Langues en Afrique — Wikipédia
Le nombre de langues en Afrique est généralement estimé à environ 2 000[1],[2] pour mille quatre cent millions d'habitants, mais les langues d'une certaine importance sont bien moins nombreuses et beaucoup peuvent aussi être considérées comme des variantes dialectales de langues plus importantes[3]. Selon la méthode employée, les estimations des spécialistes varient entre 200 et 2 000[4]. Une cinquantaine seulement sont parlées par plus d'un million de locuteurs[4].
Les langues africaines sont traditionnellement classées en cinq familles de langues : langues afro-asiatiques, langues nilo-sahariennes, nigéro-congolaises, langues khoïsan et langues austronésiennes. On peut y ajouter certaines langues indo-européennes, qui ont été introduites en Afrique lors de la colonisation, notamment le partage de l'Afrique.
Seules quelques-unes de ces langues ont un statut officiel quelconque dans les pays où elles sont parlées. Ainsi, beaucoup de pays africains ont décidé d'utiliser une langue coloniale, par exemple le français ou l'anglais, comme langue officielle, même si cette langue n'est que rarement parlée comme langue maternelle dans le pays[5].
Langues ou dialectes?
[modifier | modifier le code]Quand plusieurs groupes de personnes parlent des langues très proches les unes des autres, il peut être difficile de décider s'il s'agit de plusieurs langues différentes ou de dialectes d'une même langue[6].
Par exemple, l'arabe est entre autres parlé et/ou langue officielle dans beaucoup de pays d'Afrique du Nord, et les Etats concernés le considèrent officiellement comme une seule langue (à l'exception du hassanya, issu de l'arabe mais traité comme une langue à part dans la Constitution du Maroc[7]). Cependant les locuteurs de différents pays ne se comprennent pas nécessairement[8],[9],[10]. Cela peut justifier le fait de parler de plusieurs « langues arabes »[11], bien que généralement on parle de « dialectes arabes ».
Beaucoup de langues ou groupes de langues en Afrique sont dans une situation similaire.
Pour son décompte de langues distinctes, la base de données linguistiques Ethnologue suit les critères ISO 639-3. Ces critères sont principalement basés sur l'intercompréhension (si deux personnes se comprennent sans avoir à apprendre la langue de l'autre, c'est qu'elles parlent la même langue), mais prennent aussi en compte la culture et l'identité, partagées ou distinctes, des locuteurs[12]. Suivant ces critères, Ethnologue identifie 2140 langues vivantes en Afrique (en l'an 2020)[2].
Langues par origine
[modifier | modifier le code]Langues originaires du continent
[modifier | modifier le code]En 1963, Joseph Greenberg publie son ouvrage The Languages of Africa (Les langues d'Afrique). Il y affirme que toutes les langues originaires du continent africain font partie d'une des quatre familles suivantes, qu'il appelle: les langues afro-asiatiques, les langues nigéro-kordofaniennes, les langues nilo-sahariennes et les langues khoïsan.
Cette classification est aujourd'hui globalement acceptée pour des buts pratiques. Cependant, pour certains de ces groupes, on pense aujourd'hui qu'il s'agit en réalité de plusieurs familles distinctes, rassemblées erronément par Greenberg. C'est notamment le cas des langues khoïsan. Les détails de la classification sont toujours débattus[13].
Selon Gerrit Dimmendaal, l'état des connaissances en 2008 est que les langues originellement africaines proviennent des 11 familles suivantes[13]:
- langues afro-asiatiques;
- langues nigéro-congolaises (appelées "nigéro-kordofaniennes" par Greenberg), comprenant cependant moins de langues que dans la version de Greenberg;
- langues nilo-sahariennes, comprenant cependant moins de langues que dans la version de Greenberg;
- langues khoïsan du nord ou langues kx'a, classifiées comme khoïsan par Greenberg;
- langues khoïsan centrales ou langues khoe-kwadi, classifiées comme khoïsan par Greenberg;
- langues khoïsan du sud ou langues tuu, classifiées comme khoïsan par Greenberg;
- langues mandé, classifiées comme nigéro-kordofaniennes par Greenberg;
- langues songhaï, classifiées comme nilo-sahariennes par Greenberg;
- langues oubanguiennes, classifiées comme nigéro-kordofaniennes par Greenberg;
- langues kadu, classifiées comme nigéro-kordofaniennes par Greenberg;
- langues komanes y compris le gumuz, classifiées comme nilo-sahariennes par Greenberg.
Par ailleurs, pour certaines langues on n'a pas (encore) pu prouver d'appartenance à une famille; on parle de langues isolées. En Afrique il s'agit des 8 langues suivantes (toujours selon Dimmendaal)[13]: hadza (classifé comme khoïsan par Greenberg), bangime, dompo, mpra, jalaa, laal, ongota, shabo.
D'autres auteurs prennent plus de précautions et arrivent ainsi à plus de familles différentes. Ainsi, Tom Güldemann, en 2018, compte entre 41 et 50 familles (il considère certains groupements comme incertains). Il rejette notamment l'idée d'une famille nilo-saharienne[14].
Le reste de cette section suit cependant la classification de Greenberg, par souci de simplicité.
Langues afro-asiatiques
[modifier | modifier le code]Les langues afro-asiatiques (anciennement nommées chamito-sémitiques) sont parlées en Afrique septentrionale et saharienne ainsi qu'au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Elles comprennent notamment les langues sémitiques (dont l'arabe), l'égyptien ancien, les langues berbères, les langues couchitiques, les langues omotiques.
Langues nilo-sahariennes
[modifier | modifier le code]Elles sont parlées en Afrique subsaharienne : au Tchad, au Soudan, au Niger, dans le Nord du Cameroun, en République centrafricaine, au Ghana, en République démocratique du Congo, au Kenya, en Éthiopie et en Tanzanie. Elles comprennent notamment le masaï, les langues nilotiques, les langues nubiennes. Greenberg y comptait aussi entre autres les langues songhaï, qui semblent cependant être plutôt une famille à part.
Langues nigéro-congolaises
[modifier | modifier le code]Notamment, le groupe bantoïde (dont les langues bantoues), le groupe gur/voltaïque, le groupe kwa, ou encore le groupe des langues ouest-atlantiques. Greenberg y comptait aussi entre autres le groupe mandé, qui semble cependant être plutôt une famille à part.
Les langues bantoues (famille "nigéro-congolaise B" sur la carte ci-dessus) constituent une importante sous-famille, incluant le swahili, le zoulou et le lingala parmi d'autres.
L'ewe et le kotafon font partie du groupe Kwa. Le peuple Ewe porte avec lui sa langue lors de son exode depuis l'Afrique de l'est passant par le Nigeria, jusqu’à ce qu'il s’installe au sud du Benin, au Togo et au Ghana[15].
Langues khoïsan
[modifier | modifier le code]Elles sont parlées en Afrique australe, notamment par les Bochimans et les Khoïkhoïs.
En réalité, il s'agit de trois familles sans lien généalogique, mais qui se sont mutuellement influencées au cours de leur histoire; ainsi que le hadza, qui est une langue isolée[13].
Langues austronésiennes
[modifier | modifier le code]Elles sont parlées en Afrique insulaire orientale, notamment à Madagascar et à Mayotte mais aussi à La Réunion et aux Comores.
Langues coloniales et langues de contact
[modifier | modifier le code]Les conquêtes coloniales ont importé en Afrique différentes langues européennes (toutes issues de la famille indo-européenne), dont plusieurs ont un rôle de langue vernaculaire, notamment le français, l'anglais et le portugais, et dans une moindre mesure l'allemand, l'espagnol et l'italien[16]. D'autre part l'afrikaans, parlé en Afrique du Sud et en Namibie, est une langue née en Afrique mais d'origine européenne (dérive du néerlandais).
L'arabe (issu de la famille afro-asiatique) peut également être considéré comme une langue coloniale dans la région du Zanguebar (Afrique de l'Est) où il a été importé et imposé par l'empire omanais, en même temps que l'islam[17], ainsi qu'en Afrique du Nord où elle a été importée, notamment lors des conquêtes musulmanes de l'Egypte et du Maghreb. Certaines variétés africaines de l'arabe ont été influencées par le contact avec les locuteurs d'autres langues[18].
Dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, les contacts entre Européens et Africains ont donné naissance à des langues créoles dont le vocabulaire provient du portugais ou de l'anglais. Parmi les créoles au vocabulaire portugais, on trouve le kabuverdianu (Cap-Vert), le créole de Guinée-Bissau, le fá d'Ambô (Annobón), l'angolar, le sãotomense et le principense (tous à São Tomé et Príncipe). Parmi les créoles au vocabulaire anglais, on trouve le krio (Sierra Leone), le pidgin de Guinée équatoriale, le pidgin ghanaéen, le pidgin camerounais et le pidgin nigérian[18].
En Afrique centrale, le contact a donné naissance à des langues au vocabulaire indigène, mais simplifiées: lingala, kituba et sango[18].
Langues des signes
[modifier | modifier le code]Parmi les langues d'Afrique, on trouve aussi des langues des signes. Il n'y a pas encore (en 2018) de liste complète de ces langues pour l'Afrique. On trouve parmi ces langues autant des langues originaires d'Afrique, comme la langue des signes adamorobe au Ghana, et des variétés locales des langues des signes française, américaine et britannique. Dans le cas de ces dernières, il est difficile de savoir dans quelle mesure ces variétés locales sont mutuellement compréhensibles entre elles ou avec leur langue mère[18]. Glottolog compte 32 langues des signes propres à l'Afrique en 2024[19].
Situation sociale et politique
[modifier | modifier le code]Parmi les milliers de langues parlées en Afrique, seules 197 sont utilisées et soutenues par des institutions autres que la maison et la communauté[2], par exemple en tant que langues officielles ou langues minoritaires reconnues.
Multilinguisme
[modifier | modifier le code]De nombreux Africains parlent plusieurs langues. Par ailleurs, souvent plusieurs langues différentes coexistent en un même endroit, notamment dans certaines grandes villes. Dans ces situations, il peut exister une langue véhiculaire pour la communication interethnique. Cette langue n'est pas nécessairement la même que la langue officielle du pays. Dans plusieurs grandes villes, les jeunes forment une grande partie de la population et parlent leur propre variante linguistique, qui peut également être une langue véhiculaire. Un exemple est le camfranglais au Cameroun (Douala et Yaoundé)[20].
Langues officielles
[modifier | modifier le code]Beaucoup de pays africains ont choisi une langue coloniale, typiquement l'anglais ou le français, comme langue officielle (unique ou conjointement avec d'autres langues). Lors de la décolonisation, ces pays, souvent multilingues, ont généralement dû choisir une langue commune pour faire fonctionner l'administration. Pour des raisons pratiques, c'était souvent la langue de leur ancien colonisateur. Cette langue officielle ou nationale est souvent vue comme un garant d'unité de la nation. C'est le cas en particulier pour le français dans les anciennes colonies françaises[20].
L'Éthiopie est un cas atypique: le pays n'a pas de « langue officielle » ou de « langue nationale », mais une « langue de travail », qui est l'amharique. Les régions ont chacun leur propre langue de travail, qui est la langue majoritaire régionale. Les langues majoritaires à un niveau local peuvent également recevoir un statut officiel là où elles sont parlées[20].
Enseignement
[modifier | modifier le code]Dans de nombreux pays africains, l'éducation (scolaire) est perçue comme menant essentiellement à la maîtrise de la langue officielle. Souvent les cours d'école sont censés être donnés en cette langue. Si c'est le cas, les élèves ne comprennent souvent pas ce que disent leurs enseignants. Pour éviter cela, de nombreux enseignants donnent leurs cours dans la langue maternelle des élèves, ou dans une langue véhiculaire régionale. Cependant, les examens écrits sont toujours dans la langue officielle. Cela mène régulièrement à de mauvais résultats[20].
Principales langues par nombre de locuteurs
[modifier | modifier le code]Le tableau suivant montre le nombre de locuteurs maternels (en Afrique) et le statut officiel de quelques-unes des principales langues parlées en Afrique. Les nombres de locuteurs ne font pas nécessairement référence à la même date et peuvent être vieillis.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Stephen Smith et Claire Levasseur, Atlas de l'Afrique, Paris, Autrement, , 79 p. (ISBN 978-2-7467-1315-4), p. 18
- (en) « Africa », sur Ethnologue.com (consulté le )
- Michel Malherbe, Répertoire simplifié des langues africaines, L'Harmattan, , 98 p. (ISBN 978-2-7384-8558-8, lire en ligne)
- Atlas de l'Afrique, Éditions du Jaguar, Paris, 2011, p. 68 (ISBN 978-2-86950-465-3)
- « CULTURE PANAFRICAIN Bulu, haoussa, tamazight… La mort silencieuse des langues africaines », sur Jeune Afrique (consulté le )
- (en) « Nailing Jello to the Wall: Language Identification », sur Ethnologue, (consulté le ).
- (ar) « Constitution du Maroc » (consulté le )
- (en) Muhammad al-Sharkawi, History and Development of the Arabic Language, Taylor & Francis, , 274 p. (ISBN 978-1-317-58863-4, OCLC 965157532), xvi
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- (en) Genevieve A. Schmitt, « Relevance of Arabic Dialects: A Brief Discussion », dans Stanley D. Brunn, Roland Kehrein, Handbook of the Changing World Language Map, Springer, (ISBN 978-3-030-02438-3, OCLC 1126004175, DOI 10.1007/978-3-030-02438-3_79, S2CID 242212666), p. 1391
- (en) "Arabic Language." Microsoft Encarta Online Encyclopedia 2009.
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- (en) « Umbundu »
- (en) Fiche langue
[nucl1347]
dans la base de données linguistique Glottolog. - (en) « Ethnologue : Fiche de la langue Wolof »
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Gerrit Dimmendaal (en), Historical linguistics and the comparative study of African languages, John Benjamins Pub. Co., Amsterdam, Philadelphia, 2011, 421 p. (ISBN 978-90-272-1178-1)
- Bernd Heine (en) et Derek Nurse (dir.), Les langues africaines (traduction et édition françaises sous la direction d'Henry Tourneux et Jeanne Zerner), Karthala, Paris, 2004, 468 p. (ISBN 2-84586-531-7)
- (en) Bernd Heine et Derek Nurse (dir.), A linguistic Geography of Africa, Cambridge University Press, Cambridge, New York, 2008, 371 p. (ISBN 978-0-521-87611-7)
- (en) Ryohei Kagaya et Nobuko Yoneda, Bibliography of African language study : ILCAA 1964-2006, Research Institute for Languages and Culture of Asia and Africa (ILCAA), Tokyo University of Foreign Studies, Tokyo, 2006, 153 p. (ISBN 4-87297-934-6)
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- Michel Malherbe, Répertoire simplifié des langues africaines, L'Harmattan, Paris, Montréal, 2000 (réimpr. en 2002), 95 p. (ISBN 2-7384-8558-8)
- (en) Kwesi Prah (en) (dir.), The role of missionaries in the development of African languages, Centre for Advanced Studies of African Society, Cape Town, 2009, 264 p. (ISBN 978-1-920447-28-1)