Sarrasins — Wikipédia

Un Maure représenté dans le Marchand de peaux (1869) de Jean-Léon Gérôme, peinture du mouvement orientaliste dont Gérôme est un illustre chef de file.

Sarrasins, Sarrazins ou Saracènes est l'un des noms donnés durant l'époque médiévale en Europe aux peuples de confession musulmane qui habitaient au-delà de la mer Méditerranée ou au-delà des Pyrénées.

D'autres termes sont employés également comme « Maures », qui renvoie aux Berbères et peuples barbaresques de l’Afrique du Nord et du reste de la Méditerranée après la conquête musulmane. Le terme de « Sarrasin » est déjà employé dans La Chanson de Roland (1080 de notre ère), texte dans lequel il s'applique aux Basques. L'appellation Sarrasin englobe aussi d'autres peuples non chrétiens, comme les Saxons, les Slaves ou les Normands[1].

Les mots « islam » et « musulmans » n'existaient pas en Occident médiéval. En français, « musulman » est mentionné pour la première fois en 1551[Note 1] ; « islam » en 1697[Note 2]. Avant ces dates, on employait pour désigner la religion musulmane « loi de l'islam » ou « loi des Sarrasins[Note 3] ».

Origine du terme « sarrasin »

En grec ancien Σαρακηνοί / Sarakēnoí (attesté depuis le VIe siècle apr. J.-C.) désigne « ceux vivant sous la tente », les bédouins nomades[2] également connus comme Arabes « scénites » au IIe siècle apr. J.-C. à l’époque de Ptolémée[3]. Le singulier Sarakēnos et le pluriel Sarakēnoí ont donné en bas latin Sarracenus et Sarraceni.

On retrouve le terme Saraceni chez les auteurs classiques latins des trois premiers siècles apr. J.-C. où il désignait une tribu arabe du Sinaï ou de la péninsule Arabique. Selon Philip Schaff, « Les écrivains grecs des premiers siècles le donnèrent aux Arabes bédouins d'Arabie orientale alors que d'autres l'utilisèrent pour désigner les Arabes de Syrie et de Palestine, d'autres pour les Berbères d'Afrique du Nord-Est. Le nom devint populaire durant la période des croisades. Consulter l'intéressant 15e chapitre de La chute et le déclin de l'empire Romain d’Edouard Gibbon »[4].

Ces relations étymologiques étaient alors peu évidentes et les propos d’Isidore de Séville (VIIe siècle) montrent comment l'histoire biblique dominait la pensée avant la période moderne :

« Les Sarrasins ainsi nommés soit parce qu’ils se prétendent descendants de Sara, soit, au dire des païens, parce qu’ils sont d’origine syrienne. Ils habitent un très vaste désert. On les appelle Ismaélites parce qu’ils sont issus d’Ismaël. Ou encore Cedar du nom d'un fils d’Ismaël. Ou encore Agaréniens d'après Agar. On les appelle à tort Sarrasins parce qu’ils se vantent de descendre de Sara. »

— Isidore de Séville, Étymologies, IX,2,57

Contrairement à ce que certains[Qui ?] pourraient penser, Jean Damascène n'est pas à l'origine de ce récit. Dans son ouvrage Des Hérésies, le terme « Sarrasin » est à rapprocher de Sarah, et les Arabes sont les descendants d’Abraham par Agar ; or, celle-ci a été renvoyée « les mains vides » par Sarah (en grec, ek tês Sarras kenous) (Genèse 21,10-14).

Nous trouvons en réalité des traces de cette forme du récit sur le lien entre les Ismaélites et les Sarrasins dès le Ve siècle. Sozomène, historien ecclésiastique écrit : « C'est ici la tribu qui prit son origine et son nom d'Ismaël, le fils d'Abraham ; et les anciens les appelaient Ismaélites d'après leur progéniteur. Comme leur mère Agar était une esclave, pour cacher l'opprobre de leur origine, ils assumèrent par après le nom de Sarrasins comme s'ils descendaient de Sarah, la femme d'Abraham. Telle étant leur origine, ils pratiquent la circoncision comme les Juifs, se réfrènent d'utiliser le porc et observent de nombreux autres rites et coutumes Juives ». Théodoret de Cyr qualifie les Ismaélites de Sarrasins, utilisant le terme de manière interchangeable[5].

Pour Rufin d'Aquilée, auteur d'une histoire ecclésiastique, les Sarrasins étaient des maraudeurs barbares et dangereux, mais une de leurs reines Mauvia, se convertit au christianisme, montrant que tout espoir n'était pas perdu les concernant[6].

Le terme « Sarrasins » est utilisé dans la littérature historique ancienne pour désigner les califats omeyyade et abbasside. « Sarrasins » a été utilisé au Moyen Âge par les Occidentaux pour désigner toutes les tribus arabo-musulmanes.

Par rapprochement phonétique, le mot a pu aussi désigner les Circassiens présents dans quelques pays arabes et en Turquie : en Jordanie par exemple, la « garde circassienne » est la garde rapprochée du roi.

Histoire avant le Moyen Âge

Nous apprenons divers éléments sur le peuple des Sarrasins avant le VIe siècle, entre autres grâce aux historiographes comme Socrate le Scolastique, Sozomène et Théodoret de Cyr.

Lorsque l'empereur Julien meurt en Perse, certains supposèrent qu'un Sarrasin en était l'auteur. Mais de manière plus intéressante, nous noterons en particulier le fait que sous l'empereur Valens, les Sarrasins étaient dirigés par une reine veuve, Mavia. À cette époque, les Sarrasins bataillent dans les régions orientales de l'empire romain. La reine mit, comme condition à la paix, l'obtention du moine Moïse (Sarrasin d'origine) en tant qu'évêque chrétien pour son peuple[5],[7].

Les Sarrasins, employés comme auxiliaires, aidèrent également à repousser les attaques des Goths qui, après avoir envahit la Thrace, avancèrent jusqu'aux portes de Constantinople (aux environs de la mort de l'empereur Valens)[8],[9].

Le barbare de l’Empire carolingien

Les Sarrasins lançant le feu grégeois.

Les Sarrasins, par leur surgissement soudain sur les terres méridionales des royaumes francs, ont marqué par leur exotisme les guerriers de l’Empire carolingien.

Dans un premier temps, ce terme imprécis correspond, dans le contexte des batailles menées par les Carolingiens, à leurs ennemis non-chrétiens auxquels ils sont confrontés dans le sud du royaume puis de l'Empire franc, que ce soient :

Ultérieurement, le terme de « Sarrasin » finit par ne désigner que l’ennemi musulman des Croisades et de l’Occident chrétien, que ce soit en « Terre sainte » ou dans les Marches taillées au détriment d’Al-Andalus (Marche d'Espagne). La quatrième croisade détournée contre les chrétiens orthodoxes, celle menée contre les chrétiens cathares ainsi que les croisades baltes des chevaliers teutoniques et de leurs ordres alliés, ne se servent plus du terme « Sarrasin ».

  • 748 : fils de Pépin le Bref, naissance de Charlemagne (entre 742 et 748).
  • 768 : il est roi des Francs à partir de 768,
  • 774 Charlemagne, couronné roi des Lombards,
  • 795 : établissement de la marche d’Espagne sur laquelle s’appuie Louis, roi d’Aquitaine et fils de Charlemagne, pour s’emparer de Barcelone en 801.
  • 799 : expédition victorieuse des troupes de Charlemagne pour récupérer les Baléares prises l’année précédente par les Sarrasins ; cette victoire demeure sans lendemain, les Francs ne pouvant se maintenir dans ces îles.
  • 806 : les Sarrasins s’étant emparé de la petite île de Pantelleria, et ayant vendu comme esclaves les moines qui y résidaient, Charlemagne les fait racheter.
  • 806 : le fils de Charlemagne, Pépin, chasse les Sarrasins de la Corse qui retombe dès l’année suivante en leur domination.
  • 807 : Charlemagne envoie en Corse le connétable Burchard pour y déloger les Sarrasins ; mais la victoire est là aussi éphémère.
  • 808 : le pape Léon III parlant des mesures prises contre les Sarrasins en Italie, demande à Charlemagne de s’occuper de la défense de la Corse et de la Sardaigne.
  • 810 : Haroun-al-Raschid dépêche une ambassade à Charlemagne.
  • 812 : les Sarrasins d’Afrique, malgré une flotte grecque renforcée par des bateaux de Gaète et d’Amalfi, pillent les îles de Lampédouze, Ponza et Ischia. Charlemagne envoie des renforts commandés par son cousin Wala au pape Léon III.
  • 812 : Charlemagne signe un traité avec El-Hakem l’Espagnol ; cette tentative n’a pas de suite.
  • 813 : une terrible tempête qui détruit une flotte sarrasine de cent navires, ralentit quelque peu les razzias des Arabes d’Espagne qui toutefois pillent peu après, Civita Vecchia, Nice, la Sardaigne et la Corse d’où ils ramènent des captifs.

Les invasions sarrasines (830-990)

Les États carolingiens, trop étendus, ne peuvent résister à la fois aux raids normands et aux raids sarrasins.

Néanmoins, jusqu'au XIIIe siècle, à partir de la Côte des Barbaresques, les raids se poursuivent contre des populations locales qui sont enlevées pour être réduites en esclavage (Lérins en 1003, 1047, 1107 et 1197[15] ; Toulon 1178, 1197).

Notes et références

Notes

  1. Trésor de la langue française, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, p. 1261, Paris, 1971, « 1551 Montssolimans subst. « adeptes de l'Islam » ([E. Charrière], Négociations de la France dans le Levant, t. 2, p. 159 ds Fonds Barbier) ».
  2. Barthélemi d'Herbelot, Bibliothèque Orientale, Paris, Compagnie des Librairies, , p. 501 « ISLAM. L'Islamisme ; c'est-à-dire, le Musulmanisme, ou le Mohametisme. Ce mot se prend pour la religion, & pour le pays des Mohamétans. »
  3. L'expression « loi des Sarassins » apparaît notamment au XIIIe siècle dans la deuxième lettre des Lettres de Jacques de Vitry. « D'autres, misérables, et sans loi, disent qu'au jour du Jugement, quand le Seigneur demandera : « Pourquoi n'as-tu pas observé la loi des Juifs ? », ils répondront : « Seigneur, nous n'étions pas tenu de la servir puisque nous ne l'avions pas reçue et que nous n'étions pas juifs ». — Pourquoi n'avez-vous pas observé la loi des chrétiens ? — « Seigneur, nous n'y étions pas tenus, car nous n'étions pas chrétiens. Et nous ne devions pas non plus observer la loi des Sarrasins, puisque nous n'étions pas Sarrasins. »

Références

  1. a et b Gaston Paris, Esquisse historique de la littérature française au Moyen Age, Paris, Armand Colin, , 319 p., p. 60-61
  2. Hervé Bleuchot, Droit musulman, tome I (Histoires), Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000, p. 39-49
  3. Trésor de la langue française informatisé, Sarrasin (lire en ligne) : « Emprunté au latin médiéval Saraceni, nom des populations musulmanes du Proche-Orient, d'Afrique du Nord et d'Espagne, et celui-ci au grec byzantin Sarakenoi, attesté depuis le VIe siècle comme appellation générale des Arabes (KAHANE Byzanz, col. 402 et 429) ; en grec tardif, Sarakenoi désignait les populations nomades d'Arabie, mentionnées au IIe par Ptolémée (cf. FEW t. 11, p. 219a), d'où le bas latin Sarraceni (IVe-Ve siècle). Le grec Sarakenoi pourrait aussi être rattaché au toponyme Saraka, de la péninsule du Sinaï mentionnée au VIe siècle par Étienne de Byzance (FEW Loc. cit.; Kl. Pauly, s.v. Saraka), et non à l'arabe sharqi « oriental », dérivé de sharq « Orient » (cf. FEW t. 11, pp. 220-221, note 23). »
  4. (en) Philip Schaff, Nicene and Post Nicene Fathers, Series II, Vol. 2 (lire en ligne), p.296
  5. a et b (en) Théodoret de Cyr, Histoire Ecclésiastique, Philip Schaff, Nicene and Post Nicene Fathers, Series II, Vol. 3 (lire en ligne), Livre IV, chap. 20
  6. Françoise Thelamon, « Païens et chrétiens au IVe siècle : l'apport de l'Histoire ecclésiastique de Ruffin d'Aquilée », Études Augustiniennes,‎ , p. 123-147
  7. (en) Socrate le scholastique, Histoire Ecclésiastique, Philip Schaff, Nicene and Post Nicene Fathers Series II, Vol. 2 (lire en ligne), Livre IV, Chap. 36
  8. (en) Sozomène, Histoire Ecclésiastique, Philip Schaff, Nicene and Post Nicene Fathers, Series II, Vol. 2 (lire en ligne), Livre VII, Chap. 1
  9. (en) Socrate le scholastique, Histoire Ecclesiastique, Philip Schaff, Nicene and Post Nicene Fathers, Series II, Vol. 2 (lire en ligne), Livre V, Chap. 1
  10. Joseph Henriet, Nos ancêtres, les Sarrasins des Alpes, Éditions Cabedita, coll. « Archives vivantes », , 134 p. (ISBN 978-2-88295-360-5, lire en ligne), « Normands, Hongrois et Sarrasins », p. 75
  11. Ségurant ou le chevalier au dragon, tome 1, édition critique par Emanuele Arioli, Paris, Honoré Champion, CFMA, , 402 p. (ISBN 978-2-7453-6040-3), p. 100
  12. Ségurant ou le chevalier au dragon, p. 146
  13. « En 972, l'abbé Maïeul de Cluny aurait été capturé par des Sarrasins sur le pont près de [Châtelard], dont l'origine reste obscure. » (Werner Meyer, « Châtelard » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du .)
  14. Laurent Ripart, « Exactions Sarrasines à Agaune et au Grand-Saint-Bernard », Passé simple n°3,‎
  15. Lucien Musset, Les Invasions : le second assaut contre l'Europe chrétienne (VIIe – XIe siècles). Collection : Nouvelle Clio, Volume 12. Presses universitaires de France, 1965, p. 156.

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

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  • Maures
  • Consulter aussi l'histoire de St Vidian (Duc du Sud Ouest) qui aurait battu les Sarrasins à Martres Tolosane (31200). Les habitants de Martres Tolosane fêtent chaque année cette victoire en rejouant la bataille entre "Chrétiens et Sarrasins" dans des costumes qui se lèguent de père en fils.
  • Fraxinet
  • chevalier croisé
  • Vocabulaire des croisades

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