Elissa Rhaïs — Wikipédia
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Elissa Rhaïs, nom de plume utilisé par Rosine Boumendil née le à Blida en Algérie et décédée dans la même ville le , est une écrivaine, auteur de romans et de nouvelles orientalistes algérienne[1] se déroulant en Algérie. Elle se fait à l'époque passer pour une musulmane ayant fui un harem[2]. Elle avoue par la suite être une Juive d'Algérie, et certains critiques l'accusent même de ne pas être l'auteur des romans qu'elle signe.
Biographie
[modifier | modifier le code]L'Algérie
[modifier | modifier le code]Rosine Boumendil naît en 1876 à Blida dans une famille juive aux revenus modestes[3]. Son père, Jacob, est boulanger et sa mère, Mazaltov (née Seror), est mère au foyer. Elle va à l'école communale jusqu'à l'âge de douze ans, puis est placée comme domestique dans une famille juive. À dix-huit ans, elle épouse Moïse Amar, rabbin de la synagogue de la rue Sabine, dans la Basse-Casbah d'Alger[3]. Installé dans cette ville, le couple a trois enfants, une fille qui meurt à onze ans, puis un fils Jacob-Raymond (1902-1987) et une autre fille Mireille (1908-1930). Jacob-Raymond sera également écrivain ainsi que journaliste sous le nom de Roland Rhaïs, et l'un des rares Juifs d'Algérie à obtenir la nationalité algérienne après l'indépendance[4].
À trente-huit ans, divorcée, elle se remarie avec un commerçant, Mardochée Chemouil, qui lui permet de s'installer dans une villa à Alger, où elle ouvre un salon littéraire[3]. Très rapidement, elle devient renommée comme conteuse d'histoires. Elle raconte que ses histoires lui ont été transmises par sa mère et sa grand-mère, et font donc partie du patrimoine folklorique de sa région natale. Elle est encouragée à publier par quelques critiques littéraires fréquentant son salon[3].
Paris
[modifier | modifier le code]En 1919, Rosine Boumendil décide de s'installer en France et obtient une séparation de biens d'avec son mari, car celui-ci désapprouve ses ambitions littéraires[3]. Elle débarque le à Marseille avec son fils Jacob-Raymond, sa fille Mireille et son fils adoptif, Raoul-Robert Tabet, neveu de son second mari Mardochée Chemouil. Ils vont s'installer à Paris, où après avoir publié trois nouvelles sous le titre Le Café chantant dans la Revue des deux Mondes, elle signe un contrat de cinq ans avec la maison d'édition Plon. Elle publie son premier roman Saâda la Marocaine sous le pseudonyme d'Elissa Rhaïs. Son éditeur lui invente une histoire romanesque et la fait passer pour une musulmane qui a appris le français en Algérie à l'école publique. Il la surnomme « L'Orientale ». La mode est alors à l'orientalisme, et les histoires écrites par une femme orientale sont de nature à exciter la curiosité de nombreux lecteurs. Le fait qu'elle écrive en français est la preuve de l'apport de la colonisation aux peuples indigènes. Or, ce que la quasi-totalité des lecteurs ignorent, c'est que depuis le décret Crémieux de 1870 qui a donné la nationalité française aux Juifs d'Algérie, ceux-ci ont librement accès à l'école publique et à l'éducation française, ce qui n'est absolument pas le cas pour le reste des natifs.
De 1919 à 1930, Rhaïs publie neuf romans et trois recueils de courtes nouvelles. Ce sont des romans à l'eau de rose, se déroulant dans une Afrique du Nord exotique. Ses récits sentimentaux se déroulent, à quelques exceptions près, dans différents milieux musulmans d'avant la Première Guerre mondiale avec de nombreuses héroïnes féminines. Une seule exception, Les Juifs ou la fille d'Éléazar, considéré comme son meilleur roman et dont les personnages sont des Juifs de la classe moyenne, se débattant entre modernité et tradition, sur fond d'intrigues amoureuses.
À Paris, elle rouvre un salon, fréquenté par des artistes, dont Colette, Paul Morand et l'actrice Sarah Bernhardt[3].
Séjours à Blida
[modifier | modifier le code]À partir de 1922, Rhaïs effectue de nombreux séjours en Algérie, à Blida. Après la mort de sa fille en 1930, de la fièvre typhoïde, lors d'un séjour qu'ils effectuent ensemble au Maroc, Rhaïs se retire alors de la vie publique et ne publie plus de livres. Assez rapidement, elle tombe dans l'oubli, et il faut plus de cinquante ans pour que l'on reparle d'elle et que ses livres soient réédités[3].
Elle meurt brutalement à Blida, où elle est revenue habiter, en 1940[3].
Son œuvre
[modifier | modifier le code]Les romans de Rhaïs vont au-delà des stéréotypes dominant à cette période coloniale, qui voit la femme arabo-berbère sous les traits soit d'une odalisque soit d'une fatma. Elle décrit la vie courante, les coutumes, les habits, les fêtes religieuses et les relations familiales.
L'écrivain Jules Roy, lui aussi né en Algérie, écrit à son sujet en 1982, dans le journal Le Monde, sous le titre « Le mythe d'une Algérie heureuse », avant que la supercherie sur ses origines ne soit davantage éclaircie[5] : « Juive ? Arabe ? Berbère ? La George Sand de l’Islam, un Loti enfin authentique, une Eberhardt qui aurait percé… Elle a chanté tout ce que nous avons aimé et que nous avons quitté pour un ailleurs plus âpre et plus vaste. Elle seule était capable de jouer de l’illusion coloniale comme elle en a joué. Elle fut quelqu’un de merveilleusement suranné : elle incarna le mythe d’une Algérie heureuse et irremplaçable dans nos cœurs. ».
- Saâda la Marocaine, Paris, Bouchène (1re éd. : Plon-Nourrit), coll. « Escales », (1re éd. 1919) (ISBN 2912946611 et 978-2912946614, ASIN B001BTLP4E).
- Le Café chantant : kerkeb. noblesse arabe, Paris, Bouchène (1re éd. : Plon-Nourrit), (1re éd. 1920) (ISBN 2912946670 et 978-2912946676, ASIN B0000DNACV).
- Les Juifs ou la fille d’Eléazar, Paris, L'Archipel (1re éd. : Plon-Nourrit), coll. « Archipel.Archip », (1re éd. 1921) (ISBN 284187057X et 978-2841870578, ASIN B0000DP862).
- La Fille des pachas, Paris, Bouchène (1re éd. : Plon), coll. « Escales », (1re éd. 1922) (ISBN 2912946638 et 978-2912946638, ASIN B0000DWWCM).
- La Fille du douar, Paris, Plon-Nourrit, (ASIN B001BTPKLS).
- La Chemise qui porte bonheur, Paris, Plon-Nourrit, (ASIN B001BTLPCG).
- L'Andalouse, Paris, Fayard,
- Le Mariage de Hanifa, Paris, Plon-Nourrit, (ASIN B001BTPKJK).
- Le Sein blanc, Paris, L'Archipel (1re éd. : Ernest Flammarion), coll. « Archipel.Archip », (1re éd. 1928) (ISBN 2841870197 et 978-2841870196).
- Par la voix de la musique, Paris, Les Petits-fils de Plon et Nourrit, (ASIN B001BTLP5I).
- La Riffaine : suivi de Petits Pachas en exil, Paris, Ernest Flammarion, (ASIN B001BTK1QW).
- La Convertie, Paris, Ernest Flammarion, (ASIN B001BTLPBM).
- Enfants de Palestine, Manuscrit (1re éd. : Revue hebdomadaire), (1re éd. août 1931) (ISBN 2748193784 et 978-2748193787).
- Le parfum, la femme et la prière, (lire en ligne).
- Judith, Le Journal, du au .
Mystification ou non
[modifier | modifier le code]Attaques contre le personnage qu'elle s'est créé
[modifier | modifier le code]Au milieu des années 1930, une revue antisémite, Le Péril Juif de Charles Hagel, la critique violemment et la traite d'imposteur pour s'être fait passer pour une musulmane[3].
La romancière Lucienne Favre écrit dans son roman Orientale 1930, publié en 1930[3] : « Il parait qu'en France, on aime les Mauresques de toutes conditions. C'est pourquoi il y a une vieille Juive, ancienne femme de rabbin, qui se fait passer pour une Arabe, et raconte d'une manière fausse des histoires sur notre race et nos traditions. Elle gagne ainsi énormément d'argent dit-elle. ».
Véritable auteure ou mystificatrice
[modifier | modifier le code]Bien plus tard, en 1982, Paul Tabet, le fils de Raoul Tabet, le neveu d'Elissa Rhaïs, publie chez Grasset un livre intitulé Elissa Rhaïs[6], dans lequel il affirme que son père lui aurait avoué être le véritable auteur des romans attribués à Rhaïs[3]. Bien qu'Elissa Rhaïs soit une auteure un peu oubliée, le livre de Paul Tabet fait parler de lui dans les médias : Paul Tabet est interviewé par Bernard Pivot à Apostrophes le [3],[7]. La revue Les Nouvelles littéraires publie les réactions des proches d'Elissa Rhaïs, qui réaffirment essentiellement qu'elle est bien l'auteure[3]. Un article du journal Le Monde, sans enquêter en profondeur, relève l'imbroglio de la situation ainsi que des erreurs manifestes dans l'ouvrage de Paul Tabet[8]. Denise Brahimi, dans une introduction intitulée Lire Elissa Rhaïs parle « d'un piètre scandale[9] ».
Dans un second numéro des Nouvelles littéraires traitant de l’Affaire Elissa Rhaïs, Paul Enckell tente un bilan de la controverse et pose la question « Il n’y a pas d’affaire Elissa Rhaïs. Y a-t-il une affaire Paul Tabet ? »[3].
Une étude sur la controverse provoquée par le livre de Paul Tabet, avec analyse de la position de nombreux critiques sur le sujet, est réalisée par Mireille Rosello, de l'université Northwestern sous le titre de « Elissa Rhaïs; Scandals; Impostures; Who Owns the Story? »[10]. Un téléfilm, Le secret d'Elissa Rhaïs[11] , est tourné pour la télévision en 1993 par le réalisateur Jacques Otmezguine d'après le livre de Paul Tabet. Le scénario reprend donc la thèse de ce dernier d'une façon romancée.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Albert Bensoussan, « Élissa Rhaïs, conteuse algérienne (1876 -1940) » [html], sur Morial
- L'écrivain Joseph Boumendil stipule que l'épisode du harem a été inventé par le romancier Paul Tabet.
- Jean Déjeux, « Élissa Rhaïs, conteuse algérienne (1876 -1940) », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, no 37, , p. 47-79 (DOI 10.3406/remmm.1984.2021, lire en ligne).
- Jean Déjeux, « Rhaïs, Jean », dans Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française, Editions Karthala, , 404 p. (ISBN 978-2-86537-085-6, lire en ligne), p. 184.
- Jules Roy, « Le mythe d'une Algérie heureuse », Le Monde, (lire en ligne).
- Paul Tabet, Elissa Rhaïs, Grasset, (ISBN 224627611X et 978-2246276111).
- (en) « Apostrophes du 7 mai 1982 ; émission télévisée de Bernard Pivot », sur imdb.com.
- Jacqueline Piatier, « Le mystère d'Élissa Rhais », Le Monde, (lire en ligne).
- Denise Brahimi et Giuliana Toso-Rodinis (responsable du volume), Actes du Congrès mondial des littératures de langue française, Padoue, Centro Stampa di Palazzo Maldura, , p. 463 à 471.
- (en) Mireille Rosello, « Elissa Rhaïs; Scandals; Impostures; Who Owns the Story? », Research in African Litteratures, université Northwestern, vol. 17, no 1, (JSTOR 3821114).
- « Le secret d'Elissa Rhaïs ; téléfilm de Jacques Otmezguine - 1993 », sur imdb.fr.
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Jean-Pierre Allali, Elissa Rhaïs. La mystérieuse conteuse de Blida, Tribune juive, no 1369, 1996, page 29
- Joëlle Bahloul, « Elissa Rhais » in: Anthologie des écrivains francophone du Maghreb, dirigée par A. Memmi, Seghers, 1985, pages 275-281
- Albert Bensoussan, « L'image de la femme judéo-maghrébine à travers l'œuvre d'Elissa Rhais, Blanche Bendahan, Irma Ychou », Plurial, numéro spécial, La femme dans la société francophone traditionnelle, 1986, pages 29–34
- Joseph Boumendil, Elissa ou Le mystère d'une écriture, enquête sur la vie et l'œuvre d'Élissa Rhaïs, Biarritz ; Paris : Séguier, 2008 (ISBN 978-2-84049-514-7)
- Denise Brahimi, Femmes arabes et sœurs musulmanes, Tierce, collection Femmes et sociétés, Paris, 1984 (ISBN 2903144281 et 978-2903144289)
- Guy Dugas, « Une expression minoritaire : La littérature judéo-maghrébine d'expression française » in: Littératures maghrébines, colloque Jacqueline Arnaud, Paris, 1990, pages 135–143
- Guy Dugas, La Littérature judéo-maghrébine d'expression française: Entre Djéha et Cagayous, L'Harmattan, , (ISBN 2738408370 et 978-2738408372)
- André Spire, « Un conteur judéo-arabe d'Afrique du Nord : Elissa Rhaïs » in: Souvenirs à bâtons rompus, Albin Michel, collection Spiritualité, (ISBN 222604776X et 978-2226047762)
Liens externes
[modifier | modifier le code]- (en) Elissa Rhaïs 1876–1940 par Sonia Assa, Jewish Women's Archive, Jewish Women: A Comprehensive Historical Encyclopedia, , consulté le
- Elissa Rhaïs, conteuse algérienne (1876-1940) par Jean Déjeux, Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, année 1984, volume 37, numéro 37, pages 47–79, consulté le .
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