alberto Gil Novales remarque : « De nombreux auteurs ont parlé du radicalisme de ce Gouvernement, sans se rendre compte que San Miguel, bien qu’il feignît le libéralisme, était alors déjà anillero ; que López Baños, un autre homme de 1820, était passé au modérantisme […]. Fernández Gaseo, au poste extrêmenent important qui lui échut fut pour le moins incompétent : il remplit les provinces de chefs politiques inadéquats […]. Seule une politique sincèrement révolutionnaire aurait sauvé le pays »[362].

Pour sa part le roi, après l’échec du coup militaire de juillet, misa de façon décidée sur une intervention extérieure pour mettre fin au régime constitutionnel, se montrant même disposé, comme le lui demandaient les chancelleries européennes, spécialement la France, à ne pas rétablir l’absolutisme. Dans une lettre envoyée à l’ambassadeur français, le comte de Lagarde, il lui assura : « jamais cela n’a été mon intention que les choses reviennent au régime qu’avec erreur on nomme absolu, cependant ce dont je suis sûr est de ne pas avoir abusé de lui ; mais pour effacer cette idée, qu’ont diffusée ceux qui ont leurs vues particulières, je répète que je suis prêt et décidé à ne pas y revenir » ; après avoir assuré de son désir de ne pas restaurer l'absolutisme, il lui demandait une intervention armée, qu’il disait inéluctable, et de le prévenir à l’avance et avec prudence « pour prendre les mesures convenables, non seulement pour sauver au mieux ma Personne et la Famille Royale, mais aussi pour accorder le mode et la forme de l’entrée des troupes »[365].

La guerre civile de 1822-1823 : la « régence d’Urgell »

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À partir du printemps 1822, le soulèvement royaliste organisé depuis l’exil, appuyé en Espagne par un dense réseau contre-revolutionnaire, au sommet duquel se trouvait le roi, s’étendit de sort que « durant l’été et l'automne en Catalogne, au Pays basque et en Navarre on vécut une véritable guerre civile dans laquelle il était impossible de rester à la marge, et dont fit les frais la population des deux camps : réprésailles, réquisitions, contributions de guerre, mises à sac, , etc. »[366] Les royalistes parvinrent à former une armée qui compta entre 25 000 et 30 000 hommes[367].

Parmi les facteurs explicatifs du succès des soulèvements royalistes à partir du printemps 1822, les historiens ont souligné le fait que les contre-révolutionnaires surent mettre à profit le mécontentement des paysans suscité par la politique économique et fiscale des libéraux[220],[253] : « La paysannerie tendait à identifier le libéralisme avec une fiscalité très agressive et un régime économique préjudiciable à leurs intérêts, car il remplaçait le paiement en nature d’impôts et de droits seigneuriaux par un paiement en espèce, toujours plus pesant dans des économies peu intégrées dans le marché et peu monétarisées », à quoi « s’ajoute la crise que vivait l’agriculture espagnole — et européenne — en raison de la chute générale des prix — une baisse de 50 % en à peine dix ans — »[368]. Autrement dit « un monde social complexe qui nourrit la résistance au changement », chapeauté par les élites de la société d'Ancien Régime ; « Pour tous, le libéralisme était l’altération, dans certains cas plus tangibles, pour leurs économies et leur privilèges, et en général pour leur monde mental et les règles de vie depuis des siècles »[315].

Gravure de La Seu d'Urgell entourée de ses murailles en 1847. La prise de la ville le par les royalistes et l’installation en ces lieux de la régence absolutiste deux mois plus tard furent des faits décisifs dans la guerre civile de 1822-1823.

Le fait qui impulsa de façon définitive la guerre civile fut la prise de la forteresse de La Seu d'Urgell le par les chefs des partidas realistas Romagosa et El Trapense. Le lendemain y fut établie la Junte supérieure provisoire de Catalogne, qui mit ses efforts dans la création d’une armée régulière et l'établissement d’une administration dans les zones de l'intérieur de la Catalogne occupées par les royalistes, suivie un mois et demi plus tard, le , par la dénommée « régence d'Urgell », « établie à la demande des peuples » et « désireuse de libérer la Nation et son Roi du cruel état dans lequel ils se trouvent »[367],[369]. L’idée d’établir une régence avait été défendue par le marquis de Mataflorida — de fait il avait reçu au mois de juin des pouvoirs du roi pour ce faire —, s’agissant de plus d’une des exigences du gouvernement français pour prêter soutien aux royalistes[369]. La régence fut formée par Mataflorida lui-même, le baron d’Eroles et Jaume Creus i Martí, archevêque de Tarragone, conseillés par un petit gouvernement formé d’Antonio Gispert (État), Fernando de Ortafà (Guerre) et Domingo María Barrafón, responsable des autres secrétariats d’État[228],[370],[371],[372],[367]. Elle édita le périodique Diario de Urgel[367].

La justification de la régence résidait dans l’idée défendue par les royalistes selon laquelle le roi était « captif », « séquestré » par les libéraux, de la même manière qu’il l'avait été par Napoléon durant la guerre d’indépendance[373]. De fait, la première proclamation de la régence commençait en affirmant qu'elle s'était constituée « pour gouverner [l'Espagne] durant la captivité de S.M.T.C. le seigneur don Ferdinand VII ». Un autre des arguments utilisés était la présumé faible soutien populaire qu’avait le régime constitutionnel. Ainsi, cela apparaissait-il dans le « Manifeste que les aimants de la Monarchie font à la Nation Espagnole, aux autres puissances et aux souverains » du marquis de Mataflorida qui circula dans toute l’Europe : « le peuple immobile et effrayé ne prit pas part dans une telle trahison [la révolution] qu’il réprouva toujours avec une indignation silencieuse réprimée par la force »[374]. Le Manifeste terminait par un appel aux puissances européennes pour qu’elles intervienne en Espagne et restaurent l'absolutisme[375].

À partir de la constitution de la régence d’Urgell, qui « dota la contre-révolution d’une direction centralisée et d’une certaine cohérence idéologique », les royalistes consolidèrent leur domination sur de vastes zones du nord-est et du nord de l'Espagne en établissant leurs propres institutions pour administrer le territoire qu’ils contrôlaient : Juntes de Catalogne, de Navarre, d’Aragon, de Sigüenza et du Pays basque — cette dernière présidée par le général Vicente Genaro de Quesada et disposant d’un représentant pour chacune des trois provinces —[376]. D’autre part, la formation de la régence fut reçue avec enthousiasme par les cours européennes, bien qu’avec plus de réserve en France, car la régence avait proclamé la restauration de l’absolutisme comme son objectif, tandis que les Français continuaient de miser sur un régime de charte similaire au sien[377]. Un représentant de la régence, le comte d’Espagne, se rendit au congrès de Vérone, alors que le gouvernement espagnol ne fut pas invité[378]. Pour sa part, le roi Ferdinand VII maintenait en secret des échanges épistolaires avec les cours de différents monarques européens — dont le tsar de Russie —, qui approuvaient la formation de la régence, afin de solliciter leur assistance[201].

Portrait du général Francisco Espoz y Mina, qui commanda l’armée constitutionnelle qui défit les royalistes, les obligeant à traverser la frontière française (accompagnés de la fuite de la régence d’Urgell).

Pour faire face à la situation critique vécue dans la moitié nord de l’Espagne furent convoquées des Cortès extraordinaires qui furent inaugurées le . Elles adoptèrent une série de mesures pour freiner l’offensive royaliste[370]. Pour sa part, le gouvernement mené par Evaristo San Miguel décréta en octobre 1822 un recrutement militaire extraordinaire afin d’augmenter les effectifs de 30 000 soldats et obtint l’autorisation du Parlement pour remplacer de façon discrétionnaire les chefs militaires qu’il jugeait peu favorables à la cause constitutionnelle[379]. On accord également l’envoi de renforts en Catalogne, en Navarre et au Pays basque[380].

Les mesures adoptées par le Parlement et le gouvernement — s’ajoutant à la déclaration de l’état de guerre en Catalogne le  —[381] donnèrent leurs fruits et au cours de l’automne et de l’hiver 1822-1823, après une dure campagne qui dura six mois, les armées constitutionnelles, dont l’un des généraux était l’ancien guérillero et vétéran de la guerre d’indépendance Espoz y Mina, retournèrent la situation et obligèrent les royalistes de Catalogne, de Navarre et du Pays basque — environ 12 000 hommes — à fuir en France, et ceux de Galice, de Vieille-Castille, de León et d’Estrémadure — environ 2 000 hommes — à fuir au Portugal. La régence elle-même dut abandonner l’Urgell, assiégé par l’armée d’Espoz y Mina après la prise de Cervera le mois antérieur, et se réfugier en France[380][370][371].

Après les multiples échecs des royalistes — tentative de coup d’État de juin 1822, soulèvement armé des partidas realistas et tentative politique de la régence d'Urgell —, il devint clair que la seule option restante pour ceux-ci était une intervention militaire étrangère[382],[383], comme l’affirma positivement le comte de Villèle, chef du gouvernement français qui avait déjà apporté un soutien considérable aux partidas, faisant ainsi un premier pas vers l’approbation de l’implication de l’armée française à travers la dite « expédition d’Espagne »[384].

La crise de février 1823

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En même temps que la campagne d’Espoz y Mina se déroulait avec succès en Catalogne et qu’Evaristo San Miguel rejetait « avec dignité et suffisance » les notes menaçantes envoyées par la France et par les trois puissances absolutistes de la Sainte-Alliance, ce qui le rendit plus populaire, et que l’on lançait des appels patriotiques à la résistance comme en 1808[383], le gouvernement adoptait des mesures quelque peu déconcertantes. En juillet il dissolvait le Bataillon sacré qui avait eu un rôle remarquable dans la journée du , sous le prétexte qu’il n’était plus nécessaire, et le mois suivant il commençait à faire de même avec la Milice nationale, en alléguant les mêmes motifs. De plus, le , le chef politique supérieur (es) de Madrid, Juan Paralea, fermait la Sociedad Landaburiana (es), sous le prétexte que le bâtiment qui l’hébergeait menaçait ruine, et encourageait l’union d’un secteurs des membres de la comunería et des franc-maçons, ce qui allait provoquer la division de la première en deux moitiés irréconciliables, l’une modérée et l’autre radicale, cette dernière ayant des liens avec la charbonnerie italienne, division qui « contribua à laisser le pays sans défense devant les troupes françaises »[385].

C’est dans ce contexte que se produisit l’intervention de Ferdinand VII, qui laissa le pays plongé dans une grave crise institutionnelle[386]. Le , les Cortès, après un dur débat, avaient accordé le transfert des institutions et de la cour à un endroit plus protégé — Madrid était « une ville ouverte », mal disposée à sa propre défense, rappela un leader libéral — face à la menace d’invasion qu’avait lancée deux semaines auparavant le monarque français Louis XVIII. Trois jours plus tard, le , le gouvernement présentait l'accord au roi[387]. Sa réponse fut de destituer le gouverenment dès le lendemain, mais une mutinerie qui éclata ce même jour à Madrid — on entendit des cris de « Mort au roi ! Mort au tyran ! » et un groupe de mutins parvint même à pénétrer dans le palais royal —[388][389] l’obligea à rétablir les secrétaires d’État destitués. Un jour plus tard, le , c’étaient les exaltés « comuneros », opposés au gouvernement rétabli, qui manifestaient à Madrid et demandaient la formation d'une régence[390]. Cette pression eut son effet et le , la veille de l’ouverture des Cortès — les Cortès extraordinaires avaient fermé leurs sessions neuf jours auparavant —[391], Ferdinand VII nomma un nouveau gouvernement majoritairement formé de membres de la comunería (Álvaro Flórez Estrada, Antonio Díaz del Moral, Ramón Romay, José María Torrijos, Joaquín Zorraquín, Lorenzo Calvo de Rozas), qui étaient disposés à négocier avec les français pour éviter l’invasion, en incluant aussi le projet d’une deuxième Chambre parlementaire[392] — un « sénat » afin de tempérer le penchant révolutionnaire du Congrès —. La réponse des membres du gouvernement antérieur, bien qu’ils aient accepté de présenter leur démission au roi en échange de l’acceptation par ce dernier de son transfert à Séville, fut de recourir à une obstruction formelle afin d’éviter que les nouveaux secrétaires d’État ne prennent possession de leurs charges, en refusant de lire les rapports de gestion obligatoire devant le Parlement[393][394][386][395].

Selon Alberto Gil Novales, exaltés, comuneros et maçons s’étaient mis d’accord sur un changement de gouvernement mais les derniers n’avaient pas respecté le pacte; La mutinerie du avait été orchestrée en secret par Antonio Alcalá Galiano et par le directeur de la Poste, Manuel González Campos, et « avait pour finalité de vaincre totalement les comuneros et de contraindre le roi au voyage prévu à Séville »[396]. Josep Fontana donne une autre version : la crise fut le résultat de l’échec de la tentative de destituer le gouvernement exalté « maçon » de San Miguel, opposé à toute négociation avec les Français et de nommer à sa place un gouvernement « comunero » mené par Álvaro Flórez Estrada et Lorenzo Calvo de Rozas, qui étaient pour leur part disposés à introduire les changements politiques exigés par le gouvernement français et ainsi empêcher l’invasion — un plan qui comptait avec la complicité du roi —. Les négociations avec le comte de Villèle avaient été réalisées par la maison Rothschild de Paris, qui le communiquait au commerçant et banquier valencien Vicente Bertran de Lis — qui avait demandé la médiation des Rothschild — ce qui suit : « si des modifications satisfaisantes sont faites dans les personnes et dans la forme du gouvernement espagnol, comme conséquence de la crise dans laquelle il se trouve, l’armée française attendra les résultats jusqu’au premier avril, et l’on peut agit avec l’assurance que dans ce cas elle ne traversera pas la frontière avant cette date ». Le Bertran de Lis leur répondait que le plan se poursuivait car « les ministres qui doivent remplacer le ministère actuel vont également à Séville », bien qu’il soit déjà trop tard. Les « maçons » avaient réussi à le fragiliser avec l’approbation par les Cortès du transfert à Séville, empêchant ainsi que les secrétaires d’État sortant aient l’occasion de lire leurs rapports de gestion. « Cela signifiait que, tant que durerait le voyage, le vieux gouvernement resterait en fonction et, comme l’ouverture des Cortès avait été fixée à la fin avril, la manœuvre impliquait que le nouveau gouvernement ne s’installerait pas avant cette date et ne pourrait négocier à temps pour éviter l’invasion »[397],[395].

Lorsque le les Cortès rouvrirent leurs sessions à Séville — l’invasion française avait déjà commencé depuis deux semaines —, les membres du gouvernement San Miguel rendirent enfin leurs postes en lisant leurs mémoires, ce qui autorisa la prise de possession d’un nouvel exécutif, dont la figure principale était Álvaro Flórez Estrada, le . Toutefois, quarante députés modérés s’opposèrent, ouvrant une nouvelle crise politique qui ne fut résolue qu’en mai avec la nomination imposée au roi d’un nouveau gouvernement — le troisième — dont l'homme fort était José María Calatrava. C’est sous ce gouvernement qu’eut lieu à la mi-juin le transfert définitif des Cortès et de la famille royale à Cadix[398][185].

Fin de la révolution (avril-octobre 1823) : L’invasion des « cent-mille fils de Saint Louis »

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La décision de l’invasion : le faux traité secret de Vérone

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Caricature britannique intitulée Los tres caballeros de Verona en una legítima cruzada o la llamada de la sangre en el palacio del rey (« Les trois chevaliers de Vérone dans une légitime croisade ou l’appel du sang dans le palais du roi »). Elle montre le roi de France Louis XVIII assis dans un traîneau en armure et avec des béquilles, avec le tsar Alexandre Ier et l’empereur d’Autriche François II sur le tréteau et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III sur la plateforme arrière. Tous se dirigent à Vérone pendant que John Bull, qui représente le peuple britannique, leur dit que ce n’est pas le bon chemin. Le traîneau est tiré par les « esclaves de la Sainte-Alliance ».

Le roi Ferdinand VII lui-même, qui avait maintenu une correspondance secrète avec les monarques européens depuis le premier moment du Triennat libéral, fut à l'origine de l’invasion française de 1823[399]. En juin 1821 il insista auprès du tsar sur le fait que la seule manière de le sauver, et avec lui la monarchie espagnole, résidait dans « la puissance assistance de force armée étrangère »[400]. Le , Ferdinand VII lui écrivit à nouveau une lettre dans laquelle il demandait son soutien total à l’intervention en Espagne — d’une armée étrangère, non en tant que « conquérant, mais en tant qu’auxiliaire » —, un sujet dont il allait être question lors du prochain congrès de Vérone qui réunirait les monarchies de la Quadruple Alliance (empire d'Autriche, Empire russe, royaume de Prusse, qui formaient la Sainte-Alliance, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, ainsi que le royaume de France)[401].

Bien que le thème principal dût être la question d’Orient (le soulèvement indépendantiste grec contre l’Empire ottoman)[402], le congrès de Vérone célébré entre le et le s’occupa essentiellement des dangers représentés par la révolution espagnole en Europe[403]. Les plus fermes partisans de l’intervention militaire en Espagne pour mettre fin au régime constitutionnel furent le tsar de Russie Alexandre Ier et le roi de France Louis XVIII, ce dernier cherchant à redonner du prestige international au régime de la Restauration. Pour sa part, le chancelier autrichien Metternich proposa l’envoi de « Notes formelles » au gouvernement de Madrid afin qu'il modère ses positions et, en cas d’absence d’une réponse satisfaisante, de rompre les relations diplomatiques avec l’État espagnol[404],[405].

Les notes diplomatiques furent reçues à Madrid entre fin 1821 et début 1822 — la note française concluait avec la menace d’une invasion dans le cas où « la noble nation espagnole ne trouve pas par elle-même remède à ses maux, maux dont la nature inquiète tant les gouvernements d’Europe que cela les force à prendre des précautions toujours douloureuses. » —[406] et furent catégoriquement rejetées par l’homme fort du gouvernement espagnol, Evaristo San Miguel, secrétaire du Bureau d’État, qui reçut l’appui des Cortès, de l’opinion publique et même du roi. San Miguel répondit : « La nation espagnole ne reconnaîtra jamais dans aucune puissance le droit d’intervenir ni de se mêler de ses affaires »[407]. En conséquence, les ambassadeurs des « puissances du nord » (Autriche, Prusse et Russie) abandonnèrent Madrid ; un peu plus tard, le , l’ambassadeur français fit de même. Seul restait alors à Madrid l’ambassadeur britannique, dont le gouvernement n’avait envoyé aucune note et s'était retiré du congrès de Vérone[408],[409]. L’Espagne se trouva ainsi isolée sur le plan international, dans l'attente de connaître la forme que prendrait la menace et l’incertitude quant à la posture du Royaume-Uni[409].

Louis XVIII essayant les bottes de Napoléon et préparant la campagne d'Espagne, caricature anglaise de George Cruikshank publiée le 17 février.

Au congrès de Vérone, l’Autriche, la Prusse et la Russie s’engagèrent à appuyer la France si celle-ci décidait d’intervenir en Espagne uniquement dans trois éventualités[410],[411] :

  • si l’Espagne attaquait directement la France ou si elle tentait de le faire à travers de la propagande révolutionnaire ;
  • si le roi d’Espagne était déchu de son trône, ou si sa vie ou celle de sa famille était mise en danger ;
  • si un changement susceptible d'affecter le droit de succession dans la famille royale espagnole avait lieu.

Bien qu’aucune de ces conditions ne se réalisât, la France envahit l'Espagne en avril 1823[410].

En juin 1823, deux mois après le début de l’invasion française, la revue londonienne Morning Chronicle publia un supposé « traité secret de Vérone » signé le par les représentants de l'Autriche, la Prusse, la Russie et la France dans lequel on chargeait cette dernière d’envahir l’Espagne. L’historiographie donna pour authentique le traité secret, y compris après que l’archiviste américain T. R. Schellenberg démontra en 1935 qu’il s’agissait d’une falsification de britannique visant à créer un lien entre l’expédition française et la Sainte Alliance[412],[410]. Il fut ainsi démontré que l’expédition d'Espagne ne fut pas décidée au congrès de Vérone ni au nom de la Sainte Alliance. L’invasion de l’Espagne fut décidée par le rois français Louis XVIII et par son gouvernement — surtout après que, le , François-René de Chateaubriand prit en charge la direction de la politique extérieure avec l’objectif de rendre à la France son statut de grande puissance militaire —[413], avec le soutien plus ou moins explicite ou la neutralité des autres puissances de la Quintuple Alliance (la Quadruple Alliance plus la France)[414].

Le roi de France Louis XVIII décida, avec son gouvernement, d’envahir l’Espagne afin d’abattre le régime constitutionnel. Depuis la découverte en 1935 du fait que le « traité secret de Vérone » était une falsification, il fut démontré que l’expédition d’Espagne ne fut pas décidée au congrès de Vérone ni menée au nom de la Sainte Alliance.

Ce qui décida également la monarchie de Louis XVIII à intervenir en Espagne fut la crainte d’une contagion révolutionnaire sur son propre territoire, surtout après que la défaite des partidas realistas espagnoles[415][416]. La France et les membres de la Quadruple alliance arrivèrent à la conclusion que, après les multiples échecs des royalistes — tentative de coup d’État de juin 1822, soulèvement armé des partidas realistas et tentative politique de la régence d'Urgell —, la seule option restante pour ceux-ci était une intervention militaire étrangère[382],[383], comme l’affirma positivement le comte de Villèle, chef du gouvernement français qui avait déjà apporté un soutien considérable aux partidas, faisant ainsi un premier pas vers l’approbation de l’implication de l’armée française à travers la dite « expédition d’Espagne »[384].

Dans son discours d’ouverture devant le Parlement le , Louis XVIII informa de l’échec des approches diplomatiques menées avec l’Espagne, qu’il considérait comme achevées — deux jours auparavant, l’ambassadeur français avait abandonné Madrid ; celui d’Espagne à Paris fit de même après avoir pris connaissance du discours —[409],[417], puis annonça solennellement sa décision de l’envahir. C’est dans cette déclaration que se trouve l’origine du nom sous lequel fut connu le corps expéditionnaire français en Espagne aux ordres du duc d’Angoulême, les « cent-mille Fils de Saint Louis »[418],[419],[415],[387],[420],[409],[421].

Après l’échec de ses tentatives de médiation, le secrétaire du Foreign Office George Canning communiqua le au gouvernement de Paris que le Royaume-Uni ne s’opposerait pas à l’invasion à trois conditions, qu’il lui fit parvenir le 31 : que l'armée française abandonne l’Espagne dès sa mission accomplie, qu’elle n’intervienne pas au Portugal et qu’elle n’aiderait pas l’Espagne à récupérer ses colonies. Une semaine plus tard, la France lançait son invasion[422][423][424][425]. Au moment de justifier leur intervention, ni le roi Louis XVIII ni son gouvernement ne mentionnèrent le péril de la révolution espagnole ni le droit d’intervention établi par la Saint Alliance et précisé au cours du congrès de Troppau ; les Français n’invoquèrent pas non plus leur propre intérêt et se limitèrent à proclamer la solidarité de la maison de Bourbon[426]. Il s’agissait d’« rétablir un Bourbon sur le trône par les armes d’un Bourbon », comme l’écrivit François-René de Chateaubriand dans ses Mémoires d'outre-tombe[427].

L’invasion et la faible résistance espagnole

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Plaine de Roncevaux (1823), lithographie de Victor Adam représentant le passage des cent mille fils de Saint Louis par la commune de Roncevaux (Navarre).

Le , la dite « Armée d’Espagne » commença à traverser la frontière espagnole sans déclaration de guerre préalable[428],[429]. Rassemblant au départ entre 80 000 et 90 000 hommes, leur nombre s’éleva jusqu’à environ 120 000 à la fin de la campagne, dont une partie avaient déjà participé à l’invasion de 1808 par Napoléon[419],[429]. Ils reçurent l'appui des troupes royalistes espagnols qui s’étaient organisées en France avant l'invasion — entre 12 500 et 35 000 hommes selon les sources —, formant l’auto-dénominée « Armée de la Foi », qui fut financé avec 23 millions de francs (presque un tiers des fonds consacrés à l’armée française)[430],[431],[432]. Au fur et à mesure de leur avancée, les troupes royalistes furent rejointes par les partidas realistas qui avaient survécu à l’offensive de l'armée constitutionnelle. L’historien Juan Francisco Fuentes souligne la situation paradoxale des membres des partidas, qui quinze auparavant avaient lutté contre les Français dans la guerre d’indépendance[433].

Les envahisseurs prirent soin de ne pas répéter les mêmes erreurs que lors de l’invasion napoléonienne de 1808 — par exemple, ils évitèrent d’avoir recours à des réquisitions pour approvisionner les troupes, mais payèrent en argent comptant les fournitures sur le terrain — et se présentèrent comme les sauveurs qui venaient rétablir la légitimité et l’ordre, comme l’illustrait le soutien qu’ils recevaient des royalistes espagnols[383][434]. La proclamation faite aux Espagnols avant de commencer l’invasion disait que leur intention était d’en finir avec cette « faction révolutionnaire qui a détruit dans votre pays l’autorité royale, qui tient votre roi captif, qui demande sa destitution, qui menace sa vie et celle de sa famille »[435]. De plus, les Français étaient accompagnés par l’auto-proclamée « Junte provisoire de gouvernement d’Espagne et des Indes » qui fut établie à Oyarzun le , était présidée par le général absolutiste Francisco de Eguía, un homme de confiance de Ferdinand VII[435][436][437][438] et qui avait pour fonction de légitimer l’invasion et d’éviter qu’elle soit perçue comme une oppression[439][428]. Ce fut notamment l’intention du comte de Martignac : présenter « comme une guerre civile espagnol ce qui n’était pas autre chose qu’une invasion française », selon Josep Fontana[429].

Louis de France, duc d’Angoulême, commandant en chef de l'Armée d'Espagne.

Pour contrer les envahisseurs français, dont le nombre était compris entre 90 000 et 110 000, appuyés par environ 35 000 royalistes espagnols[440], l’armée constitutionnelle espagnole ne disposait que d’approximativement 50 000 hommes, ce qui la plaçait dans une position de manifeste infériorité[419][433][429]. Le gouvernement dirigé par Evaristo San Miguel organisa ses forces en quatre armées d’opérations, bien que le seul qui fît réellement face aux envahisseurs fut le second, le plus nombreux — 20 000 hommes — et le mieux préparé, commandé par le général Francisco Espoz y Mina, ancien guérillero et héros de la guerre d’indépendance, déployé en Catalogne. Les trois autres généraux — le comte de La Bisbal, au commandement de l’armée de Réserve de Nouvelle-Castille ; Pablo Morillo à la tête des forces de Galice et des Asturies ; Francisco Ballesteros, dirigeant les troupes de Navarre, d’Aragon et de la Méditerranée — n’opposèrent pas de franche résistance[441],[442],[443],[444]. L’armée française put ainsi avancer vers le sud sans grande difficulté et entra à Madrid le [383] — la rapidité de la campagne peut néanmoins être trompeuse car les Français avaient avancé sans occuper la plus grande partie des places fortes —[440],[445],[446].

À l’exception de quelques villes qui démontrèrent une grande capacité de résistance — comme La Corogne qui résista jusqu'à fin août, Pampelune et Saint-Sébastien, qui ne capitulèrent qu'en septembre, ou Barcelone, Tarragone, Carthagène et Alicante qui poursuivirent la lutte jusqu’en novembre, plus d’un mois après la défaite du régime constitutionnel[447],[448],[449] —, il n’y eut pas de résistance populaire à l'invasion et pas de formation de guérillas anti-françaises comme durant la guerre d’indépendance ; c’est même plutôt le contraire qui survint : les partidas realistas se joignirent aux troupes de l'envahisseur[433]. La raison de la passivité d’une grande partie de la population a été expliquée par la politique agraire et fiscale du régime libéral qui, non seulement ne satisfit pas les aspirations de la paysannerie, qui constituait la plus grande partie du pays, mais leur porta préjudice, ce que la propagande royaliste mit à profit[450][451][452]. La situation était bien différente[453] et « deux des idées fortes qui avaient soutenu la résistance en 1808 avaient disparu en 1823 » : le roi n’était pas prisonnier des Français — au contraire, nombreux étaient ceux qui le présentaient comme un otage des libéraux — et la religion catholique ne courait pas de danger — les troupes françaises apparaissaient alliées des défenseurs du trône et de la foi catholique —[454],[455].

Vue du palais de Villahermosa dans le tome X du Diccionario geográfico-estadístico-histórico de España y sus posesiones de Ultramar de Pascual Madoz, publié en 1850. Ce dans ce palais que logea le duc d’Angoulême durant son bref séjour à Madrid.

Lorsque le duc d'Angoulême entra à Madrid le , salué par les carillons de toutes les églises de la capitale